Parmi les différents genres de biopic, ceux qui se veulent exhaustifs en parcourant la vie entière de la personne qu’ils mettent en scène sont souvent les plus bancals. En effet, comment retracer en une œuvre des dizaines d’années de la vie d’un homme, dont le destin fut assez exceptionnel pour s’intéresser à lui ? Il faut évidemment faire des impasses sur certaines époques de sa vie, mais cela nécessite surtout de résumer certains événements de manière très didactique, au risque d’accoucher d’une œuvre impersonnelle et sans audace. « Robert Moses, le maître caché de New York », one-shot publié en janvier 2014, fait partie de cette catégorie, avec ses inévitables limites.


Scénario : Cet album retrace donc la vie controversée de l’urbaniste qui transforma la ville de New-York des années 30 aux années 60. L’homme avait une vision idéaliste et presque utopique de la ville, partageant les idées d’un certain Walt Disney, et rêvant d’une administration incorruptible, de voies de communications fluides et nombreuses, ainsi que des très nombreux buildings qu’il hissa peu à peu au-dessus des quartiers de New-York. On voit bien que sa démarche était d’augmenter le niveau de vie et moderniser la ville, coûte que coûte. Car si Robert Moses est aussi controversé, au point d’être un peu tombé dans l’oubli alors que certains (dont le scénariste Christin lui-même) le comparent à Haussmann, c’est parce qu’il construisit au détriment des plus pauvres, en particulier des minorités ethniques, expulsés sans vergogne. Il privilégia de plus les voitures aux transports en communs, les autoroutes aux passages piétons, montrant un pragmatisme parfois dérangeant. Avec son tempérament inflexible, il est arrivé à ses fins en concrétisant un nombre impressionnant de projets, faisant preuve d’une grande lucidité tout en gardant un certain esprit rêveur. C’est tout le paradoxe du personnage.


Dessin : Un trait élégant faisant la part belle aux décors, qui ont ici une véritable âme. Préférant l’esthétisme à la précision réglée comme du papier à musique, Olivier Balez propose des panoramas de New-York et de ses bâtiments avec une force peu commune. Pour le coup, c’est principalement dans son dessin que l’album dépasse le stade de la simple restitution historique, donnant un certain charme à la lecture.


Pour : On comprend assez rapidement l’objectif de Christin avec cet album : réhabiliter un géant que bon nombre considèrent comme déchu, au parcourt plus nocif que bienfaisant pour la ville de New-York. Dans un épilogue qui est certainement le passage le plus réussi de l’ouvrage, le scénariste découvre enfin franchement son parti-pris de valoriser Robert Moses qui, malgré un certain élitisme, accomplit de grandes choses.


Contre : Seulement, cela ne suffit pas. L’album étant la plupart du temps une retranscription documentaire de la vie de l’homme, on peut dire que le récit manque clairement de souffle et qu’il trouve seulement un intérêt historique, là où il y avait mille manières de lui donner un intérêt narratif. Christin aurait pu se concentrer sur l’affrontement entre Moses et la féministe Jane Jacobs, qui n’apparaît qu’à la page 75 alors qu’elle est l’ennemi principal de l’urbanisme. Il aurait pu aussi s’étendre sur l’esprit créatif et rêveur de l’homme, avec la conception de l’atypique Foire internationale de New York en 1964 montrée dans le récent film « A la poursuite de demain ». Il aurait enfin pu décrire le New York des années 80 (représenté dans le film "A Most Violent Year") en pleine déchéance pour contraster avec la vision de Robert Moses, et tenter de prouver qu’il n’est pas à l’origine de cette déchéance, contrairement à ce que beaucoup pensent.


Pour conclure : Bref, ce « Robert Moses » manque d’une part d’interprétation et d’imagination indispensable à tout bon biopic. Sans faire de la retranscription Wikipédia bêtement énonciative, Christin échoue à proposer une vision originale du personnage. Reste que l’album est très intéressant d’un point de vue historique…

Marius_Jouanny
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le 28 juin 2015

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