- Fais-nous peur !
- P... plaît-il ?
- Fais-nous peur, j'ai dit ! Nous sommes venus de loin pour connaître la peur, alors fais-nous peur !!
- Mais c'est un malentendu ! C'est vous qui me faites peur !
- Moi, je te fais peur ? Comment puis-je faire quelque chose que j'ignore ? Alors comme ça, en ce moment, tu as peur ?
- Ben oui, j'ai des sueurs froides, la tête vide, l'estomac noué...
- Il a la grippe. La peur, c'est la grippe.
- Tu as déjà vu la grippe faire voler par Odin !
Chair de poule !
- Mon frère Océanonix, qui habit Lutèce, a un fils, Goudurix. Or, il parait que mon neveu s'mollit au contact de la vie citadine. Océanonix nous l'envoie en vacances, avec mission pour nous d'en faire un homme. Eh bien je compte sur vous, mes amis !
- Quand on en aura fini avec lui, il chassera le sanglier à coup de poing !
- Ah ? Il y a une autre méthode ?
C’est sur cette brillante idée d’Abraracourcix, à savoir transformer Goudurix en homme, que démarre cette nouvelle aventure d’Astérix et Obélix. Facile à dire… sauf que Goudurix, c’est le prototype du jeune citadin chic et suffisant, version gauloise. Un ado à mèche rebelle, plus prompt à débattre qu’à se battre, qui regarde les adultes comme des fossiles démodés. Mais alors qu’on s’attend à ce que tout l’album tourne autour de son relooking viril, voilà qu’un autre arc scénaristique débarque : celui des Normands ! Et eux, leur souci, c’est pas d’être virils ou pas, c’est qu’ils veulent savoir ce que c’est… que la peur. Eux qui savent tout… ben ça les agace de pas connaître ce petit frisson inconnu qui fait trembler les autres peuples.
- Mais, ô Grossebaf ! A quoi sert donc cette fameuse peur que nous ignorons ?
- Il paraît que la peur donne des ailes, par Odin !... Elle nous permettra de voler comme des oiseaux !
- Par Thor !
- Par Odin !...
- Par exemple !
- Je propose que nous partions aujourd'hui même vers les rivages où l'on connaît la peur nous y sèmerons la destruction s'il le faut mais nous apprendrons le secret !
Je vous laisse deviner quelle charmante contrée les Normands choisissent comme terrain d’expérimentation pour apprendre ce mystérieux concept qu’est la peur… Notre chère et paisible Gaule, m'enfin, paix relative, disons, quand les Romains ne volent pas en éclat. Deux intrigues a priori bien distinctes entre le crash pédagogique de Goudurix et le stage émotionnel des Normands, qui ne vont pas tarder à se télescoper joyeusement pour donner naissance à ce 9ᵉ tome "Astérix et les Normands".
Imaginé par le duo magique René Goscinny et Albert Uderzo, ce 19ème album nous embarque à la rencontre d’un nouveau peuple : les redoutables Normands ! De fiers navigateurs, guerriers intrépides, obéissant à des dieux terribles… et avec un quotient intellectuel qui ne fait pas toujours le poids face à leur carrure. Face à des Romains qui commencent à en avoir marre de se faire catapulter dans les nuages, les Normands arrivent en renfort : plus costauds, plus bruyant, et assez fous pour vouloir apprendre la peur. Le hic, c’est que chez les Gaulois, la peur ne fait pas partie du menu, surtout avec une marmite de potion magique à portée de main. Mais quand débarque Goudurix, jeune citadin branché et trouillard de compétition, nos amis du Nord pensent avoir trouvé leur professeur de frissons. Ce malentendu donne lieu à un enchaînement de péripéties aussi musclées qu’hilarantes, où baffes, dialogues ciselés et situations absurdes se succèdent à un rythme effréné. Un cocktail savoureux qui prouve encore une fois que les Gaulois ne connaissent peut-être pas la peur, mais certainement pas l’ennui non plus.
- Courage, Goudurix ! Montre à ces Normands comment trépasse un Gaulois !
- Eh ben, ils n'ont pas fini de rigoler !
- Alors voilà… Tu voles un peu par là, à gauche, et puis après tu vas…
- Ne vous inquiétez pas pour l'itinéraire, il est tout trouvé !
