Ballade pour un cercueil, quel titre, vraiment ! Le plus abouti des Blueberry ? En tout cas le plus long. Peut-être le plus pessimiste, en ce qu’il assombrit encore la morale que l’on pouvait tirer du cycle de l’or de la Sierra : non seulement l’or coûte du sang, non seulement il pèse lourd, non seulement on n’en profite jamais, mais il n’existe pas. Quant au héros, c’est celui qui se fait rouler dans la farine jusqu’au bout.

L’héroïne ne trouvera pas davantage l’amour ni la richesse. En revanche, elle se prend une bonne torgnole du héros dès la planche 16 (« Ce serait de la brutalité si y tapait sur une faible femme sans défense ! », commente Mac Clure) avant de subir deux pages plus tard le contact d’un Blueberry transpirant et torse nu dans une mise en scène de la femme qui dit « Ne me touchez pas ! espèce de brute ! » avec la bouche mais qui dit oui avec les yeux. (« Je propose qu’on referme ce trou ! », déclare dans la case du dessus Mac Clure toujours en verve. Voilà du symbole ou je ne m’y connais pas ! On peut d’ailleurs lire la recherche du trésor comme une quête amoureuse : Blueberry et Pearl ne trouveront pas plus d’or que d’amour, et l’ouverture du cercueil chargé de plomb marque la fin de toute idylle possible.)

Et pendant qu’on est dans les clichés sexistes, Pearl est le seul personnage de Ballade pour un cercueil à être pris de panique (mais « C’est les nerfs ! », planche 47) et se fait régulièrement rabrouer par celui qui a visiblement le béguin pour elle, jusqu’à ce « Ça suffit, duchesse !… C’est pas le moment de perdre son calme ! » (planche 58) digne d’un ministre de l’Intérieur face à une journaliste de télévision.

Ce qui sauve l’album de ce point de vue-là, c’est que Pearl dépasse très largement ce rôle de femme féminine auquel sont cantonnés la quasi-totalité des personnages féminins de bande dessinée franco-belge jusqu’aux années 1970. Elle agit selon ses propres intérêts, qui sont ceux d’une aventurière obsédée par l’or – c’est-à-dire les mêmes que ceux de Blueberry, de Mac Clure, de Red Neck, de Lopez, de Finlay, Kimball et leur bande, de Vigo et ses hommes, du docteur Hyeronimus, de Donnogan et… du gouvernement, après tout.

Graphiquement, c’est toujours très fort, en participer pour les couleurs. Une alternance jours / nuits, remarquablement rendue, une scène de tempête (qui l’eût cru ?), des trognes empruntées au western spaghetti.

Mais si Ballade pour un cercueil est d’une grande richesse, c’est bien parce qu’il fait la part belle aux personnages annexes, qu’il s’agisse de vieilles connaissances rencontrées au début du cycle, voire plus tôt pour les deux acolytes de Blueberry et la bande de jayhawkers. (Je suis relativement étonné que Dargaud, plutôt que de multiplier des Jeunesse de Blueberry parfois dispensables, n’ait pas cherché à exploiter sous forme d’albums dérivés les aventures d’une Chihuahua Pearl avant Chihuahua Pearl, d’un Vigo pendant le cycle de l’or des confédérés ou de ce Red Neck dont on ne sait finalement pas grand-chose.) Tout ce monde agit de façon autonome et ne gravite plus autour du héros – sauf si l’on considère que le héros de l’album, c’est le trésor.

Ou l’amour, si, comme j’en ai émis l’hypothèse plus haut, la quête de l’or figure une quête amoureuse. Ballade pour un cercueil serait donc l’album-dans-lequel-le-héros-s’intéresse-à-une-femme, comme il en existe dans d’autres séries de bandes dessinées d’aventures. Quel drôle de titre, vraiment !

Alcofribas
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le 14 nov. 2025

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