• Dis papa, c'est quoi ça là-bas ?

  • Ça, fiston, c'est Albator. Dai-Kaizoku Harlock de son petit nom. Un manga de renommée internationale qui aura marqué son époque. Son
    époque, et même ce qui s'ensuit. L'œuvre aura touché plusieurs
    générations, on ne parle pas d'une de ces créations éphémères aussitôt
    parues et aussitôt oubliées.

  • Et le monsieur qui s'en approche avec un stylo, c'est qui ?

  • Ça, mon petit bonhomme, c'est Josselin Bigaut. Il a sûrement dû avoir un passé tragique pour être aussi chiant, c'est en tout cas ce
    qu'on se dit pour se consoler.

  • Se consoler de quoiiiii ?

  • Se consoler de le voir saloper tout ce qui est grand d'un trait de plume. Tiens, regarde, il est déjà en train de lui mettre des coups de
    stylo. Ah non, vraiment, c'est indigne. Tu verras que quand il en aura
    fini avec lui, il en restera plus rien du petit père Albator.

  • Eh bah.... eh bah... eh bah on lui mettra un pouce vers le bas alors ! Ça lui apprendra.

  • Même si son crime est motivé par de bons arguments ?

  • Même !

  • Ha ha ha ha ha, je reconnais bien là mon fils. Aussi con que son père.



À quoi bon faire traîner la surprise puisque vous autres qui prenez le sentier de cette critique avez déjà pris connaissance de ma note. Dans un trois sur dix, il y a comme des airs d'objurgation ; une croix sur la porte d'un pestiféré. Cette porte je l'ai ouverte et je me suis engouffré dans la maison Albator. Dedans, j'y entrais sans a priori puisque jamais je n'avais lu ou vu quoi que ce soit se rapportant à ses aventures. Celles-ci sont plurielles, mais on se bornera à l'intégrale de 1977.
On ne pourra pas parler de désaffection pour une œuvre que je n'ai jamais aimée et pour cause, car je ne l'ai jamais connue. Albator n'aura pas façonné mon imaginaire d'enfant, je ne lui dois rien et je n'aurai donc même pas à me reprocher une quelconque ingratitude à son égard. Des égards, je lui en réserve d'ailleurs bien peu. Pas plus que je n'en ai accordé jadis à une précédente œuvre de Leiji Matsumoto, une œuvre qu'on tient elle aussi pour légendaire sinon mythique.


Les années soixante-dix, une décennie de trop, comme les autres. La Bombe P de Paul Ehrlich était passée par là, la préoccupation écologiste, naissante à cette époque, commençait à se décliner sur tous les supports. D'ici les années 2000, on allait voir ce qu'on allait voir ; y'aurait plus de pétrole, les Pays-Bas seraient enfouis sous les eaux, et toutes les nations du monde, pressées par les urgences climatiques, se seraient menées des guerres nucléaires dévastatrices pour s'accaparer les dernières nappes d'eau encore disponibles. On nous promettait rien moins que la saga Hokuto no Ken pour le vingt-et-unième siècle.
Je me voyais déjà arpenter le désert du Kanto, à admonester les punks à chien de mon Hokuto Shinken, mais ces prophètes des temps jadis s'étaient gourés. Ils avaient en tout cas surestimé l'ampleur d'un drame écologique pourtant bien réel.


C'est de cette période qu'est tiré Albator. Une période qui a mal vieilli quoi qu'on en dise. Les poncifs habituels cachés derrière l'allégorie écolo-tragique «Les dirigeants ne pensent qu'à jouer au golf alors que le monde va périr» étaient peut-être novatrices pour l'époque, mais force est de constater que le poids des décennies leur a ôté leur superbe.
L'affaire est mal engagée, mais alors, foutrement mal. Du «Tous pourri, mais pas moi» où les tares du monde sont exacerbées jusqu'à la caricature la plus outrancière afin que, par contraste - et par contraste uniquement - les héros nous apparaissent flamboyants. Ôtez la caricature et il ne reste qu'un poseur dans l'espace occupé à se donner des grands airs et à nous gaver constamment de ses lieux-communs dignes du dernier des adolescents rebelles tendance Indochine.


