Ikigami et les conséquences de l'indifférence

Se laisser mourir pour permettre aux autres d’apprécier la valeur de la vie, voila ce que prône le gouvernement dans lequel Ikigami s’inscrit. Dans un futur proche, dans un pays calqué sur le Japon moderne, une loi est entrée en vigueur depuis un moment ; « La loi pour la prospérité nationale ». Derrière ce nom politiquement correct se cache le moteur fulminant de la dystopie que Mase Motorô construit. Chaque enfant se voit injecter un sérum dont une faible quantité provoque la mort entre l’age de 18 et 24 ans. Le gouvernement déclare que de voir des vies s’arrêter réveille l’envie de vivre, sans preuves à l’appui, sans que nous connaissions vraiment le contexte dans lequel la loi à été acceptée.


Pour les moins chanceux des citoyens, un employé sous les directives gouvernementales leur remet 24 heures avant leur décès un « Avis de mort » ( aussi appelé l’Ikigami), période durant laquelle ils peuvent bénéficier de quelques avantages matériels. Le mangaka alterne sa narration en se concentrant tantôt sur un des messagers de la mort – Qui sert de trame principal – tantôt des victimes du système qui reçoivent leur avis de décès. On observe donc en grande partie, la vie des dernières 24 heures de différentes personnalités et c’est la qu’Ikigami regorge de finesse. Au delà de son caractère concret – Bordé dans un réalisme très pointilleux -, Ikigami dresse une fresque sociale ainsi qu’un discours parfois presque Camusien tant il critique le caractère passif des citoyens face à une menace grandissante – Thème de « La peste » -, préférant le déni ou l’acceptation à la réaction. Le manga met en relief la mort, et chacune des victimes arbitraire du système dans lequel ils évoluent produit un discours relatif à un passé, un présent – A savoir, que vont-ils faire de la dernière journée de leur vie – et l’absence de futur. Révolte, remords, haine, apaisement, fierté sont autant de facettes que la mort prend dans Ikigami et c’est de cette diversité qu’émane la puissance de l’œuvre. En parallèle, nous suivons donc un des « messagers de la mort », « Kengo Fujimoto », qui, contrairement aux simples habitants vivant dans la tranquillité relative de la vie jusqu’à ce que la malchance frappe certains , est entouré de ce qui compose cette loi. Nous suivons ses interrogations quant à la légitimé de retirer le droit de vivre sans réelle justification et l’effroi grandissant que celui-ci subit quand il se rend compte que la moindre question à ce sujet est suspicieux et synonyme de condamnation à mort. Il comprends lentement que ce système alimente la peur, chaque collègues de travail, amis ou voisins devient un potentiel ennemi qui peut dénoncer les propos suceptibles de desservir la loi de Prospérité Nationale. Les objectifs de l’État deviennent de plus en plus suspicieux à mesure que se dévoile cette dictature déguisée. En proie à un dilemme entre son cœur et sa raison, notre héros tente de subsister dans ce milieu où la sensibilité n’a plus sa place. Baigné dans une paranoïa lancinante, on perçoit par le biais de sa pensée le vacillement incessant de son sens moral dont il est censé se débarrasser. Chaque révélation fait l’effet d’une bombe, autant pour le lecteur que pour le messager de la mort, réveillant l’humanisme que tous, autant que nous sômmes, nous tentons de réprimer pour mieux nous adapter à un système que nous avons accepté dans un premier temps, seulement par indifférence. Ikigami, malgré la conventionnalité de son esthétique, se démarque par la minutie avec laquelle les rapports humains sont traités, dans le soucis apporté à créer un univers plausible. Le manga provoque, ne laisse que peu de répit aux lecteur qui cherche à se distrairent, prend son temps pour développer son fil rouge, pour exploser dans un final quelque peu attendu, mais dont le message demeure grandiose. La réussite du manga est multiple, la fresque sociale dressée est tellement bien ficelé qu’il est difficile de ne pas céder au sentimentalisme ; le propos humain se prête aux événement passés autant qu’à notre présent, ce qui lui donne une valeur ajoutée par son actualité ; et pour finir, aucun des personnages présentés n’est vide, chaque « Préavis de mort » découle sur une histoire qui pourraient être indépendante les unes des autres

Basile_Gantelet
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le 28 mars 2017

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Basile Gantelet

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