Vente d'armes, tueurs en série et raid au Pakistan, dans ce quatrième opus de DoggyBags, Run et ses complices explorent quelques poncifs de l'Amérique contemporaine et continuent de passer l'encaustique



sur la banalité mortifère du libéralisme et sur son absence de morale et d'humilité.



Milliardaire en perdition, légende urbaine et soupçon d'horreur macabre sous le raid le plus ausculté de ces dernières années, ce nouveau volume entretient l'humour noir et l'indécence de l'homme moderne face à ses semblables au cours de trois récits aux fières allures de fables caustiques -
in Death we trust.


Embarquement. Aux côtés d'un milliardaire négociant d'armes et de sa putain sur un luxueux yacht bientôt perdu dans la tempête. Avec Подбoркa (Sélection), Eldiablo raconte



l'humiliation et la descente aux enfers paradisiaque



d'un homme qui se croyait définitivement à l'abri des soucis.



Moi, André Bardochan, négociant en armement lourd, obligé de partir
à la chasse au lézard pour bouffer...



Molesté par celui qu'il vient de licencier, trahie par celle qu'il croyait posséder, le marchand de mort se retrouve désarmé face à l'ultime épreuve de sa propre survie, et finit par péter son câble de retenue pour basculer dans la plus pure barbarie avant de se voir secouru – au pire moment possible.
Le dessin léché de Nicolab joue sur les ombres et marque de couleurs vives l'irrémédiable chute. Portraits épais de traits secs, courbes élancées contre masses de muscles, décors étouffants sur le sable enchanteur et le bleu céleste au rivage, c'est du travail d'orfèvre.
Un cauchemar de rancœur et de sang pour le personnage, un plaisir visuel indéniable pour le lecteur.


Run nous ballade ensuite dans les denses forêts de l'Oregon, aux détours d'une route perdue au cœur de l'infranchissable immensité de hauts pins, pour s'amuser du mythe de la Dame Blanche sous l'œil profond et silencieux d'une légère chouette effraie, c'est Lady in White.



Vous nous avez coupé l'herbe sous le pied avec le mari... Ça a un
peu gâché la partie.



Un couple perdu dans la nuit noire s'embrouille autour des chemins à prendre jusqu'à ce que surgisse, hirsute et presque nu, un homme hagard, scarifié, armé d'une hache. Bientôt la police débarque, lumières hurlante des gyrophares, pour leur porter secours. Cependant ce que ces deux agents bourrus leur réservent ne correspond pas tout à fait à leurs espoirs. Encore moins à leurs attentes.
Le dessin de l'artiste est saisissant : implication des moindres détails pour de magnifiques pages d'angoisse sombre et de dérision macabre.


Rarement encore un comics de serial-killer ne m'avait autant surpris dans son déroulement intense.


Bref certes mais maîtrisé jusqu'au moindre frisson



dans l'instinct du chasseur et de ses sadiques passions animales.



Et pour clore en fanfare sur la pointe des pieds, à travers les regards illuminés en visées nocturnes de soldats désorientés, Run officie de nouveau au scénario de Geronimo – de nouveau à partir de faits réels après Vol Express 666 lors du second numéro – et convie là Guillaume Singelin à l'illustration – second numéro encore avec The Border – pour un raid nocturne – surmédiatisé – auquel un soupçon de sorcellerie à réveiller les morts vient donner un attrait particulier.



La religion leur sert d'outil, de levier pour soulever une armée
d'hommes prêts à mourir pour leurs convictions... Pas sûr que Dieu
voudrait qu'on agisse comme ça...



L'assaut de la Navy Seals Team Six contre la villa d'Oussama Ben Laden au Pakistan, rehaussé de cet angle fantastique prend des airs de Zero Dark Thirty zombie. Le scénario prend soin de jouer de la normalité le temps nécessaire avant de développer son improbable dénouement dans l'horreur et la stupéfaction pour dire combien le mal jamais ne meurt vraiment et attester que couper une tête de l'hydre, aussi grosse soit-elle, ne suffit pas à terrasser la bête.
Le dessin de Guillaume Singelin plongé dans l'obscurité de cette nuit historique transforme les héros américains en cafards défigurés sous les lunettes de vision nocturne et déforme à souhait les rictus d'agonie du terroriste numéro un. Visuellement, comme toujours avec l'artiste, c'est régal, et l'association des deux auteurs livre une nouvelle fois un récit aussi haletant et surprenant que plaisant aux assoiffés de monstres et de sang que sont leurs lecteurs :



une superbe ébauche de morts-vivants terrassés par l'horreur du devoir.



Triomphe bien mal-acquis d'une religion bestiale du sadisme et de la sauvagerie, le quatrième volume de DoggyBags est une plongée sombre dans



les contrastes d'une société de violence.



Une nouvelle excellente production du Label 619Run déploie ses talents de scénariste et de dessinateur, autant que d'éditorialiste en réunissant – on imagine avec autant de plaisir que nous – de talentueux auteurs et illustrateurs pour développer



l'angle acéré d'un point de vue volontairement poisseux, carnassier,



et d'aiguiser ce regard dans la stupeur froide et hypnotisante de récits furieusement édulcorés de pages documentaires (ou publicitaires méticuleusement grandioses), ancrant là leur travail dans la sale réalité des déshumanisations des hommes livrés à leurs plus crades et terrorisants instincts.
Avec une puissante efficacité.

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