Je crois qu’on ne mesure pas à quel point c’est difficile de tenir un rythme pareil sur autant de chapitres. De faire battre ce cœur fou, sans jamais vraiment faiblir, sans jamais vraiment se poser. De pousser l’aiguille dans le rouge jusqu’au dernier souffle. Rien que pour ça, Black Science mérite un respect énorme. C’est une œuvre d’excès, de collisions, de débordement.
ça va jusqu’au bout de ce qu’elle promettait dès le début, une véritable course vers l’effondrement. Ce tome 3, c’est l’apothéose et la chute.
Le point culminant d’une tension qui ne s’est jamais relâchée, pas même pour respirer. Tout est monté crescendo! les enjeux, les drames, les failles intimes et on sent bien que Remender ne cherche plus à ménager personne. Pas ses personnages, pas ses lecteurs. Il va là où ça fait mal, là où ça casse et je trouve ça, à sa manière, admirable.
La fin en a déçu plus d’un, je le sais.
Trop abrupte, trop noire, trop résignée. Mais moi, je ne peux pas m’y résoudre. Elle ne m’a pas frustré, elle m’a semblé cohérente. Elle m’a rappelé que l’histoire de Grant McKay n’était pas celle d’un héros qui sauve les mondes c’est celle d’un homme qui s’est toujours débattu avec lui-même, qui a voulu trop comprendre, trop corriger, trop réparer et qui finit logiquement brisé par ce même excès. Le récit se referme comme il a commencé, dans le fracas, dans la douleur, mais sans jamais renier ce qu’il est.
Oui, ça aurait mérité un peu plus de calme, un peu plus de souffle.
J’aurais aimé qu’on prenne un moment de silence, pour de beaux dialogues de fins. Mais je vois aussi ce choix comme une déclaration d’intention, il n’y aura pas de fin lisse. Il n’y aura pas de "réconciliation cosmique". C’est presque courageux, je trouve, de refuser ce confort. La boucle n’est pas totalement refermée, mais elle est suffisamment dessinée pour qu’on en ressente le sens.
Un homme a tout perdu, a tout tenté, a probablement échoué… mais dans ce chaos, une brèche s’ouvre. Une possibilité. Une rédemption, même minuscule.
Quelque part, c’est tout ce que j’attendais.
En refermant ce dernier volume, je pense à tous les moments de tension pure, à ces mondes aux architectures folles, à ces décisions cruelles, à ces dialogues pleins de rage et d’amour mêlés. Je pense aussi à la performance graphique insensée de Scalera et White, qui auront tenu la barre comme des possédés, jusqu’à cette dernière planche. Ils ont habillé une tragédie humaine déguisée en cauchemar multiversel!
Ce que j’ai aimé, c’est la manière dont le multivers n’est jamais un simple gadget de SF. Il devient un outil profondément symbolique, un miroir infini des regrets et des erreurs de Grant. Chaque monde traversé incarne une version altérée de sa culpabilité, de ses ambitions ratées, de ses responsabilités fuyantes. Ce n’est pas une mécanique pour empiler les twists, c’est un révélateur. Un prolongement mental de son chaos intérieur.
Plus les réalités se fragmentent, plus son identité se fissure. C’est brillant, et ça rend l’univers aussi instable que son personnage principal.
Puis il y a les autres... Les enfants, les collègues, les doubles, tous ces personnages qui orbitent autour de Grant et qui finissent, eux aussi, par se déformer sous la pression. C’est peut-être là où j’ai le plus senti le vertige de la série, dans la façon dont les liens se font et se défont, où l’amour devient poison, où les trahisons sont des appels à l’aide. Personne ne sort indemne de cette odyssée, et c’est rare de voir un récit aussi frontal dans sa manière de montrer le prix du chaos sur les relations humaines.
Alors non, Black Science ne m’aura pas offert de repos. Pas une seule fois et quand je relis ce que je pensais du tome 1 et du tome 2, j'avais peur d'être fatigué de lire ça et de tomber sur une fin bâclé. Mais il m’aura tenu, secoué, désorienté, puis laissé là, face à mes propres attentes de lecteur. Et je crois que c’est exactement ce que cette série cherchait à faire depuis le début.
Je comprends ceux qui ont décroché. Qui trouvent ça trop bruyant, trop désespéré, trop alambiqué. Mais Black Science n’a jamais cherché à être aimable. Elle te prend à la gorge, elle t’épuise, elle te met face à des questions qui n’ont pas de réponses simples, voir aucune réponses viables! Et si certains la rejettent pour ça, je trouve que c’est justement ce qui en fait une œuvre marquante.