Excellente lecture !
Un concept de base un peu "farfelu" avec un mec qui se fait greffer un téléphone dans le bide (on se demande un peu comment son corps le supporte), mais une intrigue super bien ficelée, pleins de...
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le 16 févr. 2024
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Masaki Enjoji. Dans les recoins de votre caboche, à trop allouer mémoire vive pour un rien et n’importe quoi, vous me ferez le plaisir d’y faire place nette pour retenir ce nom. Masaki Enjoji. Si je vous l’écris deux fois, c’est parce que c’est un grand nom du manga que je vous fais parvenir, et que vous avez tout à gagner à le garder en tête afin de traquer ce qui lui jaillira prochainement de la plume. C’est une bête farouche de ce que laissent entendre les rares indications à son sujet, il faudra garder l’œil ouvert quand, un jour prochain, il laissera derrière lui quelques planches fraîches pour le pister.
En voilà un dont on suit avidement le moindre chapitre car on sait qu’il s’y trouve moult contenu ; que pas une page ; pas une case, sera employée en vain. L’histoire qu’il nous écrit pourrait prendre une majuscule tant elle est édifiante; elle sait où elle commence, dans le tumulte et la confusion, pour arrêter son parcours là où elle le devait, là où elle s’était initialement destinée à stopper son parcours. Cela vous paraît aller de soi, pour vous qui n’avez pas suffisamment lu de ces œuvres, celles s’éternisant inutilement afin de prolonger la saignée éditoriale et en puiser des rentes indues. Une recette classique en somme, celle-ci abordant le manga comme un filon d’imagination mièvre plutôt qu’un art ; un exutoire où y jeter une saine créativité.
De ça, de ses rudiments de génie, aussi bellement versés dans l’écriture que le dessin, Masaki Enjoji – car on n’écrira jamais assez son nom pour le louer – nous en dispensera à verse, tant et si bien qu’on crut la manne intarissable jusqu’à ce qu’elle cessa à temps, quand se clôtura le dernier volume. Une séparation presque vécue comme un déchirement tant ce qu’on y lisait là était savoureux.
Tout ici est cadré, tout ici est pensé, mais rien n’est étriqué pour autant. L’auteur prend soin de poser tout ce sur quoi reposera son intrigue afin d’en ébranler les fondations jusqu’à produire un séisme de tous les instants. Intrigue, personnages et mise en scène, ici, s’harmonisent divinement pour aboutir au plus excellent rendu qui soit ; une pure synthèse de talent est alors versée sur papier pour que nos yeux s’en rassasient.
Je tiens à saluer les éditions Akata – dont j’ai rarement caressé le catalogue bourré de Shojôs – pour la qualité de sa traduction. Là où trop nombreux sont les… traducteurs – on les appellera comme ça – à prendre trop de libertés quant aux dialogues pour l’imprégner d’une vulgarité ostensible au seul prétexte que les personnages soient rudes, la qualité du discours est ici somptueuse tout en étant appropriée au cadre du récit. L’immersion n’en fut ainsi que facilitée.
Dans le sillage de Quand Sonne la Tempête, car il faut lui courir après pour tenir le rythme, nous suivons frénétiquement le parcours de Sakai qui était le personnage idoine pour nous embarquer dans le récit. Je me fais rarement cette réflexion à la lecture, car les protagonistes principaux des œuvres que je chronique méritent rarement que je m’attarde sur eux mais, ce choix de personnage principal était assurément le plus sagace qui fut. Un petit escroc dont on ne pourrait assurer, du début à la fin, s’il mérite notre pardon ou nos reproches, en poisson clown dans un bassin à requins, vogue bon train vers les abysses.
Il ne sera, jusqu’à ce qu’il se prit en main, jamais le maître de son destin, ballotté au gré des courants induits par d’autres, cherchant à s’émanciper de son sort peu enviable malgré les ouragans et autres vents contraires venus s’écraser sur lui en rafales incessantes.
L’auteur, avec la minutie dont recelait sa plume, témoigna de sa capacité hors du commun à nous faire nous prendre d’empathie pour des personnages qu’on supposa infects. Les protagonistes de Quand Sonne le Tempête, à différentes échelles, sont tous faits d’une bassesse typiquement humaine ; une à laquelle on se sent instinctivement d’y référer pour y être parfois en proie. Pour invraisemblable et démente que nous apparaîtra la trame et ses multiples aléas, tout ce que nous lirons ici nous apparaîtra sordidement vrai en dépit d’un tumulte qu’on aurait cru improbable chez qui n’aurait pas su brosser sa mise en scène.
