le 18 déc. 2020
Le poids du vent
S’il est un livre qui a attiré l’attention en cette année 2020 au milieu des présentoirs bien garnis en Bandes Dessinées, c’est le "Carbone & Silicium" de Mathieu Bablet, un auteur follement...
Application SensCritique : Une semaine après sa sortie, on fait le point ici.
Lu en 2025, Carbon & Silicium n’a rien d’une œuvre d’anticipation : c’est un écho morne, répétitif, d’une époque déjà fatiguée d’elle-même. Même en 2020, l’album ne disait rien de neuf. Son prétendu regard sur l’avenir n’était qu’une reformulation de la lassitude collective, un recyclage de thèmes déjà surexploités depuis des décennies : intelligence artificielle, apocalypse écologique, humanité coupable, technologie rédemptrice. Rien d’audacieux, rien d’avant-gardiste, simplement le miroir d’une culture qui confond lucidité et capitulation. En 2025, cette vision n’a pas vieilli : elle était déjà vieille. Ce qui devait choquer est devenu banal, et ce qui se voulait visionnaire était déjà convenu.
Les dessins, oui, sont beaux. Bablet est un artisan accompli. Mais ici, la beauté ne sauve rien : elle sert le laid.
Tout son talent graphique, toute cette virtuosité visuelle, sont mis au service d’une idéologie mortifère. C’est un mal contemporain : mettre le raffinement technique au service du désespoir, peindre la ruine avec grâce, magnifier la défaite. Les planches de Carbon & Silicium ne célèbrent rien, elles n’élèvent rien ; elles illustrent une résignation chic, une esthétique de la fin devenue norme.
Ce n’est pas du cynisme, c’est pire : une conviction tranquille que le progrès est vain et que l’espoir est naïf.
Ce n’est pas une œuvre froide, comme on pourrait le croire : c’est une œuvre malsaine, saturée d’un pessimisme qu’elle présente comme sagesse.
J’ai ressenti une forme de rejet physique en la lisant, tant son désespoir m’a semblé complaisant.
L’album n’est pas triste, il est abject, parce qu’il transforme la défaite en posture morale.
Là où la science-fiction a toujours été un élan, un moteur d’imaginaire, une manière de penser l’avenir pour mieux le construire. Bablet lui n’y voit qu’un tombeau. Il détourne/corrompt le genre de la science-fiction de sa fonction la plus noble, à savoir: inspirer l'humanité.
Carbon & Silicium n’invite pas à réfléchir ou à rêver, c'est littéralement une invitation à baisser les bras.
On ne lit pas ici le futur ; on contemple un champ de ruines intellectuelles.
J’ai eu la sensation de lire l’œuvre d’un vaincu, d’un esprit qui a renoncé à croire en ce qu’il raconte.
Là où la science-fiction classique, de Clarke à Asimov, d’Otomo à Nihei, explorait la tension entre peur et progrès, Carbon & Silicium choisit la résignation pure, l’acceptation de la chute.
Et ce n’est pas seulement déprimant : c’est irresponsable.
Car à force de servir aux jeunes générations des récits de défaite, on fabrique une culture sans désir d’avenir.
Le pessimisme de Carbon & Silicium n’a rien de visionnaire : il s’inscrit dans une vieille tradition française qui confond clairvoyance et défaite.
Depuis des décennies, notre culture érige le désenchantement en vertu intellectuelle, comme si se résigner prouvait qu’on a compris.
Chez Bablet, cette posture atteint une forme d’absolu : il peint la fin du monde comme on célèbre un sacrement. Tout y est pénitence et repentance. On y reconnaît le vieux fond chrétien transposé dans la science-fiction : la chute, la faute, la punition.
L’Apocalypse n’est plus la sanction divine de Dieu le père, elle n'est même plus totallement issue de mère nature, non désormais elle est l'asexué algorithmique,
mais ne vous y trompez pas, la logique reste la même l’homme paie pour avoir trop voulu, trop créé, trop rêvé.
Ce n’est pas une réflexion sur la technique : c’est un catéchisme du désespoir.
Ce discours, qui se prétend moderne, est en réalité réactionnaire dans sa structure. Il ne cherche pas à transformer le monde, mais à confirmer sa perte. L’auteur se veut lucide, mais il épouse la même rhétorique de défaite que toutes les œuvres apocalyptiques de notre temps.
Car cette lucidité affichée, loin d'être transgressif, n’est qu’un conformisme car oui, je vous l'annonce, le désespoir est devenu mainstream.
De Netflix à la bande dessinée d’auteur, tout le monde chante la fin du monde avec componction. Ce n’est plus une alerte, c’est un confort moral.
Dans cette industrie de la pseudo lucidité, Bablet occupe une place parfaite : il livre exactement le produit que le milieu attend une œuvre “grave”, “consciente”, “critique”, mais sans danger, car elle ne propose rien. Elle rassure ceux qui aiment se croire lucides tout en consommant le désenchantement comme un luxe culturel.
