Reniflez ça, reniflez-le du regard ; les dessins comme ceux de Masanori Morita, y'a a un fumet qui s'en dégage et je vous parle d'un fumet qui ravit. Vous ne sentez pas ? C'est l'odeur des Shônens à l'ancienne. Les derniers du genre. Le Jurassique avant extinction de l'espèce ; la fin des années quatre-vingt-dix. L'attachement n'y est pas tant générationnel qu'affectif. En ce temps-là, même si on n'avait pas grand chose à dire, on le disait au moins avec les formes. Et quelles formes.


La violence des gueules affichées pourrait naturellement nous incliner à croire qu'elles auraient été dessinées et même burinées au marteau-piqueur à même les planches. Stallone comparé à la troupe locale ferait d'ailleurs figure de jeune fille en comparaison. Que ce soient les personnages masculins ou même féminins, c'est brut et usiné à l'ancienne ; des dessins très détaillés pour un Shônen ou même un Seinen. On situe ça artistiquement comme la queue de comète de ce qui se faisait après Hokuto no Ken, avant que la mode ne soit aux traits lisses et épurés. La fin d'un Moyen-Âge brutal avant cette maudite Renaissance empreint d'un gongorisme ridicule ne soit de mise.
Je vous parle là d'un temps où le terme «garçon» du groupe nominal «Jeune Garçon» que signifie Shônen en français évoquait encore quelque chose. Un temps où le lycéen moyen avait au moins la gueule d'Antonio Inoki ; le bon temps en somme.


Le bon temps en matière de dessin toutefois. Parce que c'était aussi le temps où le caractère de la lycéenne moyenne se confondait facilement avec celui d'un pot de fleur, un temps où la jeunesse dans les mangas passait son temps à se friter dans les terrains vagues pour se dire bonjour. C'était mieux avant, je dis pas.... mais ça restait largement perfectible. Le coup de crayon du père Morita aura été le vernis clinquant qui aura caché les malfaçons. D'un premier coup d'œil, on ne trouve pas à redire, mais il suffit d'appesantir le regard n'importe où pour y déceler les carences flagrantes qui parsèment Racaille Blues.


À la lecture - et ça saute très vite aux yeux - on ne lit ni plus ni moins qu'un Shônan Junaï Gumi qui aurait troqué l'humour contre un supplément de virilité. Masanori Morita y aura perdu au change. L'humour dans le Shônen fait qu'on trouve le temps moins long et quand il y a quarante-deux tomes à se farcir - soit autant que Dragon Ball - le temps, il paraît suspendu. Parce qu'il ne s'y passe pas grand chose. L'action omniprésente, la tension qui se relance au moindre chapitre, à force de reposer sur les mêmes ressorts - rouillés à force - on voit le coup venir mais on se le prend quand même dans les gencives. S'installe très vite un rythme ronflant et routinier où l'impact des coups nous paraît plus feint à mesure que ceux-ci se multiplient.


Les gags ici y sont lourds. Je ne prétendrai pas que Shônan Junaï Gumi incarnait un exemple de finesse, mais l'humour y faisait mouche souvent et savait nous surprendre. Avec Racaille Blues, ce seraient plus des grimaces ponctuant des frasques débilitantes et loin de nous arracher ne serait-ce que l'ombre d'un sourire. Même en étant bon client, on n'y trouve pas son compte. Ici, l'humour sera burlesque. Au mieux.


Alors, c'est l'histoire d'un voyou qui rejoint le club de boxe - parce que Basket c'était pris - et qui résout TOUS ses problèmes en distribuant des gnons. À lire ça, je n'ai qu'une hâte, c'est de poursuivre sur ses aventures une fois qu'il se retrouvera dans la vie active afin de voir comment il s'en sortira. Quelque chose me dit que le déplacement de Taïson dans un centre des impôts doit valoir le coup d'œil.


Jouer à boire un coup chaque fois qu'il se passe un chapitre sans que personne ne soit frappé en dehors du ring équivaudrait à une traversée du Sahara ; tout ne se résout que par la castagne. En dehors de la mandale, pas de salut. Tout n'est sujet qu'à la castagne ; tout n'est que castagne. C'est la philosophie de l'anté-Bouddha qu'on lit ici, elle a de quoi faire relativiser la non-violence.
Qu'il s'agisse d'un manga de boxe - et encore, difficilement - j'entends biens, mais que je sache, Ippo savait tempérer la distribution des avoines une fois délesté de ses gants.


Nous lisons donc des histoires de lycéens - et pas parmi les plus brillant de leur génération - dont les problématiques sont dépourvues d'enjeu véritable et sans grand intérêt en réalité. Un déballage de la superficialité au masculin, le pendant burné de ce dont un Shojô pourrait nous gratifier. En moins soporifique dirais-je, mais sans doute est-ce la testostérone qui parle.


