A la lecture de ce manga, par ailleurs archi-célèbre, on acquiert rapidement la certitude qu'il s'agit là d'une des BD les plus importantes du XXe siècle, tout simplement. Et je pèse bien mes mots.
Franchement, les 4 ou 5 premiers tomes (ceux qui décrivent les conséquences les plus immédiates de la bombe atomique sur les populations d'Hiroshima) devraient tout simplement être une lecture obligatoire en cours d'histoire! (bon, plutôt vers la fin du lycée, car les images étant extrêmement crues - on pourrait dire d'un réalisme insoutenable, obligeant, de façon salvatrice, le lecteur à cesser de se voiler la face sur la nature de cette arme, et plus largement de la guerre - elles sont nécessairement choquantes, au point d'en faire des cauchemars soi-même, dans notre canapé d'un petit salon tranquille dans un pays en paix depuis des décennies...).
D'habitude, je ne suis pas un énorme fan des œuvres didactiques (à messages), mais ici, la leçon que veut nous donner le mangaka (qui s'appuie en grande partie, malheureusement pour lui, sur ses propres souvenirs) est si puissante, si primordiale, qu'elle balaie instantanément toute réticence. Et si Gen a des allures d'héros shônen assez classique, cherchant toujours à positiver face à des situations terrifiantes, on comprend bien qu'il s'agit là de la seule façon de ne pas sombrer dans le désespoir, voire dans la folie. Car, outre la dénonciation de la guerre et de tous ceux qui s'en font les porteurs, aux dépens des populations civiles, il s'agit aussi d'un grand manga sur la résilience, qui nous apprend à relever la tête et à profiter totalement de la vie, tant qu'elle est là, malgré les coups durs de l'existence (et dieu sait que Gen va en rencontrer un paquet lors de son odyssée dans les décombres d'Hiroshima.
La 2e moitié du manga a sans doute moins le caractère d'uppercut que la 1e, mais nous brosse néanmoins une grande fresque, avec beaucoup de souffle, sur le Japon de l'après-guerre et de la reconstruction, nous montrant l'occupation américaine, des survivants durement cabossés et constamment sous la menace d'un cancer foudroyant (thème également abordé, mais de façon beaucoup moins frontale - et puissante - par une mangaka comme Fumiyo Kôno), tous les parasites (yakuzas, politiciens véreux, organisateurs du marché noir, occupants, etc.) qui prospèrent immanquablement sur la détresse de populations quasiment abandonnées à elles-mêmes au soir de la défaite. La mangaka a clairement la rage en lui lorsqu'il crée ce manga entre 1973 et 1985, à une période post-68 où les auteurs se font (peuvent se faire) plus critiques et sévères vis-à-vis des dérives abominables du nationalisme japonais, et cette rage se transmet à chaque page de ce manga où les vengances symboliques et cathartiques vis-à-vis des "puissants" se multiplient.
Que dire de plus? Sans aucun doute un des mangas à avoir lu dans sa vie, et clairement l'un, si ce n'est le plus puissant sur le (grave et fondamental) sujet qu'il traite. A bien chercher, il n'y aurait peut-être que L'Histoire des 3 Adolf de Tezuka pour lui arriver à la cheville.
J'essaierai également de me pencher rapidement sur les adaptations en longs-métrages animés, de Madhouse, qui, paraît-il, valent clairement le coup d'oeil.