Kamui-Den
8.5
Kamui-Den

Manga de Sanpei Shirato (1964)

Quand les auteurs politisés avaient du talent

Attention, on touche à un classique. Sans traiter l'œuvre avec les gants de velours qui s'imposent, on peut risquer la fatwa. C'est toujours assez difficile, même avec une modeste connaissance de l'évolution du manga, d'estimer la part de mérite d'une œuvre spécifique eu égard à ce qu'elle proposait pour l'époque.
Les compositions comptant parmi les plus anciennes, le plus souvent, vieillissement mal si on ne sait pas les voir pour ce qu'elles sont. On mesure difficilement l'influence qu'elles ont pu avoir à un moment donné, le caractère révolutionnaire qui bouillonnait derrière chaque page d'alors.
Mais la révolution, deux siècles plus loin, ça a presque l'air anecdotique. Il est difficile, avec des yeux de modernes, de regarder d'un œil nouveau ce qui subsiste du monde ancien. Kamui-Den était une de ces révolutions dans le milieu du manga. Les années 60 ont vraiment constitué une année de bascule dans le milieu du manga et nous autres qui, de si loin, constatons avec les yeux plissés ce qui fut jadis, ne mesurons par toujours les infinis vertus de ce qui nous parvient avec des décennies de regard. C'est mon cas.


Parce que Kamui-Den, ça a près de 60 ans. Il s'agit par ailleurs de l'œuvre la plus ancienne que je critique à ce jour, détrônant une légende d'il y a un demi-siècle. Une légende dont j'avais cette fois su estimer l'impact et le génie.
Aussi, Kamui-Den, ça n'est pas seulement un manga, mais un vestige. Un vestige qui, cependant, impressionne beaucoup moins alors que tous ceux qui lui ont succédé s'en sont peut-être inspirés à divers égards. Ce qui avait été révolutionnaire jadis est devenu commun à ce jour. Or, si l'on a trop longtemps baigné dans ce qui est commun au point de s'en imprégner, on peine à déterminer ce qui, en 1964, faisait de Kamui-Den une si belle exception.
Aussi, que les lecteurs de cette critique qui se scandaliseront de la note se rassurent, j'admets présentement avoir mis des lunettes de moderne pour lire un script antique et néanmoins prestigieux. De ce seul fait, je n'ai pas l'acuité critique qui me permettrait de lire entre les lignes pour mieux percevoir une grandeur objective que je ne contribue finalement qu'à salir du regard.
Qu'on me voue aux gémonies, qu'on me pardonne ; peu importe. Mais qu'on prenne la peine de considérer qu'en écrivant ce que je vous fais parvenir ici, je n'ai pas nécessairement les outils critiques pour apprécier ce que j'ai lu à sa juste valeur.


Kamui-Den, c'est Sanpei Shirato (Noboru Okamoto de son vrai nom). Sanpei Shirato, c'est un homme qui se sera payé le culot d'avoir eu Goseki Kojima comme assistant. Un assistant que je tiens pour un héritier quasi-biologique. L'ADN du dessin et de la narration de Shirato et de Kojima sont en effet analogues et semblables en tout point.
Cette proximité - notamment graphique - doit tenir au fait que Kojima a probablement tenu les pinceaux à plus d'une reprise pour dessiner certains personnages. Les deux hommes ne sont plus que poussières et cendres (Shirato nous a quitté six mois avant que je rédige la présente critique), je ne peux donc que spéculer, mais j'ai le sentiment que le manga se sera partagé entre son auteur et son principal assistant d'alors. Le style est décidément trop proche pour ne pas m'évoquer ce sentiment.


Du peu que j'ai glané de Shirato, j'aurais appris qu'il était l'un des premiers mangakas marxistes de sa génération. C'est pas mon crédo le marxiste dans une œuvre. Vraiment pas.
Faute de contradicteur dans l'instant présent (c'est confortable d'écrire une critique), je m'objecterai à moi-même que, néanmoins, le marxisme de 1964 n'est pas celui dont on nous abreuve à ce jour. Car avant d'être une infection suppurée typiquement post-moderne, le marxisme, ça a aussi été autre chose. Autre chose que la décadence instituée, autre chose que 765 genres référencés malgré deux modèles d'appareils génitaux, autre chose que la lutte des sexes et la lutte des races pour cacher le lutte des classes, autre chose que la défense d'opprimés-oppressants, autre chose que le contrôle totalitaire tous azimut, autre chose que l'uniformisation de la pensée, autre chose que l'annihilation de l'esprit critique et cela entre autres joyeusetés dont nous savourons encore aujourd'hui la fragrance des miasmes méphitiques.


Car figurez-vous qu'il fut un temps où les penseurs marxistes se souciaient des travailleurs. Mais puisque je vous le dis !
Ce temps fut clairement révolu et achevé à bout portant environ quatre ans après la première parution de Kamui-Den qui, alors, profita d'un courant de pensée encore pertinent au moment de son écriture pour ce qui concernait son corpus idéologique. Sans trop le forcer dans son œuvre bien que s'assurant que sa pensée soit néanmoins ostensible, Shirato transpose la grille de lecture marxiste à la condition paysanne japonaise à l'époque d'Edo.
Chacun jugera de la pertinence de la démarche, celle-ci, cependant, ne gâte en rien la qualité de la lecture ; celle-ci a sa place. Voilà qui devrais servir d'inspiration à certains auteurs très vaguement marxisants qui ne savent pas insinuer discrètement l'idéologie frlatée qu'ils ont à nous vendre. Je n'ai finalement rien contre la propagande dans une œuvre à condition qu'elle soit assumée, raisonnée et discrète ; qu'elle ne prenne pas le dessus sur l'œuvre en elle-même. Kamui-Den accomplit cet exploit. Un exploit qui n'aura que très rarement été réitéré par la suite. Seul Lady Snowblood - avec un corpus idéologique aux antipodes - me frappe comme un autre exemple de réussite dans ce registre.


