Alors que le sixième et dernier tome des aventures de Courtney Crumrin vient de paraître aux États-Unis en édition colorisée (août 2014), l’éditeur français Akileos a décidé de sortir une copieuse intégrale N&B. Une occasion en or pour découvrir cette BD jeunesse qui mêle univers contemporain et contes de fées à l’ancienne (ceux qui savent se montrer cruels).


Avant de connaître le succès avec Courtney Crumrin, l’Américain Ted Naifeh a, en vrac, adapté en BD la moitié du roman L’Ombre du Bourreau de Gene Wolfe, illustré des cartes Magic : l’Assemblée et collaboré à l’obscur jeu vidéo Slave Zero. Un homme polyvalent ce Ted.


Publiée entre 2002 et 2014, la série Courtney Crumrin s’adresse de toute évidence aux ados, avec son héroïne de 12 ans légèrement asociale. Peut-être a-t-on trop l’habitude de côtoyer des personnages de fiction fortement stéréotypés mais le caractère lunatique de Courtney la rend assez difficile à cerner. Tantôt renfrognée, tantôt pince sans rire, elle agace parfois mais s’avère finalement entière et imprévisible. Un beau portait d’adolescente qui n’oublie pas de décrire les moments de confusion intense, de curiosité maladive, de tendresse maladroite et de rage pure vécus par l’héroïne.


Lorsque Courtney emménage dans la lugubre maison de son (arrière-grand ?) oncle Aloysius, elle réalise vite que l’endroit est peuplé de créatures pour le moins étranges. Dans la forêt alentour, c’est pire, puisqu’un gobelin vorace essaye de la gober dès son premier jour d’école. En fouinant dans la bibliothèque de son oncle, l’ado comprend vite qu’elle aura besoin d’apprendre la magie pour se débrouiller. Au fil des tomes, alors que les parents de Courtney conservent leurs rôles de figurants, les liens entre l’oncle et sa nièce se resserrent, formant une drôle de relation pleine de tension mais aussi d’une certaine affection.


Le duo Aloysius-Courtney constitue le principal fil rouge entre les différents volumes, bien que chacun des six tomes soit composé de plusieurs chapitres relativement indépendants. En dépit d’un contexte contemporain, l’omniprésence du fantastique (gobelins, elfes, loups-garous, doppelgänger… et des pouvoirs surnaturels à foison) et son acceptation presque immédiate par l’héroïne fait en sorte que le lecteur a l’impression d’être plongé dans un conte de fées ou dans un récit de fantasy moderne, avec ses codes préétablis. Du coup, l’auteur ne prend jamais vraiment la peine d’expliquer en détail de quelle manière fonctionne la magie ou comment Courtney arrive très vite à maîtriser de puissants sortilèges. Cette mise en place un brin expéditive pourra en frustrer certains.


Véritable tête brûlée, notre héroïne se retrouve vite dans de grosses galères : infiltrée au cœur d’une confrérie de chats, courtisée par un vampire en manque d’amour, emprisonnée dans un marché aux esclaves, poursuivie par un monstre « décharné aux os ensanglantés »… Des situations parfois assez glauques, voire carrément macabres, que l’on ne s’attend pas forcément à trouver dans une bande dessinée jeunesse. Si la violence graphique reste modérée, le design perturbant de certains monstres peut sans problème donner la chair de poule. Toutefois, la carte de l’horreur soft n’est pas assumée jusqu’au bout car l’humour vient quasi-systématiquement détendre l’atmosphère.


Il n’en demeure pas moins que les différentes historiettes se montrent rythmées, prenantes et bien écrites, notamment les passages en « voix off ». Il est juste dommage qu’il faille attendre les derniers chapitres pour que les questions de législation pour les magiciens et de cohabitation avec les mold… humains sans pouvoirs soient évoquées (un peu superficiellement).


L’influence assumée de Mike Mignola (Hellboy) se retrouve dans les traits anguleux de certains personnages… mais pas chez Courtney, qui possède une bouille toute ronde, presque cartoonesque, mais très expressive. Fun fact : Ted Naifeh n’a pas jugé utile de lui dessiner un nez, même de profil, ce qui lui confère un look poissonneux très particulier.


Toujours est-il que l’auteur a un sacré coup de crayon et qu’il maîtrise parfaitement l’utilisation des ombres. Essentiel quand on dessine une BD en N&B brut, sans nuances de gris ! Par ailleurs, Naifeh se montre particulièrement doué pour insuffler la vie à ses créations, qu’elles soient humaines ou « Choses de la Nuit ». En ce sens, le travail sur les yeux et leurs reflets est vraiment remarquable.


Petit regret : le découpage des planches reste assez convenu, avec des cases sagement délimitées dans la majorité des cas. De plus, les ellipses ou les changements de lieux déboulent parfois de façon trop brutale. Rien de dramatique.


Pour conclure, Courtney Crumrin met en scène une jeune sorcière téméraire et attachante dans un univers visuellement splendide mais qui manque parfois d’originalité (les histoires de vampires et de loups-garous n’apportent pas grand-chose de neuf au genre par exemple). Ceci étant dit, les amateurs de créatures de la nuit et de contes merveilleux peuvent s’y risquer sans crainte.


(http://www.dailymars.net/on-a-lu-courtney-crumrin-integrale/)

VaultBoy
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le 8 nov. 2014

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Arthur Bayon

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