Est-il encore besoin de présenter John Constantine, anti-héros de l’univers DC comics, créé par Alan Moore dans les années 80 au détour d’une intrigue de Swamp Thing ?

Dessiné sur le modèle du chanteur Sting, Constantine est un sorcier des temps modernes, un originaire de Liverpool, à l’éternel trench coat élimé, à l’accent cockney et à la vanne facile, fumeur invétéré et incorrigible misanthrope. Imaginez un Dr House de l’occultisme et vous vous ferez déjà une image approchante. Remarqué et apprécié par le lectorat de l’époque pour sa verve toute en finesse, Constantine eut très vite droit à ses propres aventures dans les comics Hellblazer (le titre Hellraiser étant déjà pris). Adapté en 2005 au cinéma dans le très bon film Constantine de Francis Lawrence qui connut pourtant un flop à sa sortie en salles (en pleine hype post-Matrix, Keanu Reeves y prêtait alors ses traits peu ressemblants au personnage-titre) puis en 2014 dans une chouette série d’une saison avec Matt Ryan qui échoua elle aussi à attirer l’audience (et dont le dixième épisode reprenait la trame de cet album), John Constantine semble être un personnage incompatible dans le panorama plutôt propret d’une époque qui préfére les héros lumineux aux anti-héros ambivalents. Preuve en est, il a carrément été zappé de la superbe série Sandman (alors qu’il était présent dans les comics éponymes) où ils ont féminisé le personnage (un truc à la mode depuis la série Hannibal) via la plus politiquement correcte Johanna Constantine (en fait, dans les comics, la première Johanna Constantine est l’aïeule de John), une séduisante occultiste qui ne fume pas, ne jure pas, présente bien, et surtout qui remplit les quotas de Netflix. Selon Neil Gaiman, il s’agit d’un problème de droits, le John Constantine (non fumeur) incarné par Matt Ryan étant présent dans une autre série DC, Legends of tomorrow, il semblerait qu’un reboot concernant John Constantine sur HBO soit en préparation. Quoiqu’il en soit, il est un peu dommage de ne pas avoir intégré le personnage dans la série Sandman.


Bref, John Constantine est un sorcier et un détective de l’occulte pas vraiment digne de confiance, et dont l’âme promise au diable charrie son lot de culpabilité et de fantômes, beaucoup de gens étant morts par sa faute. Cynique, rusé, et même parfois assez lâche, il ne tremble devant aucun démon ou divinité ancienne mais craint les rapports de force humains un peu trop virils. Cela ne l’empêche pas d’avoir la vanne facile et un sens de la répartie aussi mordant qu’irrésistiblement drôle, surtout quand ça lui vient dans des situations surnaturelles où le commun des mortels crèverait de peur.


Au cours des trente dernières années, bon nombre de scénaristes et de dessinateurs réputés ont donné vie à ses aventures. Si Alan Moore a créé le personnage, c’est surtout sous la plume de l’incorrigible trublion Garth Ennis (Preacher, The Boys), du subversif Warren Ellis (Transmetropolitan, Planetary), du sombre Paul Jenkins (Spawn the undead) et du plus réaliste Brian Azzarello (Joker, Batman Damned) que John Constantine est devenu le personnage culte des comics DC Vertigo.


Scénarisé par Mike Carey, Toutes ses machines, paru en 2007 chez Panini comics, est un des one shots les plus connus et réussis sur le personnage. Contacté par son ami Chas, dont la petite fille, plongée dans le coma, a vu son âme prise en otage par Beroul, un démon affairiste, Constantine se voit obligé de traiter avec ce dernier qui le charge d’une mission périlleuse en échange de l’âme de la gamine. Flanqué de Chas, chauffeur (John n’a pas le permis) et garde du corps, le détective de l’étrange doit alors déranger le repos d’une divinité très ancienne, au risque de la contrarier, et passer un pacte avec elle. Mais Constantine est roublard, il parvient souvent à retourner les choses à son avantage, même quand il s’agit de duper monstres, démons et déités séculaires.


A priori simpliste, l’intrigue de Toutes ses machines est la porte d’entrée idéale pour tous ceux qui voudraient découvrir cet univers de sortilège où les humains côtoient à leur insu des divinités aussi anciennes que jalouses de leurs adeptes et de leur culte perdue (d’autant plus que le volume se clôt sur un épais dossier concernant l’histoire du personnage). Dans un monde moderne où les anciens dieux et autres forces obscures semblent n’être que des mythes, des fables, ceux-ci se dérobent au regard des hommes et répondent par le courroux lorsqu’on les invoque à la légère. Preuve en est, cette déité aztèque oubliée dont Constantine se servira pour éliminer certaines forces malveillantes de l’équation. Le principal antagoniste de l’intrigue, lui, est la métaphore du libéralisme sauvage et de de la soif d’enrichissement de certains puissants. Son apparence rebutante, proche de celle d’un Jabba the Hutt en costard ou en peignoir-pantoufle, ainsi que sa piscine privée, versent ouvertement dans l’horreur pure tout en clignant de l’oeil aux dérives de certains nantis peu scrupuleux, se nourrissant littéralement de l’énergie des autres et se vautrant dans la fange de leur propre immoralité. Mais tout le monde a sa bête noire et le châtiment vient parfois aussi aux pourris qui se pensent à l’abri de tout. Tout cela sous le regard emplie de malice d’un anti-héros qui ne manque jamais une occasion pour jeter une punchline qui fait mouche.

À peine pourra-t-on reprocher à l’album, un scénario qui manque d’audace et dont les péripéties ne rendent pas vraiment justice à l’ambivalence inhérente au personnage de Constantine, ce dernier étant en général loin d’être aussi héroïque et désintéressé que dans cette histoire.


Les illustrations de Leonardo Manco sont superbes de noirceur, tout en détails sordides et en couleurs ocres et crépusculaires. L’artiste compose des planches exhalant une atmosphère dantesque à souhait et qui rend parfaitement justice à l’univers du sorcier. À ce jour, avec Sean Murphy, Richard Corben, Steve Dillon et Simon Spurrier, Manco reste un des meilleurs artistes ayant oeuvré sur la franchise. Sûr que les amateurs de fantastique et d’horreur, bouffeurs de Barker, Brite, Gaiman et McKean, aimeraient apprécier plus souvent ce genre de beauté occulte, si tant est qu’on puisse la distinguer parmi les ombres.


(Et oui, c’est bien la couv' qui me sert d’avatar depuis 2014)

Buddy_Noone
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le 25 juil. 2025

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