Avec Batman: White Knight, Sean Murphy retourne Gotham comme un gant, ou plutôt comme une cape, et nous livre une relecture audacieuse où le Joker abandonne son maquillage pour devenir... un politicien ! Une inversion des rôles aussi fascinante que dérangeante, qui redéfinit les frontières entre le bien, le mal, et le chaos bien coiffé.
Le pitch est simple mais détonant : après un traitement miraculeux, le Joker, désormais Jack Napier, décide de sauver Gotham de son plus grand problème… Batman lui-même. Ce retournement de situation met à mal tout ce qu’on croyait savoir sur les héros et les vilains, transformant cette aventure en une bataille idéologique autant qu’en une lutte physique. Murphy jongle habilement avec cette dualité, montrant que les intentions, même les meilleures, peuvent engendrer des monstres.
Batman, ici plus sombre et borderline que jamais, est confronté à ses propres méthodes. Ses actions, souvent brutales et sans appel, sont mises en lumière et questionnées. De l’autre côté, Napier, tout sourire et costume impeccable, redessine le paysage gothamite en jouant le rôle du messie. Mais peut-on vraiment croire à une rédemption totale ? Ce jeu de miroir entre les deux personnages est le cœur palpitant de l’intrigue.
Graphiquement, Sean Murphy frappe un grand coup. Les dessins, dynamiques et anguleux, capturent parfaitement l’essence chaotique de Gotham. Chaque planche est un spectacle visuel où les courses-poursuites et les dialogues tendus s’entrelacent dans un ballet précis. Les détails fourmillent, et les designs des personnages offrent un mélange rafraîchissant de modernité et de nostalgie.
L’un des points forts du récit est la profondeur donnée aux personnages secondaires. Harley Quinn, souvent cantonnée au rôle d’acolyte excentrique, brille ici sous un jour nouveau. Murphy explore ses multiples facettes avec intelligence, offrant une version plus nuancée et autonome. La galerie de méchants, quant à elle, reste impressionnante, bien que certains apparaissent plus comme des clins d’œil que de véritables moteurs de l’intrigue.
Le seul bémol de Batman: White Knight réside peut-être dans sa densité. L’histoire est riche, parfois trop, et certains fils narratifs semblent s’effilocher en cours de route. L’ambition de Murphy de réinventer Gotham est admirable, mais elle peut laisser une sensation de trop-plein à ceux qui préfèrent les récits plus resserrés.
En résumé, Batman: White Knight est une relecture audacieuse et visuellement éclatante, qui questionne les fondements mêmes du mythe de Gotham. Sean Murphy signe une œuvre à la fois introspective et spectaculaire, où héros et vilains dansent sur une ligne floue, défiant les attentes des lecteurs. Une partie d’échecs captivante entre justice et chaos, où les pions ont autant de poids que les rois.