Avec ces personnages remarquablement écrits, avec sur eux plusieurs couches d’humanité, les masques tombent en cascade et personne n’est alors jamais digne de confiance. Je n’ai pas éprouvé un tel sentiment de délice sournoise depuis les débuts de Kaiji. Ne faites confiance à personne, car un traître, c’est toujours un ami. Le plus intègre d’entre eux tous, rendu fidèle d’un amour à sens unique, est paradoxalement le plus impitoyable d’entre tous, sa pureté n’ayant eu d’égale que sa cruauté.
Ces personnages-ci ne plantent jamais les couteaux dans le dos pour la finalité de ce faire, mais agiront conformément à leurs strictes intérêts, ce qui n’en accentuera que mieux le drame de leur situation. Rien ne nous assure que, poussés dans ces retranchement qui fut les leurs, nous aurions agi autrement.
Parce qu’il se sera ingénié à concevoir un récit ne souffrant d’aucune carence et ce, malgré les embranchements multiples pris par la trame, l’auteur verrouille et anticipe toutes les potentielles contradiction dans son récit en trouvant la bonne réponse à toutes les questions qu’on put être susceptible de se poser. Pourquoi Sakai ne va-t-il pas au commissariat ou à l’hôpital ? Pourquoi la greffe ne le tue pas ? Masaki Enjoji a réponse à tout, à cela et au reste. Preuve qu’il se sera penché scrupuleusement sur son écriture afin de faire honneur à son lectorat. Ça fait drôle de se sentir respecté par un auteur dont on lit les œuvres. Je n’y suis en tout cas pas habitué.
Rien n’est en tout cas abandonné au hasard ou à l’expectative ; c’est aussi pour cette raison qu’on s’abandonne sans coup férir à ce scénario surréaliste et pourtant, si admirablement crédibilisé par la plume qui le porta à nos yeux.
Mais Quand Sonne la Tempête, passé le stylo, nous part du crayon. Si les couvertures des tomes, je l’admets, me rebutaient dans ce qu’elles présentaient, celles-ci n’étaient finalement que les devantures sales d’une arrière-boutique gavée de merveilles. Les dessins sont réalistes, pêchus, tout en restant à même de s’abandonner à un style certain ; loin d’être froids et aseptisés – ô que non. Les personnages s’exposent par des visages clairsemés et pourtant si expressifs, quelques nombreuses représentations de yeux de personnages sont à se damner.
Les dessins présentent des contours encrés dont je crus voir les traits s’affiner à mesure que progressait ma lecture. Le trait y est en tout cas d’une justesse exceptionnelle, mêlant à merveille un style graphique puisé des années 1990’s à une patte plus contemporaine afin d’aboutir à une synthèse on ne peut plus opportune. Le paneling, conçu pour dispenser de l’art plein les planches, sans jamais saturer de trop d’effets pour ne pas être tapageur, mais bourré d’idées conceptuelles, est chaque fois judicieux quand il se porte à nos yeux. On y trouva alors des plans parfois allusifs, d’une pertinence rare, dont la retenue, paradoxalement, accentue la violence qui nous crie sa brutalité la bouche fermée. Les plans plus suggestifs quant à eux, seront d’une acuité rare dans la douleur qu’ils chercheront à nous faire parvenir. Rien n’est ici m’as-tu-vu, l’auteur a une maîtrise indéniable de la violence dans son récit.
Le récit, par la plume et le crayonné, est alors spectaculaire sans jamais connaître une fausse note dans l’expression de son rythme. Ce qui vient à chaque chapitre est haletant sans être poussif, trouvant toujours la juste occasion pour poser un développement d’intrigue.
Parce que les personnages sont crédibles, le vengeur n’est pas ce mastermind génial à qui tout réussit, celui-ci devant réviser constamment ses plans pour garder la main sur des événements qui ne tarderont pas à lui échapper d'une paume rendue moite par la fâcheuse tournure des événements houleux. Nul n'est jamais maître des éléments, quand sonne la tempête.
Lui et tant d’autres sont autant de personnages entiers et bourrés de failles délectables qu’on souhaite découvrir davantage à peine ceux-ci nous auront été présentés. Nous parvient alors un panel de protagonistes réels et improbables, alors que Sakai s’aménage parmi ses alliés de circonstance sa copine et le malheureux l’ayant fait cornard, ce dernier embarqué malgré lui dans l’affaire, qui sera paradoxalement l’un des plus dignes de confiance malgré ses frasques adultérines.
