Une forme, même anodine, stimule l'imaginaire et lui suggère une idée y étant parfois associée. Un peu à la manière d'un test de Rorschach. L'encre, avec le test auquel je m'astreignais en ayant le courage de lire l'Ère des Cristaux, n'était cependant pas aussi étalée qu'elle l'est d'habitude. Les représentations graphiques y étaient alors plus distinctes. Mais du peu que j'appréhendais du regard, j'en venais à ressentir une gêne. Ce dessin, si je ne l'avais pas déjà vu ailleurs, m'en rappelait un autre. Un de ceux qui m'auront fait grincer les dents jusqu'à me limer une mâchoire pleine de canines.


C'est ma faute, j'ai baissé ma garde. À me hasarder gaiement dans le top 100 Seinen, à m'imaginer, insouciant que je suis, que les Shôjos et affidés étaient loin derrière moi, voilà que je pose le pied sur une mine. Oui, ce dessin, il ressemble furieusement à un de ceux inspirés de CLAMP. Et si bouffer du manga en me saisissant du tout venant m'a appris quelque chose - parce qu'il faut bien savoir retirer le meilleur du pire - c'est qu'il faut souvent se fier aux apparences.


Si j'ai assimilé la notion de douleur à ces dessins, c'est qu'il va falloir endurer sec.

Aussi, si c'est CLAMPesque dans les tons, il est à redouter que ça clampine. Les silhouettes filiformes, d'instinct - et à force de conditionnement sévère - me restent en travers de la gorge. Ce n'est pas la conception artistique dans son principe qui est en cause, simplement l'imagerie délétère que je lui associe à force d'avoir été échaudé au pire en la matière.

Y'a deux types de mangakas. En réalité il y en a plus, une foultitude même, y'en a une vraie tripotée pour tout vous dire mais, pour la facilité de la démonstration que je m'apprête à accomplir, je vais arguer que ça se limite à deux tendances. La première, elle pose clairement son univers dès le départ ; ses personnages, les enjeux préalables. L'idée, étant que le lecteur comprenne dans quoi il s'embarque. Le verbe «embarquer» est ici employé à dessein car il implique de s'assurer que le lecteur ne chavire pas.


Y'a le deuxième type de mangaka. À celui-là, je pourrais lui prêter des intentions. Supposer qu'il veut essayer de sortir des clous, de nous en mettre plein la vue dès le début. Mais ce serait le défendre que de supputer le meilleur derrière ce qui s'affiche avec outrecuidance comme le pire ; ce serait même lui trouver des circonstances atténuantes pour laver son crime : celui de ne pas avoir su du tout introduire son œuvre. Parce que ce type de mangaka-ci, incarné pour la circonstance par Haruko Ichikawa nous gratifie délibérément d'une entrée en matière maladroite, alors que le postulat initial est présenté de manière bancale, nébuleuse. Elle cherche à nous faire entrer dans le vif du sujet sans situer le sujet. C'est un problème, surtout quand on lit quelque chose d'aussi peu clair. Je l'ai écrit suffisamment, assez pour me faire saigner le bout des doigts et effacer mes empreintes, mais, la première impression est celle qui compte. Et j'ai l'impression, justement d'avoir affaire à quelqu'un qui ne sait pas écrire ou présenter ce qu'elle a à nous dire.


Or, ce qui se dit bien s'énonce clairement. Là, c'est pas clair, c'est brumeux sans le vouloir. La faute au découpage de planches mal agencées, à des dialogues très mal articulés entre eux et des enjeux présentés à moitié au milieu d'un chambardement d'informations hâtées sur la fin de chapitre après qu'on m'ait laissé patauger dans l'abstraction narrative la première moitié. La présentation est loupée. Je ne dis pas que ce genre de bévue ne se rattrape pas ; mais entamer une course à pied sur une chute lourde présage habituellement la dernière place au classement.


En des termes moins pompeux, extraits à même la lalomanie verbeuse professée ci-dessus, une phrase simple synthétise l'essentiel de mon expérience de primo-lecteur : «J'ai rien bitté à qu'est-ce que je viens de lire».

Madame Ichikawa nous plonge pour nous imbiber d'un univers qui ne connaît aucun secret pour elle. Elle le connaît si bien qu'elle n'a pas besoin de nous le présenter. Ce qui, alors, fait qu'on passe à côté.


Qu'on s'entende, j'adore quand on nous brusque pour nous jeter dans un monde et un contexte vivant et tempétueux ; comme envoyé au front d'un coup d'un seul. Y'a une forme de poussée d'adrénaline dans l'idée et j'adore la ressentir. Mais voilà, pour que la manœuvre fonctionne, ne serait-ce que sommairement, il faut au moins que l'entour soit intelligible pour qu'on puisse en retirer un brin de substance. Et voilà qu'on nous balance au milieu de ces jeunes filles sans qu'on ne sache répondre à des questions débutant par un «où», par un «qui» un «comment» ou même un «pourquoi».

