Berserk
8.5
Berserk

Manga de Kentarō Miura (1989)

(Berserk:) Un chef d'oeuvre éclipsant toute chose?

Berserk a l’étrange réputation d’être, parmi une partie non négligeable de la population, le chef œuvre absolu. En effet après une certaine période appelée «éclipse», murmure-t-on, après qu'un behémot aie hurlé toute sa souffrance aux membres de la main, deux choses adviennent : Griffith se transformant en un être multidimensionnel, et une transmutation du lecteur en un fan monodimensionnel de Berserk.

Qu’en est-t-il vraiment ?

Des le premier regard on constate immanquablement un fait objectif : Berserk brille tel un soleil noir plus par son absence d’éclat plutôt que par ses défauts ou qualités vives. Pour le langage du pauvre:Ce n’est pas folichon mais il n’y a pas de gros défauts non plus. Néanmoins pour votre pur plaisir je propose de me sacrifier à l'analyser (sans béhémot). Mais je m’excuse d’avance : plutôt que pulvériser mon adversaire en deux à l’aide d’un énorme outil grossier non aiguisé, tel un certain épéiste noir, faisant surgir les entrailles les plus profondes de son adversaire à plusieurs mètres de hauteur, je me propose muni d’un simple scalpel de l’objectivité absolue, à minutieusement disséquer cette œuvre.

Bon attaquons nous au sujet le plus brûlants le traumatisme. Plusieurs (pour ne pas dire la majorité des fans) se pavanent avec une certaine idée préconçue que si une œuvre les traumatisme cela doit incontestablement être de l’Art. Ne savent-il pas que le traumatisme ,surtout ressenti par une œuvre d’art, est subjectif par excellence ? (Je trouve pas nécessaire d’ajouter qu'en plus, il n’est en rien représentatif de la qualité d’une œuvre). Bon,même si on s’aventure dans ce domaine le plus objectivement possible Berserk ne propose pas beaucoup de choses, pour qu’on puisse ne serait ce qu'entrer en matière.

Mais en plus l’effet traumatisant de l'éclipse a été atténué malencontreusement par Miura à cause de 3 maladresses totales que je vais exposer tout à l’heure. Mais les fans les plus assidus (et de plus mauvaise foi) pourront toujours argumenter que ses erreurs étaient voulues, afin d’épargner les âmes les plus sensibles.

La première est une erreur de débutant absolu. Le traumatisme , tout le monde le sait est lié à l’effet surprise. Or ici de surprise il en est rien. En effet non seulement l’auteur a introduit Guts comme un être torturé et traumatisé, mais en plus il a spécifié des le début sa relation avec Griffith. On se doute donc que non seulement, quelque chose de traumatisant va se passer, au vu du résultat sur Guts ,mais que Griffith y est fortement impliqué. De plus en voyant les bonnes relations qu’il a avec ses anciens camarades pendant le flash back, on se doute que : soit il vont se liguer contre Guts soit ils vont aussi y passer. Mais Guts a déjà parlé dans les premiers tomes "de se battre pour les morts".ll n'y a alors plus vraiment de doute permis. Et voici que en 2 secondes on a déjà deviné la trame de 15 volumes de chef d’œuvre. Un traumatisme annoncé, donc sans effet surprise se voit objectivement réduire de 50 % son niveau de traumatisation. Ce sont les coûts que l'on reçoit lorsque on essaye d'amorcer la relation Guts/Griffith avant le flashback. Attention, je vois déjà les plus averti d’entre vous me suggérer : il est possible de garder même sans effet surprise un assez bon niveau de traumatisation si on réussi à créer un autre facteur : l’angoisse. Cependant l’angoisse qui est la peur qu’on ressent face à un traumatisme qu’on aperçoit comme inévitable est un sentiment très délicat à créer chez un lecteur. Il faut qu’il y aie comme minimum, une bonne narration et une évocation constante de ce qu’il va arriver. Or ici d'évocation il n’en est rien,Guts est tout content puis paf ! Éclipse!