Et quel meilleur symbole de cette contradiction que le collector noir et blanc sorti en 2022 ?
Trois ans plus tard, en 2025, on le trouve encore sur les étagères : un objet inutile, un “luxe enlaidi” privé de couleur (complètement idiot alors que la colorisation est peut etre le point fort de l'œuvre), vendu comme rareté.
Une édition de "prestige" (pour nigaud) pour une œuvre qui prétend dénoncer la société du gaspillage. C’est le comble du cynisme involontaire : transformer la critique du capitalisme en marchandise haut de gamme.
Le pessimisme s’imprime sur papier épais, se vend sous cellophane, et s’expose sur Instagram.
Si l’on croit vraiment aux thématiques écologiques et humanistes de Carbon & Silicium, on n’achète pas ce genre de produit : on le rejette.
Ce collector est un objet bobo, un artefact pour collectionneur culpabilisé, l’incarnation même du système qu’il prétend dénoncer.
Il ne s’agit pas ici de s’en prendre à Bablet en tant qu’artiste. Il est le symptôme, pas la cause.
Le vrai problème, c’est un milieu entier, critique, éditorial, culturel, qui érige la morosité en valeur, qui récompense la lucidité plutôt que l’audace, la fatigue plutôt que l’élan. Depuis plusieurs années, les prix littéraires et de science-fiction Nebula, Hugo, Fauve sacralisent les œuvres qui constatent la chute plutôt que celles qui imaginent la reconstruction. On ne célèbre plus la découverte, on célèbre la défaite.
Non mais franchement...à quoi bon écrire sur le futur si c’est pour le haïr ?
Carbon & Silicium, pour moi, est l'exemple parfait de l'oeuvre qui trahit l’essence de la science-fiction.
Là où le genre devait nourrir la curiosité, il devient instrument de désenchantement. Bablet ne prolonge pas Asimov, Clarke ou Otomo ; il les enterre.
Son monde n’est plus un laboratoire d’idées, c’est un tombeau conceptuel.
Et ce n’est pas une erreur de ton, c’est une orientation de société : notre culture s’est habituée à penser la fin comme seule issue.
Ce n’est donc pas seulement un album raté : c’est un symptôme culturel. La preuve qu’une civilisation ne croit plus à son propre futur, au point d’ensevelir ses rêves sous une couche d’esthétique et de désespoir chic. Carbon & Silicium n’est pas un cri : c’est un soupir satisfait. Une œuvre belle pour ceux qui aiment se sentir tristes, cultivés et coupables. Mais la science-fiction ne devrait pas nous endormir dans la défaite. Elle devrait, au contraire, rallumer le feu du possible.
Tant que nos auteurs préféreront illustrer la fin plutôt qu’imaginer la suite, nous continuerons à vivre dans des ruines dessinées avec soin.
Néanmoins, tout n’est pas perdu.
Les jeunes, eux, semblent avoir compris depuis longtemps ce que les institutions culturelles refusent d’admettre : ils ont déserté la bande dessinée franco-belge et les comics occidentaux pour se tourner massivement vers le manga et le manhwa.
Là-bas, la fiction respire encore. On y parle de chute, certes, mais pour mieux se relever.
On y rêve, on s’interroge, on avance.
Là où notre imaginaire s’est figé dans la contemplation de sa propre fin, le leur reste moteur, vivant, porteur d’élan.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes.
En France, plus d’un livre de bande dessinée vendu sur deux est aujourd’hui un manga : le segment pèse désormais plus de 50 % du marché.
Aux États-Unis, le phénomène est encore plus flagrant : les mangas représentent environ 70 % des ventes de bandes dessinées, loin devant les comics historiques de Marvel ou DC. Ce basculement n’est pas qu’une affaire de goût c’est une question d’énergie.
Les jeunes lecteurs cherchent des récits qui les propulsent, pas qui les accablent.
Pendant que l’Occident en est réduit à transformer la science-fiction et la bd en sermon, l’Asie en fait un moteur de vie.
Je vous le dis le futur, désormais, il se lit de droite à gauche.
Créée
le 27 oct. 2025
Modifiée
le 27 oct. 2025
Critique lue 6 fois
le 18 déc. 2020
S’il est un livre qui a attiré l’attention en cette année 2020 au milieu des présentoirs bien garnis en Bandes Dessinées, c’est le "Carbone & Silicium" de Mathieu Bablet, un auteur follement...
le 9 sept. 2020
Je vais sûrement me faire lyncher vu les critiques dans l'ensemble très bonnes. Mais je n'ai pas apprécié Carbone et Silicium. Le problème ne vient pas tant de la forme que du fond... Les dessins...
le 4 sept. 2020
C'est un peu embêtant de parler de ce genre d'ouvrage et d'en cibler les faiblesses parce qu'on sent tout de suite la quantité de travail derrière chaque page, et Mathieu Bablet n'est pas du genre à...
le 5 oct. 2025
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