Admettons-le, il y a un quelque chose de déphasant à trouver Taniguchi derrière un manga de samurais . Sans que je ne sache exactement dire pour quelle raison, peut-être car ses trames étaient davantage portées vers le monde moderne jusqu’à lors, j’ai été surpris de le voir s’essayer à ce registre, là où je ne me serais jamais douté qu’il y aurait sa place.


Et sa place, il la trouve à mon sens d’autant mieux qu’il se borne au crayonné. Naturellement, il posera sa patte par-delà son seul style graphique, instillant cette ambiance feutrée et quiète qui émane comme toujours de ses compositions. Il n’empêche que je me suis surpris à le trouver là, accompagné de Kan Furuyama qui, à ma connaissance, n’a jamais été l’auteur que de ce manga-ci. Rien d'autre de lui ne sera jamais parvenu jusque dans nos contrées.


Ancré dans une forme de naturalisme lyrique et mélancolique, j’attendais de Jirô Taniguchi qu’il nous présente des martialistes crédibles. Quelle ne fut pas ma surprise de voir, à compter du premier chapitre, un ninja fendre, d’un seul coup de sabre, un Bouddha de bronze haut de quatre mètres au moins. Ça fout un coup, et un sévère.


L’exposé – nécessaire pour une remise en contexte historique – pèche par une lourde carence en subtilité, où chacun présente et expose à voix haute et longtemps ce qui, en principe, tient d’une évidence. Imaginez-vous, dans un futur lointain, rapporter sur papier un épisode anodin de ce que nous vivons en 2022 (la rédaction de cette critique remonte à trois ans). Un personnage regarde la télévision avec un ami et lui fait savoir le fond de la pensée qu’il a collée à l’occiput :

« Regarde-le, cet homme-là, Emmanuel Macron, président de la République Française. Ne porte-t-il pas sur lui la responsabilité de la crise économique que nous vivons, vectrice de bouleversements sociaux radicaux susceptibles d’aller en s’accroissant au détriment de l’ordre et de la prospérité ? »
« Tu as raison. Il est cependant difficile de croire que cet homme, élu en 2017, puis à nouveau porté au scrutin en 2022 – chaque fois avec quelques doutes quant à la légitimité de son élection – soit unique responsable. Ses ministres sont certes incompétents, mais sélectionnés par les soins du Premier ministre en exercice afin de ne pas lui faire de l’ombre. Ce sont davantage les cabinets de conseil américains, les tenants du World Economic Forum, ses anciens employeurs de la banque Rothshild et autres affidés aux tendances pro-atlantistes qu’il faut porter au piloris »
« Ah, quand donc avons-nous accepté d’être une colonie officieuse des Américains ? La parenthèse gaulliste des années 60 nous a certes sorti de leur giron, mais la laisse se fait sentir chaque fois plus serrée autour de notre cou depuis le départ du Grand Charles, qui était son surnom. Et il s’en trouve pour nier cet état de fait, car des médias eux-mêmes pro-atlantistes en Diable et aux ordres saturent les masses d’une propagande intensive en pointant du doigt la Russie, l’extrême droite et l’Islam pour tout problème interne afin de dédouaner opportunément les réseaux d’influence résolument nocifs tournés contre la nation »

L’exposition qui nous est alors faite d’Edo est de cet ordre-là. Là où, en réalité, pareil épisode, si on l’avait rapporté plus authentique dans son approche, se serait borné à :


« Regardes-y, voilà l’autre tafiole qui passe au poste »
« Tu savais qu’il se faisait enculer par Brigitte, dis ? »

Le récit, de là, perd cruellement en spontanéité. Spontanéité qui, par ailleurs, n’a jamais été la marque de fabrique de Taniguchi, trop habitué à prendre son temps en toute entreprise qui lui venait.


Bien que son dessin soit correct et essaye de faire passer les joutes au sabre pour réalistes, elles restent froides. Sans vouloir lui offense, en matière d’action, le trait de Taniguchi a, au bas mot, une quinzaine d’année de retard par rapport à la date de parution d’alors. Ce qui ce devrait d’être fluide et dynamique s’avère ici rigide et pataud. Ajouté à cela la facilité avec laquelle Jinbei a occis tout ce qui lui sera passé à portée de sabre, et vous ne tirez aucun plaisir des affrontements qui se succèdent sans panache ni incertitude quant à leur issue.

C’est chipoter que d’écrire cela, j’ai comme quelques inclinaisons pamphlétaires qui m’y prédisposent, car le résultat est malgré tout correct. Mais il n’est que correct. On n’en attend rien et, c’est heureux, car nous n’en retirerons rien non plus.


Le moindre dialogue qui nous parvient paraît sorti d’un film d’époque. Le cinéma romançait alors exagérément la période, une approche plus vraie aurait été préférable, celle-ci ne faisant alors que singer les tares du cinéma japonais.


Des visages ne s’illustrent que peu de sentiments. Taniguchi n’a en effet jamais été réputé pour ses personnages expressifs, néanmoins, cela importait peu auparavant, car les tons à demi léthargiques de ses protagonistes comblaient les enjeux de l’œuvre. Et sans doute est-ce pour ça que je me le représentais difficilement dans une affaire de sabres et de complots ; les personnages, trop calmes et paisibles dans ce qu’ils affichent, tombent inadéquats dans un contexte supposément houleux et critique.


L’intrigue est inintéressante au possible avec les histoires de complot larvé pour une histoire de parchemin. Avec des desseins pourtant davantage tournés vers les combats de ses protagonistes, un Basilisk avait su bien mieux tourner son script pour multiplier les remous imprévisibles. Tout ira cependant de soi dans le cas qui nous concerne, Yashamaro et Jubei empilant chacun les cadavres de figurants d’ici à ce qu’ils ne se retrouvent pour une confrontation finale où Jinbei lavera l’affront de sa précédente défaite – dont il sera pourtant ressorti vivant.

On peut difficilement faire plus ampoulé, même avec un culot à vis ou le vice d’avoir ce culot ; celui de nous offrir une histoire écrite d’avance du fait qu’on l’ait lue et vue mille fois ailleurs.


L’argument d’autorité n’ayant que peu sinon pas d’emprise sur moi, on ne me fera pas me mettre à genoux les mains jointes au prétexte que l’affaire soit signée Taniguchi. Un auteur à qui je n’ai d’ailleurs jamais attribué de note supérieure à 6/10, car assurément trop spécieux dans son procédé narratif.

Pire que mauvais, c’était quelconque, et il aura fallu qu’ils s’y mettent à deux pour nous gâter l’affaire. Une lecture de Le Livre du Vent suffira à ce que vous compreniez pourquoi la carrière de scénariste Kan Furuyama s’en sera tenu à une seule œuvre manga. On le remerciera pour sa modération, rares sont ceux à avoir la décence de s’arrêter après un échec, aussi encensé celui-ci puisse-t-il être par la critique.

Josselin-B
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le 8 mars 2025

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Josselin Bigaut

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