Rookies
7.4
Rookies

Manga de Masanori Morita (1998)

Le Baseball, pire exportation U.S au Japon depuis la bombe A

Un second degré de lecture ; celui occasionné par un œil rude et austère que rien ne fait ciller, nous amène à considérer que Rookies n'est pas tant un manga sur le Baseball que la course-à-pied. Une course dans laquelle se sera lancée son auteur et qui ne l'aura pas amené sur le podium. En fin de parcours - aussi littéralement que figurativement - Masanori Morita coursera comme un beau diable la rémanence d'un Slam Dunk qui s'était arrêté de paraître il y a deux ans. Ça court après sans jamais rattraper la cadence. Slam Dunk était plus qu'un Shônen sportif où quelques loubards se déchaînaient sur un terrain ; ça, Morita ne l'a vraisemblablement pas compris alors qu'il n'imite Takehijo Inoue qu'en surface seulement. De Slam Dunk, en réadapte les principes généraux, certes, mais fort mal. À sa sauce, une sauce qui s'accorde si mal avec le plat qui nous est servi.
À ne pas pouvoir rattraper l'ombre d'un Slam Dunk, Morita déviera pour courser un deuxième lièvre, un de ceux qu'il avait déjà pourchassé précédemment lorsque ce dernier publiait Shônan Junaï Gumi. Rookies est la synthèse maladroite et inaboutie entre Slam Dunk et G.T.O. Encore une fois, l'auteur se sera acharné à copier et talonner un Tohru Fujisawa qui, sans effort, l'aura distancé loin derrière lui, à la traîne et dans la poussière. Rookies est effectivement un de ces mangas à avoir pris la poussière avant même que le temps ne se charge de l'en couvrir.


Une fois son précédent manga sur les Bosozokus achevé et les bastons inter-lycéennes à répétition (j'insiste sur «répétition») rangées au placard, comme Fujisawa, Morita rempile lui aussi sur une histoire de prof de la nouvelle école venu reprendre en main la jeunesse. Là où Onizuka ira de sa science de karatéka et surtout de son humour, Kawato sera mièvre au possible et cherchera à domestiquer sa classe en usant de douceurs et de beaux discours. Il a décidément tout d'un prof de ZEP qui n'attend que d'être déniaisé par la dure réalité des faits. Malheureusement, la réalité ici, elle est bonne fille et lui sert la soupe sans faire la difficile. Tout va de soi très vite et les loubards rentrent dans le rang au premier coup de sifflet.


Kawato... professeur tête-à-claque qui ne manquera d'ailleurs pas d'en recevoir - et d'en rendre - à ses débuts. Toutes ses réactions sentent et transpirent le faux. Justicier des causes perdues, il est là, candide, avec trop de cœur pour avoir de cervelle. Même parmi le cheptel béatifié par l'Église catholique, il ne s'est jamais trouvé un seul Saint aussi bienveillant et débonnaire que lui.
Son air faussement gauche ne trompe personne, c'est un personnage lisse et sans défaut, un boy-scout d'un quintal qui n'emploie chaque effort qu'à faire le bien autour de lui ; il n'a de choses à offrir que pour les autres personnages, mais rien pour le lecteur qui ne verra en lui que cette figure niaise du balourd au cœur d'or.


Pas plus chez Kawato que ses élèves domestiqués avec amour - et facilité scénaristique - le moindre personnalité marquée ne dépassera de parmi les personnages. Des personnages outrepassant de peu les archétypes les plus plats du genre, ce qu'il faut à peine pour les rendre juste assez crédibles afin d'être un brin appréciables. Mais un brin seulement. Vous les oublierez tous bien vite.


Du reste, les dessins ne sont heureusement qu'un concentré de plaisir à la lecture. Un style à l'ancienne mais plus affiné que du temps de Racaille Blues. Des visages réellement expressifs et bien burinés au crayon, ça sait s'apprécier comme un délice. Peut-être la dernière occurrence de ce style de dessin bien marqué dans la publication Shônen ; une ère s'achevait alors en ce temps là. Pas brillamment, hélas ; Rookies fut le stade final de la décadence des Shônens de son époque et dont seule esthétique aura su la rendre agréable malgré ce qu'elle annonçait. Rome disparaissait, mes ses ruines avaient de beaux restes.
Il n'y a pas de quoi bouder son plaisir à la lecture ; le seul plaisir d'ailleurs que puisse prodiguer le manga venant de son dessin et de sa mise en scène.


