L'Ecole Emportée, manga phare du maître de l'horreur Kazuo Umezu, est, à sa parution en 1972, l'une des premières grandes excursions horrifiques majeures dans l'histoire du manga. Mais après tant d'années, l'histoire cauchemardesque de ses enfants téléportés avec leur école dans un univers hostile garde-t-elle encore toute sa fraîcheur d'antan ?
À l'époque de sa sortie, L'école Emportée marque complètement le genre du shonen et de l'horreur. Alors que des fleurons du genre, comme Ozamu Tezuka ou Yoshiharu Tsuge, brassent une multitude de styles tout en modernisant un médium en ayant grand besoin, le mangaka Kazuo Umezu, spécialiste du genre horrifique enchaînant les chefs d'œuvres (La Femme serpent, La Maison aux insectes), offre au lectorat japonais une œuvre qui fera date : L'École emportée.
Avec ses visions cauchemardesques dignes des romans de Clark Ashton Smith ou de Lovecraft, le tout saupoudré de Sa Majesté des Mouches, le manga enchaîne les situations les plus horribles possibles pour des élèves de primaire perdus dans des landes de désolation qui leur sont complètement hostiles. Avec son horreur qui ne semble jamais décroitre, L'École emportée est cette œuvre matricielle ayant donné lieu à tant d'autres chefs d'œuvres de l'horreur, de Dragon Head à Spirale. Durant tout le récit, il y est avant tout question, pour les personnages, de survie face à l'adversité, aux éléments naturels, aux maladies, aux autres enfants... en plus de la recherche d’un moyen de retourner d'où ils viennent.
D'une violence insoutenable, l'œuvre met les protagonistes face à des menaces séculaires, du tsunami à l'attaque de fourmis géantes, et les laisse ainsi en proie à la folie, la faim, et à l'espoir vain de rentrer un jour chez eux. La violence infantile montrée au cœur de ces cases brise des codes éditoriaux en pleine mutation, à une époque où le genre du shonen redéfinit ses limites.
Le récit se veut assez palpitant, puisque enchaînant les péripéties sans s'arrêter, le tout dessiné d'une main habile qui offre quelques séquences d'effroi qui n'ont pas perdu de leur aura horrifique. Que ce soit au travers des visages déconfits de ses pauvres enfants que dans ses paysages désolés.
On reprochera cependant plusieurs défauts majeurs à ce monument du genre, à commencer par le développement aléatoire de ses personnages et l'incrédulité béante que semble exiger le mangaka de notre part concernant leurs nombreuses réactions irréalistes. On ne comptera effectivement plus le nombre de réponses bien trop mâtures pour de simples enfants (rappelons qu'ils sont censé être en école primaire), ainsi qu'un sens de la débrouillardise que même MacGyver jalouserait (construire un piège à pointes, pourquoi pas, mais une véritable baliste ?).
Il faudra aussi noter cette propension très régulière des enfants à sombrer dans un comportement moyenâgeux, n'hésitant pas, par exemple, à brûler sur un bûcher l'un de leur camarade suspecté d'avoir ramené la peste avec lui. Et que dire du propos moraliste que délivre le mangaka tout au long du récit, assénant que c'est aux enfants de prendre en main leur avenir dès leur plus jeune âge, sous peine de subir le courroux du monde (matérialisés par ces calamités leur tombant dessus) ?
Il va sans dire qu'il faudra être particulièrement indulgent si l'on désire réellement apprécier L'École emportée dans sa globalité, d'autant que le récit traîne vite en longueur. Mais il reste cependant une chose indéniable : cette école aura laissé un héritage qui sera repris par des fleurons du genre tels que Junji Itô, et ceux-là ne tarissent pas d'éloges concernant le travail de Umezu.