Une fois encore, Goscinny et Uderzo s’en donnent à cœur joie avec les clins d’œil culturels et les jeux de mots à gogo. Ils jonglent entre citations latines "Sol lucet omnibus", références historiques bien senties comme avec les fameuses invasions normandes à l’époque des Carolingiens, et une double lecture toujours aussi savoureuse. D’un côté la farce facile , de l’autre un vrai festin de sous-entendus pour les plus affûtés du neurone. Mais ce tome, c’est aussi un hymne à la chanson ! Et pour une fois, ce n’est pas qu’Assurancetourix qui en fait les frais... enfin si, toujours un peu... mais cette fois, il monte en gamme et en importance, devenant un élément clé de l'intrigue. Il pastiche joyeusement du Sheila, du Trenet, du Chevalier, avec un aplomb qui ferait frémir n’importe quel tympan, y compris ceux des pauvres Normands. Le plus fou, c'est que pour la première fois dans l’histoire de la série, le barde parvient à terminer un banquet sans être ligoté à un arbre ! C’est Cétautomatix, le forgeron râleur, qui prend la relève, preuve que même les Gaulois ont leurs jours de clémence musicale. De quoi l'amener à l’Olympix (l’Olympia de Paris). Et comme si cela ne suffisait pas, les Normands eux-mêmes se prennent au jeu de la parodie, entonnant une version revisité de Ma Normandie, pendant que le jeune Goudurix balance un clin d’œil bien senti au Monkiss popularisé par Eddie Barclay.
Côté personnages, on est une fois de plus gâtés par Goscinny et Uderzo qui nous servent un casting haut en couleur, à commencer par ce cher Goudurix. Il débarque dans la BD à toute berzingue, juché sur son char de sport made in Mediolanum, autant dire le dernier cri de la mode gallo-romaine. Le premier réflexe du bonhomme est de jouer les parigots-lutèciens un poil snobs, convaincu que les Gaulois sont des bouseux bons pour resté dans le passé. Heureusement pour nous et pour lui, les baffes verbales et les leçons de vie pleuvent vite, et notre jeune rebelle au brushing impeccable finit par s'attirer une certaine sympathie, sans pour autant échapper aux recadrages bien sentis. Des scènes savoureuses avec un Goudurix qu'on aime malgré son arrogance juvénile. Mais attention, les vrais gros bras de l’histoire, ce sont bien sûr les Normands. Goscinny s’éclate à mixer les vikings scandinaves et leurs futurs cousins normands de la province française. Tous leurs noms finissent en -af, clin d’œil joyeux au roi Olaf II et source d’un fou rire chez Obélix, qui ne sait plus s’il doit taper ou rigoler. Mention spéciale à Olaf Grossebaf, chef de clan aussi brutal qu’"ingénieux". Lui, il n’a pas peur des Gaulois sous potion magique. Non, il veut goûter à la baston, propose un contre-plan avec leur propre “potion” locale : le calva, bu dans des crânes. Malgré ces nouveaux personnages, mon coeur reste envers une valeur sûre : les Romains !
Ce sont encore les Romains qui m’ont vraiment décroché des fous-rires jusqu'aux larmes. Ils sont peu présents, mais quand ils débarquent, c’est l’apothéose. Le légionnaire Olibrius, petit nouveau plein de bonne volonté, découvre bien malgré lui ce que “rencontrer un Gaulois” signifie vraiment. Malgré les tentatives désespérées du décurion et de ces camarades pour lui expliquer à demi-mot le niveau de danger, le pauvre s’obstine, pour mon plus grand plaisir. À chaque apparition, c’est un festival de maladresse, de résignation romaine et de punchlines bien senties. Un vrai régal. Nos irréductibles Astérix, Obélix et leur fidèle Idéfix sont toujours aussi savoureux. Drôles, attachants, et comme souvent, embarqués dans une aventure qui fleure bon la leçon d’histoire, revue à la sauce Goscinny. Mention spéciale à Obélix, dont la naïveté légendaire reste intacte. C'est un vrai détecteur à quiproquos sur pattes, qui nous vaut quelques moments d’anthologie. Pour mettre tout ce petit monde en scène, Uderzo déploie son coup de crayon toujours aussi expressif. Certaines compositions flirtent même avec l'excellent, entre une case bien pensée et un gag visuel bien senti. Ce n’est peut-être pas l’album le plus éblouissant graphiquement, mais on sent que la barre monte doucement mais sûrement.
CONCLUSION :
Astérix et les Normands, réussit avec brio à renouveler la formule tout en conservant l’esprit si particulier de la série. Entre choc des cultures, citations savoureuses, clins d’œil historiques bien sentis et personnages délicieusement caricaturaux, allant du jeune Goudurix au terrible Olaf Grossebaf, cet album multiplie les moments drôles et les scènes cultes. Avec une intrigue rythmée et une double lecture toujours aussi piquante, cet opus prouve une nouvelle fois que Goscinny et Uderzo savaient manier aussi bien la plume que le crayon.
Un bon cru gaulois, à déguster sans modération !
- Bon. On commence.
- On commence quoi ?
- Ben, on commence à en faire un homme, et pour commencer à en faire un homme, on commence à lui donner des baffes !
- Mais jamais de la vie !
- Ah ? Et alors, Monsieur Astérix, comment allons nous commencer à en faire un homme, si nous ne commençons pas à lui donner des baffes pour commencer à en faire un homme ?