J'ai toujours dit que je préférais m'attarder (ou qu'on s'attarde de manière générale) aux petites choses de la vie qu'aux événements spectaculaires. Par exemple si je prends les films de Robert Aldrich que j'adore, je préfère ses 'petits' films ou plutôt ses films intimistes comme "What Ever Happened to Baby Jane?" , "Hush...Hush, Sweet Charlotte" , "The Killing of Sister George" ou encore "The Legend of Lylah Clare" que "Ulzana's Raid", "The Dirty Dozen" ou encore "Kiss Me Deadly". Mais bon, Aldrich est sans doute un mauvais exemple car même dans ses films les plus spectaculaires il arrive à y placer de l'intime ("The Flight of the Phoenix" est quand même pas loin d'être un huis clos). Larcenet semble s'intéresser aussi aux petites choses, sauf que sa philosophie, la raison pour laquelle il le fait sont complètement à l'opposé de mes propres convictions. Lui, ce qu'il cherche à faire, c'est sacraliser ces petites choses, comme si le bonheur se trouver dans un vieux marteau oublié dans la grange. Comme si les petites gens étaient forcément bons, braves, nobles. De mon côté, c'est l'inverse, car je cherche à désacraliser tout cela. Justement, qu'est-ce qu'une vieille photo si ce n'est déjà l'existence d'une hypocrisie, d'un mal-être. Ou plus simplement : un marteau n'est jamais qu'un marteau, c'est nous qui y ajoutons, la plupart inconsciemment plus qu'il n'en faut à sa définition. Ainsi donc, autant vous le dire, sa manière de voir m'a vraiment agacé. Mais bon, ça ne suffit pas à détester une histoire à mes yeux : je considère qu'on peut parler de tout, il m'arrive même d'adorer des films très spectaculaires ("Twister" est un chef d'oeuvre du film catastrophe blockbusterien des années 90 pour moi), alors pourquoi pas des histoires où on nous dit qu'il n'y a rien de plus merveilleux que de nouer ses lacets chaque matin...


Ben c'est une question de scénario. Pour moi, c'est ce qui fait que j'accroche ou non à une histoire. Et de là, découle la mise en scène : si j'ai adoré le scénario, je serai plus clément par rapport au travail scénique, si je l'ai détesté, alors je prendrai un malin plaisir à trouver tout ce qui cloche formellement (parfois, la mise en scène sauve tout de même un peu les pots, il arrive même que cela transcende le scénario et le rende bon, comme ce fut le cas avec "Drive").


Et donc, dans ce tome 3, ben je n'ai pas été séduit par le scénario. Pourtant ça commençait bien. Je me suis même dit : ha ça y est, Larcenet commence enfin à piger le truc, à raconter une histoire. Le fait est, il tisse des liens, les scènes prennent un double sens, ça devient agréable de voir comme l'auteur joue avec les informations qu'il a données dans les précédents albums... Et juste quand on s'attend à ce que le récit décolle, Larcenet revient avec ses gros sabots plein de boue. Mais quelle tristesse ! Au lieu de raconter une histoire, il raconte des personnages qui racontent ses convictions à lui. Et on se retrouve avec une pelletée de protagonistes qui vont débiter, un à un, chacun à leur tour, leur petite vérité philosophique. Que c'est agaçant. Je crois que toutes les trois pages il y a au moins un personnage qui énonce une 'vérité'. C'est bien joli, mais jouer la carte de la révélation métaphysique en permanence, ça n'a pas de sens : c'est le genre de choses qui se prépare. Et puis faire avancer l'histoire uniquement avec ce genre de choses, ben au final, ce n'est plus raconter autre chose que les convictions de l'auteur... or pour moi, les convictions doivent être intégrées dans une histoire. Sinon, plutôt que d'acheter les albums de Larcenet, j'aime autant aller boire un verre avec lui afin qu'il me raconte tout ça... enfin quoique, il a l'air tellement con, que ça doit être pénible de l'écouter parler...


Donc, on se retrouve avec un récit à nouveau insignifiant. même si Larcenet fait l'effort de construire quelques scènes un peu plus mémorables, avec des relations plus conflictuelles. Tout ça aprce que le discours désamorce tout : l'histoire mais aussi les personnages. Marco n'aura jamais paru aussi mou que dans ce troisième tome, à toujours sortir ses petites réflexions intelligentes, à réfléchir longuement. Et puis, j'avoue ne pas m'être intéressé à ses petits problèmes d'artiste. Ce qui est surprenant parce que moi-même je me retrouve confronté aux mêmes questions, aux mêmes doutes... mais pour clarifier les choses, je suis bien plus touché par les incertitudes de Joe Matt, qui me semblent plus viscérales, plus vraies, moins romantiques et surtout plus narrées que celles de Larcenet.


Le graphisme est plaisant. Je crois que visuellement, c'est, pour l'instant, mon album préféré de la saga. Larcenet n'en fait pas trop, mais il n'en fait pas trop peu non plus : il semble avoir trouvé la juste harmonie entre humour et drame et met correctement en scène ses dialogues. J'aime bien son trait fin, tremblant légèrement ; il abandonne presque totalement le plein et le délié, mais ça fonctionne assez bien. Les décors minimalistes fonctionnent bien aussi. Bon, on doit toujours se taper ses cases photographiques, des digressions dont on se passerait franchement tant sur le fond que la forme. Les couleurs aussi sont un peu mieux gérées : on trouve un travail d'ambiance plus poussé que dans les précédents albums, ce qui rend la lecture plus agréable. Par contre nouveau mise en page c'est toujours le néant. J'imagine qu'il faudra attendre "Blast" pour que cette question lui effleure enfin l'esprit. Parce qu'il construit ses séquence un peu n'importe comment. En fait, je crois qu'il procède par demi-page, vu la manière dont chaque moitié se termine. Cela participe sans doute aux chutes de rythme (un peu comme quand Hergé travaillait par strips, forcément, une fois qu'on met l'histoire bout à bout, ça devient assez pénible à lire avec tous ces rebondissements) et cela explique aussi pourquoi la plupart des scènes commencent à la moitié de la page X et se terminent à la moitié de la page suivante. Niveau tronches, Larcenet cherche quelques expressions nouvelles, elles sont peu nombreuses, mais c'est déjà ça. Pour en revenir à la mise en page, c'est râlant de voir que les caniveaux sont toujours aussi larges, ça déforce grandement les dessins.


Bref, même s'il y a une amélioration tant dans la narration que dans le dessin, j'avoue, au final, avoir été plus agacé avec cet album qu'avec les précédents : la faute à ces nombreux dialogues fort peu intéressants où l'auteur se contente d'énoncer ses petites vérités philosophiques digne d'un comptoir estudiantin (parce que bon, Larcenet, je le vois de plus en plus comme un ado attardé, il faut bien le dire... et comme tout ado, il se croit adulte).

Fatpooper
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le 18 avr. 2016

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