Le spectre du « méga-séisme » plane sur les événements en cours à la manière d’un spectre oppressant. Maintes fois évoqué, mais abordé de la pointe du stylo à peine pour susciter l’envie d’en savoir plus sur ce qui entoura cette période sordide, c’est finalement de lui que tout part. Les événements de Quand Sonne la Tempête n’étant que la surinfection de la plaie laissée par ce regrettable tourment d’alors ; la réplique sismique venus nous faire trembler même au plus loin de l'épicentre.
Ce que vous lirez ici est si passionnant que le premier tome – et les suivants – vous défileront devant les yeux avant que vous n’ayez réalisé qu’une heure environ s’était écoulée. La scénographie est si remarquablement travaillée qu’on ne voit pas le temps passé à s’y confronter. Le présent manga est alors autant un trésor d’écriture que de narration.
L’auteur ne prend pas la violence avec des baguettes lorsqu’il en fait un si juste usage. Ou plutôt si, il en prend... comprendra qui lira. Dans ce registre encore, rien n’est tapageur, tout est délicieusement vrai dans ce qui s’expose ; le sordide et le sanglant n’en ressortant que plus immaculé.
L’affaire me rappelle Ushijima, toute la bassesse humaine est ici relatée dans ce qu’elle a de plus vil, dans ce qu’elle a de plus vrai. La comparaison n’en finit pas de se faire alors que l’intrigue est imbibée de frasques du crime organisé et stylisée brillamment par une touche graphique qui n’en finit pas de révéler ses atouts un tome après l’autre.
Et afin de mieux contribuer à crédibiliser ce que nous lirons ici, Masaki Enjoji aura indubitablement travaillé à quelques modestes recherches afin de documenter son œuvre en conséquence. La médecine, le fonctionnement du crime organisé contemporain, les méthodes pour se débarrasser d’un cadavre, jusqu’au brouillage des communication, là non plus, rien n’aura été laissé au hasard.
Quand Sonne la Tempête a un côté surréel perdu dans le vrai, avec des idées démentes qui séduisent quand elles se déballent. Que Sakai doive brancher son portable greffé pour commander son application donne un côté futuriste fou à une situation pourtant sordidement contemporaine. L’œuvre a du style, une empreinte et des idées à foison, une histoire prenante, des personnages étincelants et parfois émouvants de ce qu’ils ont de sincère et de traîtreusement lâche quand ils ne sont pas simplement beaux malgré eux ; il y a tant de saveurs à la fois qu’on ne sait quel plaisir est le plus intense à la dégustation. Croyez-moi cependant que ça ne m'a pas empêché de me bafrer des tous ces délices. Car tout ça est fignolé d’une main de maître, les cases étant judicieusement pensées avant de s’orchestrer dans un ordre admirablement élaboré.
J’ai cru déceler une inspiration prégnante de Ichi the Killer. L’exposition travaillée de la violence et les multiples séances de torture créatives y contribuent pour beaucoup, la première de ces séances employées par Kudo répondra d’ailleurs presque en écho à celle usée par Kakihara, sans compter ce qui engendra « Le Troué », à la manière dont Kakihara châtiait lui aussi ses subalternes.
Ce qu’on suit alors est une une enquête qui vire à la traque prenante où l’instinct de préservation se confrontera à l’éthique méchamment éprouvée du protagoniste. La richesse des protagonistes et des enjeux complexifient la donne. La nuance est si troublée qu’on ne sait finalement plus trop à quel diable se vouer dans cet Enfer. La multiplicité d’antagonistes en lice n’agrémente que mieux la sauce pour en exacerber les délices. Tant d’éléments se confrontent à la fois, tant de dynamiques internes à tous ces groupes en mouvement, dans ce si fabuleux ballet gracieux et sanglant ; c’en est un pur régal de lecture.
Personne n’attendait un Hiro providentiel à la planque de Kudo pour renverser la vapeur. Et pourtant !
On nous glissera même de l ‘humour alors qu’on n’osait l’espérer après plus de trois volumes passés à frissonner. L’épisode de la mascotte était glorieux.
La disparition du signal de géolocalisation est par ailleurs une pépite de mise en scène comme on en trouve tant dans ce manga.
J’ai beaucoup apprécié la conclusion que d’aucuns trouveraient lapidaire. Mais quand souffle la tempête, tout est balayé ; ne reste que la désolation et, peut-être, pourquoi pas, des rescapés. Pas de grand drame ou de grands principes, la vent a soufflé, et c’est tout. Et bon sang, si on en ressort ébouriffés, qu’est-ce que ce fut rafraîchissant.
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Créée
le 3 août 2025
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