Gantz
7.2
Gantz

Manga de Hiroya Oku (2000)

Découvert d’abord par l’entremise de son portage animé, honnête mais incomplet (et dramatiquement lent), Gantz fut une véritable révolution en son temps : le genre de celle qui rime en lecture enfiévrée, hypothèses en pagaille et attente douloureuse. Certes, de l’eau a depuis coulé sous les ponts, de quoi peut-être relativiser un choc de jeunesse (en partie) contextuel : néanmoins, le manga culte d’Hiroya Oku n’a en réalité rien perdu de sa verve ni de son brio, bien que sa relecture s’accompagne de nuances.


Car en effet, les tribulations de Kei Kurono et consorts ne sont pas exemptes de tout reproche, les partis-pris narratifs de l’auteur nourrissant tout du long une impression de décalage prégnant. Dans les faits, c’est comme si de vilains trous criblaient un récit pourtant déjà dépareillé, Gantz ne s’embarrassant d’aucune fioriture : avec sa propre définition de l’essentiel, le manga tend ainsi à abandonner en chemin des pans d’intrigue plus ou moins importants, les « vampires » (et un certain Akira) ne l’illustrant que trop bien.


Paradoxalement, il est indéniable que cela concourt aussi à l’identité de Gantz, lui qui fait la part belle à une noirceur de ton n’ayant d’égale que la distance (du moins est-ce notre impression) avec laquelle il traite son sujet : nihilisme et morale à la dérive (ou inexistante) sont les gages d’une atmosphère sombre à souhait, tandis que la science-fiction va s’incarner de manière à creuser le malaise ambiant. Décédé accidentellement des suites d’un acte altruiste ne lui ressemblant pas, la figure de proue qu’est Kei Kurono cristallise les partis pris cyniques du mangaka, sans que celui-ci ne cède aux sirènes du manichéisme : ainsi, le cadre de la chambre et de sa mystérieuse boule noire, puis des missions y succédant, va coupler opacité intrigante et évolution probante de ses pauvres hères.


Implacable dans sa violence et ses développements, Gantz n’est tendre avec aucun de ses personnages, ni son lectorat : tout ou presque sert un dessein dont le sens nous échappe, et son décorum ludique (points, boss, récompenses) confère au tout une envergure autrement plus sinistre. Mais surtout, Oku s’appliquera jusqu’au bout à dépeindre l’arrogance humaine, intelligence, libre arbitre et morale(s) se voyant réduites à des mirages dont se nourrit l’humain, bien déterminé à occulter la vacuité relative de l’existence. Son dernier arc, injustement décrit comme étant en rupture avec le reste, poussera la réflexion encore plus en avant, à la devanture macabre de l’extermination se joignant des « révélations » foulant du pied les croyances les plus communes de notre genre.


Gantz consiste aussi en une montée en puissance démentielle, les « discrètes » missions initiales préfigurant d’une difficulté croissante, chose ayant certainement trait à l’approche de la « Katastrophe », longtemps tenue secrète. Ainsi, à l’instar de cette dernière, de loin la plus longue et la plus étendue du lot, nombre de séquences mémorables vont compartimenter le manga, poussant toujours plus loin une démesure et une horreur polymorphes : la mission d’Osaka ne l’illustre que trop bien, elle qui rebattera les cartes jusqu’à un final en apothéose.


Dans un registre plus commun, Oku s’en tire parfaitement avec son emblématique Kurono, son humanisation et sa relation avec Tae (d’une belle justesse, exception faite de son sauvetage à rallonge lors du dernier arc) témoignant d’une écriture pas seulement réservée à l’action pure. Dans cet ordre d’idée, chaque membre de la Gantz Team aura droit à son propre axe, étoffant ainsi les prétentions intimistes d’un manga sachant lier l’ordinaire au spectaculaire : ce qui est d’ailleurs l’une de ses principales composantes, la boule noire précipitant en « enfer » le premier venu à des fins qu’elle seule connaît.


Bref, comme aux antipodes d’une lecture rapide comme pas deux, les dialogues se voyant réduits à leur plus simple appareil, Gantz s’avère être d’une richesse palpable en plus d’être unique en son genre : un sentiment conforté par son graphisme si particulier, l’emploi de l’ordinateur par Oku exacerbant la froideur de l’œuvre en emprisonnant davantage ses protagonistes dans une dimension qu’ils ne maîtrisent pas. Un immanquable du seinen fantastique en somme.

NiERONiMO
9
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le 29 oct. 2023

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