Réinsérer des jeunes en échec scolaire dans l'éducation par le sport, c'est beau. C'est beau mais c'est con. Vous direz que c'est toujours plus porteur et crédible que de les domestiquer en leur faisant caresser des hamsters, mais ce n'est pas tant le sport qui puisse séduire un délinquant que celui qui l'enseigne. Crédible, Rookies l'aurait été si son personnage principal avait été capable de suinter ne serait-ce qu'une goutte de charisme.
Pour se faire respecter par les durs, il faut être un dur qui n'a pas besoin d'administrer la moindre mandale pour être respecté. Devenir un maître de guerre. Kawato trouve à ses ouailles toutes les excuses du monde pour se comporter comme ils le font, ignorant généreusement tous ses élèves qui, eux, jouent le jeu de la discipline et travaillent sagement sans emmerder le monde. Voir le meilleur dans le pire du genre humain, c'est souvent s'efforcer de ne pas voir le meilleur dans le meilleur déjà existant et de même le considérer comme acquis.
Grave erreur que d'accorder toutes les grâces de ce monde aux déviants en délaissant la norme. Si ceux qui ne jouent pas le jeu sont choyés... pourquoi ceux qui s'y adonnent sans se plaindre continueraient à le faire puisque tout leur serait pardonné le cas contraire ? Le laxisme est justement apprécié par les agneaux, les loups eux, l'interprètent comme une faiblesse. Kawato est un professeur exécrable qui m'aura fait relativiser les enseignements d'Onizuka ; lui au moins assumait son statut de loubard inculte et avait quelques leçons pertinentes à enseigner derrière ses forfaitures de professeur indigne. Kawato n'a que des bons sentiments à prodiguer et quelques citations philosophiques à régurgiter. Il en faut plus pour être un exemple.


Du Baseball, je n'ai pas appris grand chose hélas. Il eu fallu pour cela que Rookies soit un manga sportif alors qu'il aura dévié le tiers de son temps à n'être qu'un recueil de chroniques pour lycéens stupides en déshérence. Le manga a certes ses dessins pour lui - et ses dessins seulement - mais la narration aura tué les matchs alors que ceux-ci sont convenus dans leurs longues gesticulations.
Il est des œuvres sur le baseball autrement plus savoureuses et hors-les-murs que Rookies.


Des lycéens en déshérence écrivais-je. Ceux-là, vous apprendrez à les haïr autant que leur professeur alors que le temps gaspillé à les suivre est autant de pages en moins pour un match de Baseball, lui, susceptible de gagner l'intérêt des lecteurs. Imaginez-vous commencer avec cinq longs et fastidieux tomes de préliminaires à l'intrigue, cinq tomes convenue et ronflants avant d'enfin aborder le vif du sujet. Imaginez-le-vous seulement, je ne voudrais pas que vous vous en imposiez la lecture. Cinq tomes à ignorer d'emblée car vous les infliger reviendrait simplement à mesurer à quel point j'avais raison.
Entre les mièvreries et Kawato et Aniya qui se sera fait désirer comme une diva - alors que nous savions qu'il franchirait le pas - Rookies se sera impulsé en freinant des quatre fers.


Comme de bien entendu, nous aurons droit aux bastons entre lycéens mais, cette fois, heureusement mises en sourdines par le sport placé au centre de l'œuvre. Le Baseball ici, contrairement à la boxe dans Racaille Blues ne fera pas juste tapisserie. Il ne sera pas suffisamment mis à l'honneur pour autant.
Rookies ne trouve réellement sa valeur que dans les parties de Baseball ; tout ce qui est susceptible d'entourer ces dernières - à l'exception évidente du dessin - est à jeter aux ordures.


Tout le monde frappe tout le monde sans jamais avoir à en assumer de conséquences... Le manga a vocation à être pédagogique avec des jolies morales toutes faites mais n'enseigne que l'impunité comme suite logique de l'inconséquence. Kawato frappe un coach adverse en plein match et n'en subit même pas le revers ; l'armure de l'intrigue qui le recouvre est plus solide encore que de l'adamantium concentré. De même qu'on ne prête qu'aux riches, on ne pardonne qu'aux criminels endurcis. Jolie morale en vérité...


