Dans Folklords, qui vient de paraître aux éditions Delcourt, Matt Kindt, Matt Smith et Chris O’Halloran revisitent les contes littéraires. Dans un univers fantaisiste peuplé de créatures extraordinaires, le jeune Ansel, assailli de visions étranges, se lance à la recherche des « maîtres-peuples ».


S’il quitte momentanément l’univers normé des super-héros de DC Comics, Matt Kindt n’en demeure pas moins attaché aux références éprouvées. Folklords s’appuie certes sur un univers fantaisiste et inventif, mais il le saupoudre de clins d’œil appuyés. On y rencontre en effet Hanz et Greta, ersatz d’Hansel et Gretel, un renégat se faisant appeler Sal Paradise (comme se surnomme Jack Kerouac dans le roman Sur la route), une prénommée Laide qui n’est pas sans rappeler la Bête de Walt Disney, un conditionnement de la pensée par le contrôle des livres au croisement de 1984 et Fahrenheit 451, des personnages tolkieniens comme les elfes ou les trolls et une quête initiatique cochant certaines cases attendues (mauvaises rencontres, révélations, deus ex machina…).


Il ne faut pourtant en aucun cas voir dans ce premier tome un gigantesque remâché qui serait dénué de saveur. Ansel, le héros de l’histoire, est un adolescent assailli de visions étranges et hyper-réalistes. Il vit dans un monde fantaisiste peuplé de créatures extraordinaires, mais rêve d’un univers parallèle semblable au nôtre. À ses yeux, nos outils, nos voitures, nos technologies modernes apparaissent comme des objets fantastiques n’ayant aucune prise avec le réel. La quête qu’il va initier est un moyen pour lui de comprendre ces visions, de percer leurs mystères. Le jeune personnage de Matt Kindt s’apprête à vivre un double éveil : sur le monde et ses secrets, mais aussi sur lui-même, ses capacités d’action et ses aspirations. Il paraît que « le but des quêtes est de s’accomplir » et « d’être heureux d’être qui l’on est » ; d’une certaine façon, c’est ce vers quoi s’avance Ansel.


Si Folklords se dote d’un univers très référencé, il renferme cependant nombre de mystères. Ainsi, la quête d’Ansel et ses amis est censée être assignée en réaction à l’annonce de l’elfe Archer, qui a déclaré, lors d’une annonce publique, qu’il escomptait retrouver les maîtres-peuples – une idée qu’il a volée à son ami Ansel. Jusque-là, les quêtes étaient considérées comme une occasion de quitter le village, voire de rencontrer une princesse. Un opium pour le peuple, strictement régenté par la Guilde des bibliothécaires. Mais cette fois, cette caste dirigeante, se révélant ouvertement autoritaire, décrète que toute initiative personnelle sera sévèrement réprimée. Pis, « toute violation sera punissable d’une exécution immédiate ». Nonobstant ces avertissements, Ansel s’aventure hors du village et s’apprête à faire des rencontres mémorables…


L’impression qui prédomine à la lecture de cet album, c’est que Matt Smith et Chris O’Halloran n’ont pas pleinement saisi l’opportunité de créer un univers singulier. Les dessins sont relativement décevants, les expressions faciales seulement ébauchées (hors gros plan) et les décors pas toujours des plus surprenants. Rien ne tient vraiment de l’échec, mais la dimension graphique pèche malgré tout par manque de singularité et de sophistication. Là où Folklords se distingue, c’est plutôt au niveau du rythme, échevelé, des sous-propos – le racisme envers les gnomes, par exemple – ou de la description du pouvoir autoritaire – des « impôts fonciers exorbitants » à Bibliothèque des livres interdits en passant par la formation de mouchards et d’espions sous le prétexte des quêtes – « Les quêtes ne sont qu’un mensonge qu’ils racontent pour nous distraire ». En sus, l’identité et le point de vue de la narratrice ne sont révélés que graduellement, ce qui laisse planer un mystère supplémentaire sur le récit.


Mais la principale promesse de Folklords est ailleurs. Elle tient à la mythologie en construction (la « Première guerre des peuples », l’asservissement des gnomes, les mondes parallèles…). Elle se dévoile aussi à travers le personnage de John Ronald, « un tisseur d’univers, un sculpteur, donnant la vie par [sa] simple imagination ». Qu’en est-il de cette obscure « chambre des écrivains » ? Faut-il déceler dans la conclusion de ce premier tome un parallèle entre Dieu et les auteurs, semblables dans leurs capacités créatives, dans leur pouvoir de vie ou de mort ? Pour le savoir, il faudra patienter jusqu’à la parution du prochain album…


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Cultural_Mind
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le 17 févr. 2021

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