Il était humain pour un tiers,
Et divin aux deux tiers,
Sa nature était telle
Que nul ne pouvait le maîtriser ;
Il faisait onze coudées de haut (soit plus de 6 mètres)
Pour neuf de tour de poitrine


Extrait de l’Épopée de Gilgamesh, Le grand roi qui ne voulait pas mourir


On verra un peu plus tard comment Karl Kerschl s'est approprié ce légendaire texte littéraire pour servir son propre univers.


L'abominable Charles Christopher édité en deux volumes (le 3ème est en cours via un financement Kickstarter) chez Lounak est une petite pépite injustement méconnu à la croisé entre Bone de Jeff Smith, les envolées lyriques d'un Miyazaki (alors d'accord dès qu'il s'agit de récit écolo on a toujours tendance à mentionner ce dernier mais Karl Kerschl revendique lui même l'influence - il en a parlé sur le site officiel de la BD où l'auteur est très présent d'ailleurs, j'en parlerais en fin de critique - et on à cette grosse sensation de récit qui se transforme tout doucement en quête initiatique avec divinités animistes sur le passage de notre gros Yéti qui se transforme de plus en plus en être messianique (du moins c'est la sensation que ça donne au vu des enjeux qui se dessinent très lentement), du slice of life animalier (pas vraiment trouvé de référence pour le moment !) et un gros message écologique aux allures manichéennes de prime abord mais qui va révélé toute sa subtilité au fil des volumes.


Le récit à un rythme très suave, notre gros Yéti qui n'est ni vraiment un animal, ni vraiment un homme parcours la forêt des cèdres au gré des saisons, des rencontres, délicates ou extrêmement drôles mais de temps à autres certains passages nous ramènes à une réalité un peu plus dure : les humains sont bien présents dans cet univers mais ne sont jamais présent physiquement, un piège à ours (que Charles avec sa naïveté si attachante, tel un jeune enfant qui découvre le monde qui l'entoure, assimilera à un rugissement de lion un peu plus tard dans le récit) , un fusil de chasse, des cadavres fraîchement déposés au sol ou une masse nébuleuse tapis dans l'ombre des arbres remplacera toute présence physique.
D'une part je pense que mettre un visage humain dans cette histoire la rendrait sans doute moins réelle à nos yeux : on est vraiment dans un univers entièrement animalier dont ce dernier, anthropomorphique bien évidemment, se rapproche du notre par toutes ces histoires rigolotes et hautes en couleurs qui font toute la richesse de ce comics. Et puis surtout, et on le verra par la suite avec l'arrivé d'un fameux personnage, l'homme n'incarne pas le véritable mal, l'auteur est même plutôt optimiste à ce sujet (par contre il n'est pas tendre du tout avec les hommes du cirque qui font partis de chapitres assez distincts des autres par leur tonalité : L'histoire de Vivol et Moon Bear, des chapitres d'une seule page sous forme de Flashback où la violence est vraiment extrême, très verbale (une fameuse phrase d'une volume 2 marquera tous les lecteurs je crois) qui se distingue vraiment de ces passages en pleine forêt, où la mort et la violence est bien présente mais se fait de manière beaucoup plus "douce" et "amère", enfin c'est difficile à expliquer avec des mots, je vous laisserez juger par vous même. Préparez les mouchoirs... j'ai lu le comics deux fois et c'est toujours la même sensation...


Et parlons en de ces habitants qui peuplent cette forêt de cèdre, ils sont TOUS extrêmement attachants !! Certains n'auront droit qu'à une courte apparition, d'autres évolueront au fil des pages, reviendront plusieurs chapitres plus tard : On a un couple de moineau dont le mari est alcoolique, une blatte psychologue, un porc-épic (?) qui, ne trouvant pas l'amour, va créer un jeu de rôle sur plateau qui va avoir un certain succès...un lapin qui essuie les peines d'amour, un cartel qui régit le commerce en forêt et ce n'est qu'une petite partie des espèces avec qui nous partageront leurs quotidien fait de déboires, d'ambitions de vie, de réflexion philosophique (par les deux plus gros fainéant de la forêt, ça vous laisser imaginer le niveau), de joies, de regrets, de débilité en tout genre : c'est la vie quoi!