Mis en valeur par ses seules parties de Baseball... Rookies n'en connaîtra que quatre matchs à raison de vingt-quatre volumes - dont un tiers rempli de vide. Le baseball, c'est long, Morita aurait dû penser à davantage couper de temps de jeu comme cela avait été fait pour Slam Dunk. L'œuvre aura été parsemée de matchs trop longs pour un manga finalement trop court qui aurait largement gagné à purger toute la moraline et les scènes d'école chronophages pour y insérer à la place des instants de jeu. Je suis un homme simple, quand on me promet un manga sur le baseball, j'attends qu'on joue au baseball. Il aura fallu m'armer de patience les trois-quarts du temps et il vous le faudra aussi.


Et en quatre matchs seulement, il ne se sera trouvé presque aucune aucun antagoniste véritable sur les bancs des équipes adverses. Ce sont contre des ectoplasmes qu'Aniya et consorts joueront leurs parties. En dehors d'Enatsu, les figures notables capables de se faire remarquer sous leur casquette seront absentes. Difficile d'intensifier l'enjeu quand ceux-là même contre lesquels tout se joue n'évoquent rien aux lecteurs, ni même aux personnages.


Quelle bonne idée toutefois que conclure la première bataille de l'équipe sur une défaite après avoir fait monter tant d'espoirs avec autant d'artifice de mise en scène que possible. Une bonne idée qui n'est cependant pas à mettre au crédit de l'auteur puisque celui-ci n'aura alors fait que copier Slam Dunk. Notez bien qu'il ne sera pas le seul, d'autres plus tard auront recours à la même ficelle scénaristique, celle qui permettra à leurs auteurs de prétendre «vous voyez bien qu'ils peuvent perdre parfois». De quoi donner le change. Ou tout du moins de faire illusion en la matière.


L'humour y sera peut-être plus fréquent que tu temps de Racaille Blues sans avoir pour autant le potentiel suffisant pour vous luxer la mâchoire à force de vous esclaffer. On sent que Morita ne sait pas faire rire autrement que par la bouffonnerie burlesque. Le registre humoristique est déjà usant de base, il l'est plus encore quand il ne varie pas.


La seule réelle émotion que peut véhiculer Rookies, je l'ai ressentie à travers les matchs, jamais en dehors. Un dehors qui prend hélas une place outrecuidante dans l'intrigue globale et qui, en plus de très vite se répéter (baston), occulte très largement la part du manga qui devrait revenir de droit aux parties de Baseball.


Et vient le match final - le quatrième - où l'ultimatum est posé : «Si vous ne gagnez pas, c'en est fini du club de Baseball». Et là, devinez quoi. Si, si, devinez....


Ils gagnent.


Dingue, non ? Les parties s'essoufflent en plus d'être convenues comme pas permis. J'avais souhaité initialement davantage de matchs, je m'estime finalement heureux qu'on s'en soit arrêté là.
Autre «résonance» avec Slam Dunk, l'équipe perd hors-champ après son dernier match démentiel. L'auteur sera resté à la remorque de Inoue jusqu'au bout en croyant que personne ne l'avait vu. C'était pourtant flagrant et, si personne ne disait rien, c'est sans doute parce que tous étaient gênés de le voir lui emboîter le pas si maladroitement.


Rookies aura été un sandwich dont le pain et l'assortiment furent écœurant et la viande trop maigre pour que nous puissions réellement faire bombance.Tout y finit bien.
Le manga n'aura comptabilisé du temps de sa parution que quatre malheureuses confrontations en tout et il faudrait s'en satisfaire malgré tout le papier et l'encre gâché pour des histoires annexes et sans importance. Rookies, c'est l'histoire d'un potentiel bridé par les mauvaises habitudes d'un auteur qui ne démord pas des manies de son précédent succès et qui, sans imagination, n'aura pas copié ce qu'il fallait des auteurs après lesquels il courait désespérément. Triste fin de de règne pour une décennie Shônen pourtant légendaire à plusieurs titres.

Josselin-B
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le 23 juil. 2020

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Josselin Bigaut

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