Pour ceux qui auront glané quelques bribes d'information sur l'histoire de Superman, l'entame du récit d'Albator vous laissera comme un goût de déjà-vu. C'est pas très agréable au palais, je vous prie de me croire. Un scientifique consciencieux prévient les plus hautes instances dirigeantes d'une catastrophe dont ils ne se méfient pas. Ô surprise, la catastrophe advient. Le mythe de Cassandre aura donc eu le mérite d'être à la fois décliné en comics et en manga.
Comme pour Superman, le fils du scientifique - depuis assassiné - prendra quelque part le relais mais ne sera pas ici le personnage principal. Il s'embarque auprès du Capitaine Albator qui lui est juste. Mais qui est aussi un pirate. Allez savoir pourquoi, j'ai toujours du mal à avaler le concept du gentil pirate qui ne fait pas de mal à ceux qu'il pille.


Il n'y aura que les ingénus pour feindre de ne pas comprendre pourquoi on a attribué un rôle de pirate aux héros. N'y cherchez aucune symbolique, vous ne feriez alors que perdre votre temps. L'idée principale tient à la posture et la seule posture du héros, celle d'un personnage ténébreux qui, parce qu'il n'apparaît pas sous les oripeaux habituels du gentil garçon aux joues roses, séduit plus facilement le lecteur. L'anti-héros, d'une manière générale, convainc plus facilement qu'un héros gnangnan. Qu'y a-t-il de plus lisse qu'un personnage principal de Shônen après tout ? Ces derniers sont très souvent rigolards, avec un bon appétit, très émotifs.... et l'archétype tient bon depuis plus d'un demi siècle. Alors, quand à la croisée d'un Shônen, un auteur vous propose un héros avec un cache-œil, une gueule sans sourire et un uniforme noir bardé de têtes de morts, on a envie, nous autres, petits canaillous en manque de frisson, de se croire rebelles auprès de ce personnage sombre auquel on voudrait ressembler. Albator, le rebelle sans cause de l'espace. Coupez-lui les cheveux, donnez-lui un œil de verre puis habillez-le comme monsieur tout le monde et alors, vous verrez qu'il ne reste rien derrière. Un rebelle, un vrai, ça n'est pas glamour. Joe Yabuki ou Ryo Narushima ne donnaient pas envie aux lecteurs de leur ressembler et pour cause, un rebelle, c'est avant tout un marginal et un réprouvé ; un rebelle qui s'assume, ça finit le plus souvent en prison. Soljenitsyne ne payait peut-être pas de mine avec ses pulls-over démodés depuis un siècle au moins, mais il incarnait bien plus aisément la figure d'un véritable rebelle que n'importe quel petit punk de bac-à-sable. C'est encore ça la différence entre l'incarnation et la posture.


Qu'incarne Albator si ce n'est lui-même ? Il ne lui manque que le calendriers avec chaque mois à son effigie dans une position différente. Tragique la position, mais aussi déterminée. Tout le manga n'est qu'un monument à sa gloire, un monument qu'on souhaiterait qu'il soit son mausolée. Albator, c'est Staline qui se ferait passer pour Soljenitsyne par pur envie d'accéder à la popularité. Rien que du paraître et de la propagande dans le sens d'un personnage plutôt que d'un propos. Il n'a rien de charmant cet homme-là puisqu'il est pétri d'inanité.
Si l'envie vous prend d'aduler un pirate de l'espace réellement pourvu en charisme, optez donc pour Cobra. Lui au moins ne nous assommera pas de ses longs et lénifiants discours qu'on jurerait écrits par des plumitifs socio-démocrates. Substituez aux tirades d'Albator le meilleur - et donc le pire - des discours de Valéry Giscard-d'Estaing, et vous n'y verrez pas la moindre différence.


Et qu'on ne se cache pas derrière le verni Shônen pour soutenir qu'il s'agisse d'une œuvre de divertissement adressée à la jeunesse. Lorsque l'on targue son manga d'un propos, on est, en tant qu'auteur, responsable de ce dernier et donc chargé de l'assumer jusqu'au bout. Capitaine Albator se veut d'ailleurs bien moins puéril dans ce qu'il a à proposer que la plupart des parutions Shônen qui lui ont succédé jusqu'à ce jour et ce, quelque soit le jour où vous lirez cette critique, même bien longtemps après ma mort, j'en ai bien peur.


Tout ce que vous trouverez d'enfantin dans Capitaine Albator, ce sont ses dessins, saupoudrés de quelques relents de classe esthétique. Nous sommes, en terme de dessins mais seulement, sur la fin de l'ère Tezuka. Toutes les femmes sont les mêmes. Dans le dessins, j'entends. Encore que...
Le détail dans la représentation graphique de l'Arcadia est en revanche somptueux. La passion pour la mécanique de l'auteur est plus probante que celle qu'il affecte d'avoir pour l'écriture de son œuvre.


