Il y a des choses que je ne m'expliquerai jamais. Et parmi ces choses, il y a ceci : pourquoi j'ai autant tardé pour lire Sillage ? Cela faisait pourtant pas mal d'années que je voyais cette série me faire de l’œil à la médiathèque, j'avais plusieurs fois pris puis reposé le premier tome pour prendre une autre BD, et le pire c'est que le pitch me plaisait bien.. Bref, c'est étrange. M'enfin, je ne suis pas là pour raconter ma vida loca.


Pour commencer, avant toute chose, premièrement, qu'est-ce donc que Sillage ? Quoi ça raconte ?


Ambiance.


Sillage est une série de science-fiction dessinée par Philippe Buchet et scénarisée par Jean-David Morvan dont la publication a commencé en 1998 et continue toujours. Cette série a également donné naissance à des spin-offs comme Nävis, Les Chroniques de Sillage ou Sillage : Premières Armes (toujours scénarisés par Jean-David Morvan -sauf pour Les Chroniques de Sillage- mais pas dessinés par Philippe Buchet) mais je n'en parlerai pas parce que je ne les ai pas lus.


L'histoire est donc celle de Nävis, une jeune humaine, seule rescapée du crash d'un gros porteur vivant sur un monde tropical luxuriant. Étant arrivée très jeune sur ce monde, elle n'a jamais vraiment été en contact avec la civilisation humaine et a donc plus ou moins vécu en sauvage dans la jungle en compagnie de son amie, Houyo (un tigrours).. Tout se passait pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu'à ce que Sillage, un immense convoi spatial composé de milliers de vaisseaux transportant des milliers d'espèces et de peuples aliens lancés à la recherche de nouveaux mondes, tombe sur la planète de Nävis. Contrainte de quitter son paradis, elle est intégrée à Sillage où elle s'avère être la seule représentante de l'espèce humaine, une race alors inconnue. Elle est affectée aux forces spéciales de la Constituante, l'assemblée gouvernementale de Sillage, en raison de ses capacités physiques uniques mais aussi parce qu'elle est la seule créature du convoi à être totalement imperméable aux pouvoirs psychiques, à être « psy-neutre ».
Voilà pour le pitch de Sillage, un peu étendu et survolant vaguement l'intrigue du premier tome, qui sert d'introduction à la série.