Parce qu'au niveau hormonal, on reste quand même gâtés. Une lecture de Racaille Blues précédée de celle d'un City Hunter garantissait la puberté de l'écolier moyen et ce, quelque soit son âge. De pareilles lectures on ressort avec un surplus de testostérone en contrepartie d'une perte considérable de matière grise.
C'est bourrin, c'est même con, mais c'est joliment dépeint. À ce titre, on pourrait jurer lire les aventures de Kenshirô en milieu scolaire. J'imagine qu'il faut être demandeur de ce genre de concept pour être preneur. Moi-même me croyais emballé à l'idée, mais quelques tomes à peine auront achevé de me convaincre que la monotonie de la baston dans le milieu estudiantin suffisait à alourdir les paupières. Violent, ça l'est, à souhait. Ça cogne, ça crie, mais c'en est si routinier et prévisible qu'on en ressort immanquablement lassé.
Quand le manga est déjà sujet à la redite en deux tomes à peine, c'est qu'on a amorcé la spirale infernale ; celle qui tourne en rond dans cinq litres d'eau pour entraîner son contenu au fond des chiottes.
La virilité démesurément exacerbée ne saurait se suffire à elle-même, encore moins à excuser la pauvreté de l'écriture. Même les films d'action ont besoin de scénario. D'un bon de préférence.


Car pour le scénario, vous repasserez et même vous ramerez. C'est bien simple, la bataille de Sekigahara se rejoue chaque semaine sur le perron de l'école. À force - et fatalement - il y en a un paquet qui devrait en principe finir en maison de correction ; mais il faut croire que la police ainsi que la magistrature faisaient grève à cette époque.
On le dit d'abord et on le crie ensuite : «J'en peux plus de ces blaireaux en échec scolaire et de ces crétines avec leur moue boudeuse sans cesse affichée sur le visage». Le Shônen, c'était mieux avant mais, mieux, c'est pas non plus la consécration à tous les étages. D'autant qu'on reste ici au ras du sol tant c'est bas de plafond et que rien ne contribue à élever le récit.


Tout ce petit monde s'imagine qu'en se contentant de bander les muscles et de faire pleuvoir les patates, le lecteur saurait se satisfaire d'un spectacle de cet acabit sur quarante-deux tomes. Après le cogito ergo sum, voici le «je cogne, donc j'écris». Mais il ne suffit pas de s'agiter frénétiquement et sans halte tout du long pour se dispenser d'avoir un propos ou quoi que ce soit de pertinent à dire. C'est malheureux à dire, mais seul le dessin tracte l'histoire, l'intrigue elle ne contribue à rien puisqu'elle peine déjà à seulement exister.


Sans compter que les personnages ne sont pas attachants pour un sou. Le loubard à l'ancienne, ça pourrait avoir son charme, mais on n'a affaire ici qu'à un ramassis de bourrins hydrocéphales aux personnalités interchangeables et qui ont tôt fait de devenir antipathiques tant ils ont peu de choses à offrir au regard de leur caractère. De la viande saoul sans alcool qui se perd dans l'ivresse des bastons perpétuelles et irréfléchies. Des babouins et des gorilles avec des des uniformes de lycéens, voilà pour le programme.


Même les bonzes y vont de leurs admonestations musclées. Y'a de répit nulle part. Devant tout ce déballage de baston lycéenne, je fus pris d'envies soudaines de pacifisme. C'est vous dire si ça me minait le moral. Il n'y a que ça à se mettre sous la dent, ça tourne en rond et ça ne se renouvelle pas ; comment s'en satisfaire ? Le dessin nous aura finalement été livré en guise de vaseline pour mieux nous faire glisser le reste de force ; c'était la jolie devanture d'un magasin vide.


Et comme si ça ne suffisait pas, mesdames et messieurs (surtout «messieurs» en fait), nous allons bouffer de la romance ! L'auteur se sera cru pertinent de greffer les Feux de l'Amour à un film de Van Damme. Comme si qui que ce soit avait exigé l'histoire d'un batifolage lycéen dans un Shônen où les phalanges sont plus à l'honneur que les sentiments en règle générale.
Quand on sait comment sont traités les personnages féminins par l'auteur, Seikichi pourrait très bien sortir son labrador que je ne verrais pas la différence de lorsqu'il se trouve avec Chiaki.


Ça ressemble tellement à Shônan Junaï Gumi que même Onizuka vient se tailler la part-belle dans l'intrigue. Malheureusement, il ne s'agira que d'un homonyme qui n'apportera pas avec lui ce souffle de fraîcheur humoristique dont le lecteur - à force de subir les balourdises coutumières du récit - a désespérément besoin.


C'est à dessein que je remets Shônan Junaï Gumi sur le carreau. Morita a peut-être devancé chronologiquement Tohru Fujisawa avec Racaille Blues au regard de la thématique des Bosozokus au lycée (sans non plus avoir rien inventé), mais ce dernier aura eu le bon sens de consolider le genre là où le premier conservait les avaries telles quelles, facilitant alors son propre naufrage.
Bien que son œuvre fut antérieure - et de peu - à celle de Fujisawa, Masanori Morita avec Racaille Blues sera malgré tout resté à la traîne de Shônan Junaï Gumi sans jamais l'atteindre, préférant tourner en rond qu'aller de l'avant.
Comme quoi, rien ne sert de courir, il faut savoir écrire. Dessiner, Morita, il sait. Pour le reste... il aurait dû prêter son crayon au service d'une plume mieux aiguisée que la sienne pour une collaboration digne de ce nom. Malheureusement, certains ne connaissent pas leurs limites et c'est aux lecteurs d'en essuyer les plâtres.

Josselin-B
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le 21 juil. 2020

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Josselin Bigaut

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