Ce qui nous mène à la deuxième erreur : la narration. Or la narration surtout pour un manga, est ici assez mauvaise. (Je rappelle que la narration et le découpage en mode cinéma représentent 80 % de l’expérience mangatique) Surtout pour Guts, elle nous empêche de vraiment éprouver une la réelle empathie pour lui, on observe tout ce qui lui arrive de loin. Je me propose ici d’en exprimer une raison. Le manque de loquacité de guts n’est pas,qu'extérieur il est encore moins loquace en narration interne. Ce qui peut passer, pour transmettre une idée de badassitude, ou de la souffrance physique, mais pas pour transmettre son état mental. Ces deux facteurs combinés réduisent de 80 % le niveau de traumatisation de l'éclipse.

Je ne peux pas m’empêcher d'ajouter que tous les personnages qui disparaissent pendant l’éclipse sont des persos secondaires. Ils avaient même des têtes de perso secondaire vous comprenez ?(Cette 3ème erreur fondamentale réduit de 90 % le niveau de traumatisation de l’éclipse.)

On peut remarquer que les principaux points positifs avancés par ce qui considèrent Berserk le chef d’oeuvre absolu sont le traumatisme et le dessin.Ce qui nous donne un certaine idée du chef d’oeuvre lorsque les personnages ou le scénario ne sont même pas avancés comme déterminants.

Qu’en est-t-il du dessin ? Bon en utilisant mon objectivité la plus totale il est indéniable d’admettre que Miura a incorporé les bases de l’anatomie et de la perspective.(En tout cas si on ferme les yeux sur ses premiers volumes). Une chose frappe tout d’abord dès le premier regard inaverti: c’est très détaillé.(En tout cas, toujours si on ferme les yeux sur ses premiers volumes) Même si cela est le plus souvent un gage de bon assistant plutôt que bon dessinateur...

Je vais parler à présent,d’une préférence assez subjective(ou pas). J’accorde bcp plus de poids au dessin des personnages qu’aux décors. Or force est de constater que Miura est plus doué en décors que en personnages. Voilà pourquoi les plans d'ensemble lui réussissent particulièrement. Le fait est, qu’il arrive à reproduire correctement les volumes de ses personnages, mais moins les traits qui les rendent vivants, donc le résultat s’apparente plus à un playmobil plutôt que un véritable être humain. Le contraste avec Togashi (auteur deHxH) est saisissant. Togashi est doué qu'en personnages, pas en décors, ce qui fait que son trait en plus d’être très variable(gage d'une capacité artistique capable d’adapter multiples styles) est capable de rendre ses personnages très vivants quand il en a besoin. Pour ainsi dire, quand je vois Miura peiner à dessiner deux visages différents, je ne peux m’empêcher de penser qu'un combo Miura au décors + Togashi au personnages auraient pu donner un résultat très intéressant.(Pour un exemple moins diamétralement opposé, j’aurais pu évoquer Inoue de Vagabond, lui est doué en dessin de persos mais aussi en décors)

Mais le manga n’est pas du dessin c’est de la narration et du découpage. Et là Miura se révèle assez statique, voire trop. Les persos ne donnent pas vraiment l’impression de mouvement, lorsque Guts donne un coup ếpé, il apparaît pour ainsi dire figé dans l’espace. Peut être que cette impression d’incapacité au mouvement est due aux excès de Miura au décors, en tous cas cela accentue le coté playmobil des personnages.(on peut pas s’empêcher d’évoquer l’ultra dynamisme des personnages de Togashi, mais pour Miura, un parallèle avec l’action de Oku( auteur de Gantz), qui lui, tout en en privilégiant une action photographique ,réussit,quand même à donner du mouvement a ses cases,semble plus indiquée.)En tous cas il ne faut pas dire ce qui n’est pas dit, malgré cette gêne au mouvement l’action reste lisible et le découpage à le mérite de ne pas perdre le lecteur.

Maintenant que nous avons abordé les 2 points forts,pour ainsi dire, de l’oeuvre, passons en à ceux que tout le monde oublie ,par exemple, le scénario. Pas grand-chose existe à reprocher de ce point de vue là, effectivement pas d’énormes bourdes sont commises , pas de gros points positifs non plus. Il faut dire qu’il était assez dur pour Miura de se rater, la plupart du scénario post éclipse  se résume à : Guts tue monstre méchant.x10. Vers la fin on assiste a Guts qui passe du côté lumineux de la force, telle une âme en repentir.

