Un gros pavé qu'il a bien dû falloir une heure ou deux pour dessiner... Je ne vais pas railler plus avant ce dessin simpliste et répétitif, tracé avec un barreau de chaise calciné, parce que ça serait réduire ce volume honorable au crabouilli qu'il n'est pas. Parce qu'il y a quand même une cohérence et de l'expressivité, quelque part... Évidemment, ça fait un peu saigner les yeux, mais bon, respectons l'intention et focalisons-nous sur le contenu. Ces "mohamed", on en a tous entendu parler, même quand on n'emploie pas soi-même d'expression comme les "mouloud" ou les "momos". Y'a rien qui m'énerve plus. (Enfin, si, un million de trucs). J'imagine que c'est de la même façon que sont nés les 'gens', de la déformation de Jean... ou pas, remarquez. Bref, voici donc ces maghrébins débarqués en France à la pelle, aspirés par l'expansion industrielle, livrés à eux-mêmes, exploités, esseulés, entassés, finalement rejoints par leurs familles, écartelés entre les usages d'un pays qui se voudrait moderne et une tradition séculaire difficile à remettre en cause. Chaque témoignage enfonce un peu plus le clou de la culpabilité dans les paumes de ceux qui ont profité de ce développement à marche forcée, fondé sur l'exploitation d'une main d’œuvre vulnérable et docile. Le phénomène a été étudié maintes fois, mais là, l'intérêt réside dans la parole de ces forçats de l'industrie française. Une parole simple, voire simpliste, qui a fortement conditionné la mentalité de la génération suivante. On se souvient tous des arabes jetés à la Seine, de SOS racisme, de la marche des Beurs... ça fait partie de notre mémoire vive, pour ne pas dire à vif. Tout ça s'exprime dans les témoignages authentiques de ces personnages qui se ressemblent tous, ces "Mohamed" dont on a eu tant de mal à reconnaître les individualités tant on a préféré les fondre en une masse sans visage. Un ouvrage qui équivaut à un petit manuel du voyageur en terre de France multiculturelle, en somme. Un Routard des usines Peugeot, un guide Frommer de Sochaux... Familier et dépaysant à la fois, un peu dur à avaler quand on a un tantinet de conscience citoyenne, contrariant, mais aussi attendrissant voire amusant, parfois. Une BD pour tous les CDI de France, quoi. Ça tombe bien, c'est là que je l'ai découvert.