En l'absence de connaissances sur le contexte paysan à cette époque au Japon, j'en serais venu à crier au misérabilisme dans l'œuvre présente. Mais il ne faut pas oublier que lorsque nous avions le Roi Soleil, le Japon en était encore à la doctrine Stupeur et Tremblement entre autres tristes joyeusetés locales.
De quoi faire relativiser grandement le servage européen qui avait encore cours des siècles auparavant. Toujours est-il que Kamui-Den s'inscrit dans ce contexte.


C'est très sourcé. Trop sourcé ? Peut-être. On n'est jamais trop informé sur un contexte ou quoi que ce soit y ayant trait, mais il ne faut pas oublier que le propre d'un manga est de raconter une histoire - indépendamment de la forme de cette dernière. Effectuer sans cesse des haltes pour s'informer donne parfois à Kamui-Den des apparences de notice explicative. Les explications sont exhaustives, instructives, passionnantes à certains égard, mais elles nous détournent trop souvent de l'œuvre. Un récit, à mon sens, doit savoir développer le contexte dans sa narration et non pas se contenter de l'expliquer pour nous le servir tout cuit. L'approche allusive et progressive du contexte est parfois préférable. Souvent à vrai dire.


Il y a toutefois quelque chose de déroutant, de fascinant même, à observer un combat se dérouler en parallèle de longues explications sur la monnaie. Des explications par ailleurs très pertinentes, valant de loin n'importe quel cours d'Économie.
Mais est-ce que trop de détails tue le détail ? Les aficionados de Hunter x Hunter - PRÉSENT ! - vous répondront que «Non». Mais Kamui Den tourne parfois au roman graphique ; c'est à signaler.


Les chroniques des trois personnages m'auront inévitablement fait penser à Hanzo no Mon. Le manga, après tout, était signé d'un certain Kazuo Koike, guidé par la main de Goseki Kojima. Le genre Gekika - qui correspond vraiment à une époque dibbée - présente le net avantage d'être très mature, mais l'inconvénient majeur d'être lourdement codifié pour ce qui concerne la structure de son récit.
Même s'ils sont loin de tous se valoir, il n'y a rien qui ressemble plus à un Gekiga qu'un autre Gekiga.


Les dessins - certes datés après 60 ans - sont pourtant très expressifs en trouvant le moyen d'être justement épurés. J'en venais souvent à penser qu'ils avaient été retravaillé tant le rendu est finalement spectaculaire pour l'époque. Il aura fallu me résoudre à admettre qu'ils étaient simplement très en avance sur leur temps.


Mais pour ce qui est de l'intrigue en elle-même - très dense celle-ci - je dois bien avouer que je m'en suis détourné durant ma lecture. Des mois après avoir lu manga, des informations sur ce dernier, je n'en ai retenu que des bribes. La faute, sans doute, à la saturation d'encarts informatifs sur le contexte qui m'en détournait sans cesse et des intrigues trop souvent épisodiques.
Les personnages, qui plus est, n'étaient pas transcendants. Forcément, ils supplantent de loin ce qui se fait aujourd'hui - quelqu'un a dit «décadence» ? - mais ils ont ce travers des personnages de mangas de l'époque. Ce travers qui s'illustre par une rigidité dans leur l'écriture de leur comportement. Les protagonistes sont approfondis et développés mais relativement peu nuancés.
Ils ont la substance mais il leur manque le charisme.


Kamui-Den, c'est un répertoire d'histoires complexes comme j'ai le sentiment d'en avoir toujours lu en parcourant les Gekikas. Les déboires de Ryunoshin, tout particulièrement, m'auront arraché quelques bâillements. Il me manque l'intensité que je pouvais espérer d'une pareille lecture.


Si j'ai compris en quoi l'œuvre était une révolution dans le monde de l'édition manga à l'époque ? Je l'ai plus appréhendé que compris. Le fait révolutionnaire, je l'observe sans en saisir la provenance ou la portée. La faute m'incombe à moi et mon absence de connaissances sur l'époque de la parution. J'imagine qu'il faut avoir vraiment connu l'époque pour caractériser en quoi l'œuvre a mis le feu aux poudres.


Profane, moderne - mais pas iconoclaste pour une fois - je ne fais pas honneur à la lecture. Celle-ci ne m'a pas transporté ; il n'y a pas eu de résonnance avec mes affinités de lecteur. Bien que j'ai conscience que je devrais louer Kamui-Den pour ce qu'il est, je ne sais pas par où le saisir pour trouver motif à l'encenser démesurément.
La note que j'attribue ne représente pas ici la qualité de l'œuvre ; mon ressenti a simplement pris le pas sur mon sens de l'observation froid et objectif. Kamui-Den, il y a sans doute beaucoup plus de choses de bien à en dire, mais je ne suis ni assez perspicace et encore moins suffisamment éloquent pour le formuler ou même le comprendre.

Créée

le 20 févr. 2022

Critique lue 456 fois

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Josselin Bigaut

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