Le volume 2 va introduire, et c'est sans doute le plus intéressant, l'homme à la tête de toutes ces atrocités : Gilgamesh.
Non il ne mesure par 6 mètres de haut pour presque autant de large, il est petit, maigrichon, se comporte comme un gamin capricieux, c'est la version unique de Mr.Kerschl !
Il s'est réapproprié le mythe sumérien pour servir son propre univers et ses thématiques, heureusement quand on voit le nombre de lions que tue Gilgamesh pour s'en faire une tunique même après la malédiction de Enkidu, ça n'aurait aucun sens ici :p
Il n'a gardé que la relation de forte amitié entre Gilgamesh et Enkidu (Charles le Yéti) pour traiter de la façon dont elle symbolise la relation entre humains et animaux, d'où justement ce traitement visuel pour le grand roi tyrannique : On le pensait humain avant de le rencontrer, il se présente vêtu d'une tunique et surtout d'un masque qui crée un étrange lien avec Charles : ils sont tous les deux à la frontière entre l'animal et l'humain, au début de leur vie (ce sont des enfants malgré leur imposant caractère ou physique) , une façon d'assimiler ce monde naturel pour Gilgamesh et le comprendre en parcourant par la suite cette gigantesque forêt des cèdres aux côtés de son gigantesque compagnon alors qu'ils ont tous les deux un but différent.


Pour le moment les suites des aventures de Charles christopher ne sont disponibles que sur https://abominable.cc, j'attends la compilation des prochains strips* en bouquin avant de lire la suite mais j'imagine que l'évolution des personnages se fera dans la douleur...


*C'est une série de comic strip que l'auteur poste sur son site régulièrement. Et je tiens à souligner (si je pouvais avec un marqueur rose fluo pour bien le mettre en évidence) que c'est tellement rare d'avoir un auteur aussi disponible pour ses lecteurs... j'ai envoyé un message par mail il y a encore tout juste quelques heures en n'ayant pas trop d'espoir d'avoir une réponse et... le type m'a répondu même pas une heure après avec une incroyable gentillesse et m'a même donné le discord qu'il a crée pour pouvoir discuter plus facilement...il intervient même directement dans les commentaires de ses strips sur le site pour discuter avec tout le monde, c'est vraiment cool.


Je n'ai même pas parlé des dessins, c'est magnifique... voilà :p


Une petite merveille que je place aux côtés de Beasts of Burden dans le genre BD animalière, c'est tout aussi drôle, émouvant et cruel.


Je le dis très souvent pour ne pas le faire mais là je modifierai cette critique régulièrement, c'est tellement un coup de cœur cette série de comics que certaines choses vont surement me revenir et puis j'attends impatiemment le volume 3 !

HuangFeihong
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Top 10 BD

Créée

le 6 sept. 2019

Critique lue 227 fois

HuangFeihong

Écrit par

Critique lue 227 fois

D'autres avis sur L'Abominable Charles Christopher

Du même critique

Historie
HuangFeihong
10

L'aboutissement d'un style

La note est accessoire, seuls les deux premiers tomes ont pu être traduit en français en version numérique (toujours pas licenciée en France...), donc je note essentiellement le premier Arc qui se...

le 5 oct. 2014

12 j'aime

Iphigénie
HuangFeihong
10

Ma révélation cinéphilique.

Je me demande vraiment si ce n'est pas le film que j'attends depuis le début de ma cinéphilie. Je veux dire là j'ai quand même eu un vrai déclic en le voyant, ça me fait tout drôle, mais je pense...

le 26 avr. 2016

11 j'aime

2

L'Auberge du Dragon
HuangFeihong
9

Critique de L'Auberge du Dragon par HuangFeihong

Le film est vraiment une petite pépite du genre Wu Xia, il annonce, tout comme Green Snake un an plus tard, les deux chef d'oeuvre de Tsui Hark à venir, ici on est clairement dans les prémices de ce...

le 9 août 2013

11 j'aime