Tadashi, le fils du scientifique que nous pourrions aussi bien appeler Jor-El, servira finalement de balise-témoin pour le lecteur. Il est ce personnage qui nous prête ses yeux pour découvrir un monde nouveau, en l'occurrence, celui de l'Arcadia. Il est là pour s'immerger, pour poser les questions qui fonderont la F.A.Q du manga et, une fois le sujet bien approfondi, se complaira dans un rôle de demoiselle en détresse. Une marque de fabrique chez Matsumoto. D'aucuns diraient un manque flagrant d'imagination, mais il faut sauver les meubles. C'est d'une légende dont on parle, ménageons-la.


Et à quoi aboutit cette intrigue qui, le plus souvent, se perd dans les méandres des discours répétitifs (mot-pour-mot) du bon capitaine Harlock ? À une histoire qui ressemble à la virgule près à ce qu'on a pu connaître avec Uchuu Senkan Yamato. Cette fois seulement, ce n'est plus un équipage preux et mu par le devoir, mais celui d'un pirate qui navigue sous la bannière de la Liberté, la vraie ; celle qui s'écrit avec une majuscule et rime avec «raté».
Du rebelle sans cause en veux-tu en voilà, vous en aurez. La fureur de vivre dans un vaisseau spatial où on force la classe d'un personnage principal sans substance. Les caractères des protagonistes, à l'époque manquaient de nuance, mais on pardonnait ces archétypes balbutiants de personnages de Shônen. On déplorera qu'ils ne se soient pas tellement affinés depuis.


Et pourtant, entre ses radotages sur ce concept vaporeux de la Liberté, Albator distille des bribes d'informations susceptibles de me le faire apprécier. En vérité, ce beau fumier a tout pour me plaire ; il méprise les masses - oh oui -, il déborde de misogynie et, malgré le mépris qu'il voue instinctivement à ses contemporains, il refuse de les laisser se faire envahir par l'étranger. Pour peu qu'il ne fut pas aussi soucieux de ce à quoi il avait l'air que de ce qu'il était vraiment, cet homme-là aurait frôlé la perfection.
Mais à la place, il est libre sous sa bannière et blaaaaah blaaaaah blaaaah... mais il est aussi un peu con sur les bords dans la mesure où il recrute le premier pignouf venu s'immiscer dans sa croisade sans cause, sans goût et sans gluten. Sait-il seulement pour quoi il combat ? Moi, je ne l'ai pas compris. Il m'a l'air plus préoccupé à paraître ténébreux qu'à considérer ses plans à venir.
Un homme libre qui erre parmi les étoiles, selon le contexte, peut aussi bien désigner un aventurier qu'un branleur.


Pendant ce temps-là, le premier ministre japonais insiste avec une obsession crasse à vouloir taper une balle sur le terrain de golf. Et, je dois dire que cela m'aura fait rire. La caricature, je l'écrivais, est démesurée, mais elle ne manque pas de sel. Le burlesque exacerbé de la chose amusera le lecteur nonobstant son âge.
La démission des élites japonaises - et mondiales - ont beau être ici caricaturées à outrance pour un public assez jeune, elles trouvent malgré tout le moyen de nous faire rire par l'efficacité de la satyre. J'en suis le premier surpris.


Mon cynisme critique mis à part, je me dois de considérer que Capitaine Albator demeure, en dépit de ses tares grossières et évidentes, un bel appel à l'aventure ainsi qu'une croisade menée par qui aura été désabusé de la lâcheté des Hommes. On comprend que ça ait pu faire rêver une génération et séduire celles qui auront suivi. Ça n'a, au fond, que l'unique défaut d'avoir trop accumulé la poussière. Les dessins, ainsi que la naïveté du propos font que ça a très mal vieilli. Il subsiste toutefois un semblant de maturité dans la trame laissant entendre qu'à l'époque, un auteur de Shônen ne prenait pas son lectorat pour des cons au prétexte qu'ils étaient jeunes.