L'auteur, ici, ne nous brusque pas, elle ne nous convie pas brutalement dans son monde pour nous le faire découvrir ; elle nous y égare et nous y abandonne. Avant même de parler de l'œuvre en elle-même, le lecteur est négligé.


Faut pousser loin l'expérience pour s'y sentir convié. La porte s'ouvre et derrière, c'est un mur. Pour voir ce qu'il y a outre, il faudra se marteler la tête contre jusqu'à ce qu'il s'effondre.

À moins que ce qu'il dissimule ne vaille ne coup d'œil, pourquoi s'investir autant pour une œuvre qui ne nous a rien offert ni promis ? Une porte qui ouvre sur un mur nous suggère plus éloquemment de faire demi-tour que de poursuivre notre chemin droit devant. Il faut se forcer à compter des prémices de L'Ère des Cristaux pour seulement entamer l'aventure. Réjouissant programme...


Est-ce que ça cherche à être lyrique ? Je l'ignore. En tout cas, l'Ère des Cristaux, ça se présente presque comme l'œuvre qui, quand on demande «Quoi ?! Hein ? Mais... pourquoi exactement» se trouve l'excuse imparable de la licence poétique. Quand on n'a rien à dire et, surtout quand on le formule mal, c'est encore la dernière cartouche qu'il reste pour espérer faire mouche. Faut croire que ça a touché un lectorat. Celui-là (celle-là devrais-je dire car je devine une pléiade de demoiselles embarquées dans l'affaire) n'était pas bien farouche pour se laisser aligner si facilement. En ce qui me concerne, je me suis contorsionné ce qu'il faut pour m'extraire de la ligne de mire.


Avec l'Ère des Cristaux, il y a un univers. Mais il n'y a pas d'univers. L'excentrisme et, ce que l'on pourrait malencontreusement confondre avec de l'originalité ne tient qu'à une posture de façade. Ce monde est cosmétique, mais il n'est rien de plus.
J'ai beau aimer quand le cadre me chamboule et surtout, quand il me change de ce que je connais, mais il faut aller au-delà des apparence. La découverte, en matière de création artistique, j'y suis ouvert malgré les relents réactionnaires que je distille et qui peuvent laisser à supposer le contraire. Ici, je n'ai découvert qu'un décor qui habillait bien mal un fond obscur.

Et si seul le décor aura bénéficié d'un travail plutôt soigné, je me dois de le rapporter, le reste, évidemment, aura été négligé en conséquence. On retrouve des gentils parce qu'il en faut, des méchants parce qu'il en faut pour justifier les gentils ; le scénario lui-même m'apparaît comme un jeu de dupe faussement controuvé auquel je n'ai précisément pas envie de jouer. Le début nous perd et la suite nous indique un chemin qui nous fait regretter de ne pas être resté égaré plus longtemps.


Oh, ce n'est pas un Shôjo même si ça en a tous les attraits - autant qu'un Shôjo puisse être attrayant en tout cas - aussi, on retrouve des combats à la chorégraphie improvisée, répétitive et sans saveur. Un sens de l'esthétique pas bien folichon étouffe le propos de la moindre action mimée face au lecteur, si bien que l'intérêt de la moindre action s'avère pour le moins lacunaire.


L'orchestration du récit ainsi que celle de la narration - et ça n'est pas une surprise - sont maladroites, bancales, branlantes même, et n'ont rien de bien engageant à la lecture. Je ne saurais pas vous résumer l'Ère des Cristaux, car cela reviendrait à vous dire que j'ai pu au moins glaner la substance même de l'œuvre. En vérité, chaque chapitre qui s'écoulait m'arrachait un profond soupir.

Tout cela pour une intrigue passée - pour ne pas dire perdue - à ne rien apprendre et à tourner perpétuellement en rond dans un cul-de-sac scénaristique aux révélations ampoulées et déjà vues et revues.


La soupe est servie avec un assortiment de personnages insipides et dépourvus de la moindre once de caractère dont on se détourne alors très volontiers. La personnalité leur fait défaut contrairement à ce qu'arguent leurs apologistes. On devine le bruit qu'ils font à chaque exclamation. Des formes et des sons, voilà à quoi je les assimile après les avoir vu œuvrer sans jamais rien accomplir.
Une remarque en passant : ce n'est pas parce qu'on agglomère les protagonistes féminins qu'il faut nécessairement devenir Girly. Car ça l'était de fait.


«À dans dix-mille ans» nous dit-on après que les années passées aient déjà été stériles et infructueuses. Les tomes de l'Ère des Cristaux me seront tombés des mains jusqu'au bout comme une savonnette qui me salit à mesure que je m'en saisissais. J'attendais qu'on me rapporte les raisons objectives pour lesquelles il aurait fallu que je m'intéresse au sort de protagonistes dont le sens de l'existence - supposé profond - m'indifférait au plus haut point tant il était absent de mes préoccupations. Et finalement... tout ça, aux calendes grecques. À dans dix-mille ans peut-être, mais ce sera sans moi.

Josselin-B
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le 21 juil. 2022

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Josselin Bigaut

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