Autre point que tout le monde oublie  ; les personnages .Cela se comprend tout à fait la plupart sont parfaitement oubliables. Après tout en 40 volumes de manga seulement 3 sont suffisamment développés et intéressants : Guts, Casca, et Griffith. Sauf que le développement de cette chère Casca est brutalement interrompu par l’éclipse: On ne peut trop lui en vouloir, elle avait perdu la raison. Quant à Griffith il apparaît tellement peu depuis qu’il est devenu un être multidimensionnel, que l’on ignore toujours tout de lui : quelles sont ses réelles motivations ? Il ne reste plus que Guts pour occuper le développement de personnages des 30 volumes réstants. Or pour la majorité de cette période sa psyché reste toujours inchangé par rapport au 3 premiers volumes : on doit que comprendre qu’il est torturé, et assoiffé par son désir de vengeance. Cela ne va pas plus loin.Par exemple jamais Guts ne se demande comment il va pouvoir concrètement parvenir à se venger, question pourtant vitale, si on veut atteindre une sorte de dieu vivant que l’on arrive même pas à toucher de son épée. Il se contente de naviguer à vue, sans questionnements. Vers la fin un retour forcé du côté lumineux est opéré par Miura, mais d’une manière tellement grossière qu’il est difficile d’en être content. On pourrait presque le voir en train de mécaniquement remonter Guts, tel un automate playmobil, pour qu’il aille du «bon» côté. On remarquera ici ,que tout le développement de personnages se passe essentiellement dans les 15 premiers volumes. Voilà qui explique leur réputation, c’était l’âge d’or où Miura développait encore réellement ses personnages.

Les personnages secondaires sont tous extrêmement oubliables, à part des rares exceptions.

Pour ce qui est du changement de ton de l’œuvre, beaucoup de fans même les plus fidèles furent déçus de ce virage en un ton plus «léger». Ils décrétaient que cette orientation vers un côté plus féerique, avait rendu Berserk moins sombre, or sans violence disaient ils Berserk n’offre plus grand-chose pour être apprécié. Or vous vous en doutez bien, il en est rien .Le véritable problème de cette transition n’est pas le concept de Berserk féerique en soi, mais la transition en elle même. Miura s’est servi comme noyau central de cette transition.de la relation que Guts entretenait avec sa bande de perso secondaires et de leur interaction avec un monde plus féerique.Sauf que pour ce faire, Miura s’est contenté de se tourner sur sa chaise et de sortir les clichés les moins originaux du shonen de son classeur. Au lieu d’essayer 5 minutes de trouver une approche plus intéressante et humaine,collant plus a son histoire, Miura s’est contenté de tout recracher, croyant qu’on serait dupes face à une manipulation autant grossière. On est passé non d’un Berserk sombre à un Bersek féerique, mais d’un Berserk sombre à un Naruto (Sauf que au moins Naruto développait mieux ses personnages).

On peut maintenant s’attaquer à l’univers. L’univers est assez plat et austère, il présente néanmoins des points intéressants qui suffisent pour garder l’intérêt du lecteur pendant l’action. Car oui Berserk que ce soit sur le fond, ou sur la forme, est génétiquement beaucoup plus apparenté à un jeux vidéo qu'à du Tolkien. L’action bien que bridée par un dynamisme approximatif est de bonne qualité,et c’est le plus important, car Berserk est avant tout un manga d’action. Bien que l’arc de l éclipse soit celui où les personnages soient le plus développés, et l’histoire la plus dense ce n’est pas le meilleur arc du manga. En effet l’action est meilleure ailleurs .(à savoir que ici par action j’entends plus que l’action classique du cinéma, j’englobe aussi les intrigues et le minimum des ressorts scénaristiques qui réussissent à la garder intéressante)

En résumé Berserk

+bonne action

+dessin détaillés

+atmosphère sombre assez réussie

- dynamisme et narration approximatifs

-manque de vie de ses dessins

-peu de personnages développées et intéressants

0 scénario global plat

Je vous vois à présent convaincus que Berserk est loin d’être comme Griffith, un ange, mais contrairement à ce dernier il ne se révèle pas non plus être un dieu de la mort démoniaque.Une œuvre assez plate qui n’a fait que sacrifier des perso secondaires pour arriver  où elle en est. Comme Guts difficile de vraiment d'aimer mais difficile de détester, pas méchant, pas gentil non plus ,mais toujours capable de zigouiller un malfrat quand il le faut. 5/10

Hlor
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le 5 sept. 2023

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