Du reste, tout ce qui pourrait cimenter le récit et la narration ne prend pas. Les personnages secondaires sont tous foncièrement inintéressants. Ils sont de l'ombre sur du papier pour mieux faire rayonner par contraste cette lumière irradiante et immaculée qu'est censé incarner Albator. C'était un défaut récurrent des Shônens de l'époque ; tout pour le personnage principal, des miettes pour le bétail. La tendance a assez peu évolué depuis - en dehors d'exceptions notoires - néanmoins, quelques progrès ont été fait de ce côté-ci.
La Dynamique entre Albator et Miimé rappellera en tout cas celle de Cobra et Lady Armanoïde ; Cobra dont le sentier de l'œuvre aura été ostensiblement jalonné par les productions de Matsumoto. La parenté n'est pas forcément criante mais elle se veut en tout cas indéniable.


Alors, si seul Albator jouit du droit souverain d'exister, les scènes de vie à bord de l'Arcadia nous apparaissent stériles. Il n'y a pas de concorde à concevoir entre les personnages puisqu'il n'y a pas de personnages à proprement parler. Ne nous reste que les longs monologues du personnage principal qui, à eux seuls, justifient toutes les mutineries du monde.


Ayant un biais politique évident, j'aurai garni l'œuvre de ma grille d'interprétation.
La lutte contre les Sylvidres n'est-elle pas finalement celle que tout homme rationnel devrait entreprendre contre le féminisme ? N'est-ce pas ça la croisade véritable du capitaine Albator ? À y réfléchir, des femmes qui s'enflamment littéralement pour un rien, extrêmement hostiles à tout et dont on se demande si elles ressentent des sentiments humains.... ne me dites pas que l'allégorie ne vous a jamais traversé l'esprit. En ce qui me concerne, ça m'a pris à la gorge dès le première tome. Leiji Matsumoto était un précurseur, il dénonçait le féminisme émergeant et en avait prévu toutes les dérives.


La trame de l'invasion extra-terrestre motivée par l'extinction imminente de la planète des méchants ressemble tout de même - encore une fois - à s'y méprendre à celle de Uchuu Senkan Yamato. Matsumoto est vraiment soucieux de l'écologie au point de recycler ses propres intrigues.


Chaque étape du récit, censément liée à l'intrigue globale de la guerre contre les Sylvidres, donne l'impression de traiter des scénarios annexes découplés les uns des autres. La transition entre les arcs manque de fluidité et on passe d'une étape à l'autre du récit de manière mécanique et souvent ronflante.
Et quelle adversité, des méchantes si connes qu'elles envoient un hologramme à Albator le sommant d'abandonner le combat... sans condition. Comme si en pleine guerre mondiale, un ambassadeur arrivait pour demander à l'Allemagne de se rendre, comme ça, et qu'en face ils acceptaient de capituler simplement parce que la doléance leur avait été formulée. Les méchants très méchants et très cons, c'est une constance invariable de l'univers Matsumoto et nous n'y dérogeons pas ici.
Le constat est à nuancer cependant. Certaines individualités - je pense à Jojibell - entre autres antagonistes sont capable d'empathie et complexifient le rapport trop facile et manichéen qui s'était dessiné jusque là.


Capitaine Albator, en tout cas l'intégrale de 1977, ça aura été court mais redondant.
Le dernier tome étant néanmoins assez déchirant quant aux souffrances infligées aux Sylvidres. À se demander pourquoi elles n'ont pas commencé à se comporter comme ça pour obtenir l'estime et l'empathie plutôt que l'inimitié qu'elles ne pouvaient que suggérer.
Le manga se sera ressaisi trop tard, un repris de justesse retardataire. L'injure suprême aura voulu que ça se finisse en étant inachevé.


Le trois sur dix aura finalement été un compromis, celui qu'aura généré la friction entre tout ce qu'Albator avait à offrir de bon et de mauvais, le second, plus pourvu en effectif, ayant pris le pas sur le premier et justifié que l'œuvre soit notée en dessous de la moyenne par mes soins. Cela n'ôte en rien tout ce qu'il avait de bon à proposer. Seulement, même dans un plat goûteux, il suffit d'une sauce avariée pour gâcher le reste.
Cet aléas fut malheureusement le propre de Capitaine Albator dont le mauvais aura assombri tout ce qu'il comportait de bon. De là à soutenir que son rang de légende soit justifié... j'en suis loin. La nostalgie du lectorat aura finalement joué davantage que le supposé talent d'écriture de son auteur ; le monument Albator aura été érigé par des fanatiques aveuglés par leurs souvenirs d'enfance et non pas par des lecteurs censés, impartiaux et reconnaissants.

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le 1 oct. 2020

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Josselin Bigaut

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