Au cœur de Fukushima : Journal d'un travailleur de la centrale nucléaire 1F par Christine Deschamps

Je suis une débutante en manga, mais une vétérane en matière d'accidents nucléaires, puisque j'avais 16 ans pour celui de Tchernobyl et que je suis encore là pour lire ce premier tome d'un reportage graphique sur celui de Fukushima. A se demander si on va un jour se décider à apprendre de nos erreurs... un enfant qui se brûle une fois sur un fer à repasser se garde bien, pour sa part, d'y reposer le moindre doigt, de toute sa vie. Mais ce qui est vrai pour un individu ne semble pas valoir pour son espèce. Au moins cela donne-t-il l'occasion à un mangaka de s'engager sur le chantier de nettoyage du site du réacteur numéro 4 et de nous raconter ce long calvaire qui l'a cuit à l'étouffée en plein été dans ses combinaisons anti-radiations... Contrairement à la Russie, le Japon ne semble pas disposé à sacrifier des centaines de milliers d'ouvriers pour sécuriser le site, et les courageux qui s'aventurent sur le chantier sont soumis à un nombre de protocoles ahurissant pour se protéger des émanations mortelles du réacteur endommagé par le tsunami. Ce tome 1 est la relation minutieuse et assez ennuyeuse de tous ces protocoles millimétrés. La quatrième de couverture salue une narration sans point de vue. C'est à saluer, effectivement : l'auteur réussit l'exploit de se mettre en scène dans la quasi totalité des vignettes sans jamais laisser accès à ses réflexions personnelles. Il se contente de descriptions factuelles. Moi qui suis nourrie aux récits subjectifs, j'applaudis l'exploit. Cela dit, il m'a malgré tout semblé bien vain : à quoi bon envoyer un éclaireur sur un chemin non fréquenté si c'est pour qu'il revienne juste avec un relevé topographique muet ? Ici, le dessinateur pousse le sadisme à souligner un point polémique dans l'une des innombrables petites notes descriptives qui jalonnent ses planches en proclamant qu'il se gardera bien de nous donner l'opinion qu'il s'est faite. Il voit peut-être ça comme de l'objectivité, je n'ai pas pu m'empêcher d'y voir de la lâcheté. Mais c'est intéressant de confronter le courage physique d'un homme qui est allé nettoyer le désastre provoqué par une technologie mal maîtrisée et la retenue de cette même personne à l'heure d'exposer la moindre opinion. Vous me direz, il permet peut-être ainsi à chacun de se faire la sienne. Mais en fait, pas vraiment, puisqu'il retient les données subjectives importantes qui permettraient une lecture argumentée de faits qui, en soi, n'apportent pas vraiment un éclairage complet sur une situation donnée. En soi, un accident nucléaire n'est que ça. C'est son impact sur l'environnement et les personnes qui en fait une catastrophe. Et de fait, j'ai eu l'impression tout du long que l'auteur refusait de catégoriser l'événement, comme s'il redoutait une éventuelle censure. Donc on reste sur la ligne jaune qui prévient de la présence d'un précipice juste devant, mais vue dans la lumière d'une lampe frontale qui dissimule la réalité du danger imminent, vous voyez ce que je veux dire ? Eh ben, c'est bizarre. Soit on fait le récit de ce dont on a été témoin, poussé par la nécessité de partager ce qu'on sait avec les autres, soit on s'abstient, mais on ne court pas dans la rue avec un mégaphone en hurlant "Attention ! Attention !" sans préciser à quoi. Enfin, en tout cas, c'est ce que je me dis.