Maintenant, rentrons dans le vif du sujet (sans spoiler la trame scénaristique générale, par respect pour ceux qui n'ont encore lu la série !).
Sillage est une série qui m'a bien plu et que je recommande beaucoup, et ce pour plusieurs raison.
La première, et la plus simple, c'est le dessin toujours très propre et qui ne montre jamais d'hésitations, même dans le premier tome (dans lequel le style graphique de la BD et les personnages sont pratiquement définitifs). Le trait est fluide, la colorisation est très bonne, la mise en scène est cool, le découpage est dynamique. Bref, c'est un vrai plaisir pour les yeux. Et puis on peut également noter que Buchet et Morvan font preuve de beaucoup d'imagination pour les aliens, les vaisseaux, les environnements et les technologies.
Sillage est également une série très dépaysante : chaque tome est différent l'un de l'autre, que ce soit au niveau des thèmes abordés, de l'ambiance et de l'intrigue (mais de façon radicale, hein). "Sillage" est un mot qui m'évoque le voyage, et visiblement c'est aussi le cas pour Buchet et Morvan. Nävis voyage beaucoup, dans des mondes radicalement différents. Les auteurs s'amusent bien : tantôt on a du steampunk, tantôt du médiéval ou encore une ambiance post-apocalyptique rappelant Terminator ; le tout entrecoupé par des aventures spatiales au sein du convoi.
Si les ambiances et les mondes visités au fil des albums sont très différents, les thèmes abordés le sont aussi. On y parle de corruption, de terrorisme, de magouilles politiques, de courses urbaines, d'injustices.. Bref, c'est vaste, c'est riche et c'est intelligent.
En effet, l'auteur ne tombe jamais dans le manichéisme idiot : il n'y a pas de vrais méchants, rien n'est noir ou blanc car tout est en nuances. Bon là, je vais un peu spoiler mais je prends l'exemple du premier tome et de l'antagoniste (malgré lui) de l'intrigue : le Madjestoet Heiliig enfreint les ordres de Sillage, « détruit » un monde et tente de faire disparaître Nävis non pas parce qu'il est méchant et qu'il fait ça pour le plaisir mais pour sauver son peuple qui se meurt à bord des vaisseaux de Sillage, il ne pouvait pas attendre et a dû enfreindre les procédures de Sillage en cas de contact avec une espèce intelligente (en l’occurrence la jeune humaine qu'il a trouvé sur le monde qu'il comptait terraformer). Personne n'est bon ou mauvais, Sillage est gangrené par des affaires de corruption, la Constituante est sclérosée par des conflits internes et ne respecte pas ses propres lois, les dictateurs bafouent les droits par humanisme, les pervers peuvent faire preuve de noblesse, les défenseurs de la liberté sont intolérants et dogmatiques, Nävis elle-même n'a pas la conscience tranquille.
C'est dans ce cadre que Nävis grandit : au départ petite sauvageonne innocente puis gamine espiègle et idéaliste, elle finit par se remettre en question et par perdre ses illusions au fil de ses aventures. Petit à petit, elle devient adulte. Le jour de son contact avec Sillage, avec la civilisation a été pour elle la fin de l'insouciance et de l'innocence. « Ça a été la fin de la vie.. Si... Si légère. »
Et les personnages sont tous comme elle : ils évoluent, ils changent. L'un des exemples les plus flagrants est Bobo, le Migreur affranchi, qui était dans le premier tome un des éléments comiques (c'était un sbire du « méchant », il était stupide, il se prenait des ruches et des coups sur la tronche tout le temps..) et qui est devenu au fil du temps un personnage sérieux faisant preuve de beaucoup d'esprit.
Il va sans dire que les personnages sont l'un des gros point forts de la série : ils évoluent, ils ont une identité forte et ils sont attachants. Nävis, en tant que personnage principal de la série, en est sûrement le meilleur exemple.
Un des autres aspects positifs de Sillage est la quasi-absence de l'espèce humaine (ce qui est au final assez rare dans le space opera, où les humains sont généralement très présents). Au final, en lisant Sillage, on se retrouve aussi étrangers à la civilisation humaine que Nävis : on ne connaît les humains que par ce que les savants de Sillage ont décrypté de l'épave du vaisseau de Nävis ou par les témoignages des rares sillagiens qui ont croisé la route d'humains dans des secteurs reculés de l'espace. Nävis ne connaît rien de ses semblables, c'est pourquoi elle va fantasmer l'humanité, l'idéaliser (elle dit même à un moment dans le tome 4 « Nous autres les humains respectons la vie » -m'enfin je cite de mémoire-, ce à quoi Snivel le robot -qui se pose là un peu comme la voix du lecteur-, lui répond « Tu ne connais même pas cette race »). Et ce jusqu'à.. Jusqu'à ce que la réalité commence à s'ébaucher un peu plus.
Comme je le disais un peu plus tôt, le lecteur devient étranger à l'humanité comme Nävis, on ne connaît pas sa situation ainsi que son évolution (sociale, morale, politique..). Alors on se pose des questions avec les quelques bribes d'informations sur les humains que le récit nous transmet (tout en ayant quelques certitudes en tant que lecteurs humains au sein de l'humanité -normalement-). Et puis, tout simplement, cela permet d'avoir une ambiance très dépaysante puisque les aliens sont sur le devant de la scène.


Pour ce qui est des quelques réserves que je peux avoir sur Sillage, cela sera bref.
En fait les défauts de Sillage viennent de ses qualités : la série se renouvelle sans cesse et explore littéralement de nouveaux mondes et de nouveaux thèmes dans chacun de ses albums, ce qui fait que la qualité des albums (au niveau du scénario, le dessin est toujours impeccable et inspiré) peut être assez variable, surtout dans le deuxième cycle (à partir du tome 10 jusqu'au tome 14) avec une Nävis plus adulte et désenchantée. M'enfin, le niveau est peut-être un peu variable mais il ne tombe jamais dans le mauvais (et pour rassurer ceux qui douteraient un peu de la série à la lecture des tomes 10 à 13, sachez qu'elle retrouve un rythme à partir du tome 14) ! Le scénariste, Jean-David Morvan, est dans la prise de risques, il ne se repose pas sur la formule gagnante, et c'est tout à fait respectable.


Pour faire bref, Sillage est une série de bande dessinée que je recommande énormément parce qu'elle vaut vraiment le détour, parce que c'est bien dessiné, parce que c'est inspiré, parce que les personnages sont cools (ne faites pas comme moi, n'hésitez pas 4 ans) et puis « Poukram ! ».
Que vous soyez amateurs de bande dessinée ou de science-fiction (ou les deux) il y a de fortes chances que cela vous plaise aussi !
En conclusion, je dirais même que c'est un des monuments de la science-fiction en bande dessinée !


Si je devais donner une note d'ensemble pour la série, la logique par rapport à mes notes dirait quelque chose comme 8 mais vu que j'ai adoré la série dans son ensemble je lui donne un bon gros 9/10.

Baheuldey
8
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le 23 juin 2016

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Baheuldey

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