Le turnover imposé par les délais de l'éditeur originel Dark Horse n'était certes pas idéal pour garantir la cohésion visuelle de Chevaliers de l'Ancienne République, et ce faisant l'immersion du lecteur dans le récit, mais la série semblait avoir trouvé la formule gagnante à l'issue des deux précédents albums : un trio d'artistes complémentaires en la personne de Brian Ching, Dustin Weaver et Harvey Tolibao. Le trait gracieux et japanisant du premier, celui plus animé et expressif du second et le dessin musclé et détaillé du troisième permettait d'assurer un certain dynamisme au récit, la plume de John Jackson Miller faisant le reste.


Hélas, le château de cartes s'effondre dès le tome suivant, L'Invasion de Taris. Tolibao s'en est allé vers d'autres cieux, tandis qu'il s'agit de la dernière collaboration de Weaver sur LCDLAR, si l'on excepte quelques couvertures de fascicules américains. Ching est également aux abonnés absents sur cet album, accaparé par l'adaptation du jeu vidéo Star Wars : The Force Unleashed. La première moitié de L'Invasion de Taris, qui n'a rien à voir avec l'invasion en question, est dessinée par un petit nouveau, Bong Dazo. Double manque de bol. Primo : je n'aime vraiment pas son dessin, que je trouve caricatural, bouffi, outrancier, chaotique et vulgaire. Secundo : Dazo allait malheureusement devenir le principal équipier de JJM, Ching et Atiyeh sur les trois tomes à venir. Soupir...


Je passerai donc assez vite sur la première partie de l'album, mais je tiens avant toute chose à préciser que je ne jette pas la pierre qu'à Dazo : son scénariste est tout aussi fautif, dont il s'agit du premier véritable dérapage (la vision de Zayne dans Au Cœur de la Peur n'était qu'un bref accident de parcours). Dérapage prévisible, au demeurant, car je n'étais déjà pas très chaud sur le twist final du tome 3 : des "lombrics hyperspatiaux" dont le jeune et retors seigneur Adasca comptait faire des Godzillas de l'espace. En fait, il s'avère qu'Adasca n'a aucune intention de s'en servir pour ravager la galaxie à son propre compte, préférant les vendre au plus offrant, en bon homme d'affaires qu'il est. C'est ainsi que se retrouvent à participer aux enchères sur son yacht : Saul Karath et Carth Onasi au nom de la République, Alek au nom de son maître jedi le Revanchiste... et Mandalore l'Ultime en personne, au nom de son peuple.


Ajoutez-y Jarael, gardée en otage pour s'assurer des bons et loyaux services de Campeur, un Rohlan Dyre au comportement plus bizarre que jamais, Lucien Draay arrivé un peu par accident et jeté à fond de cale en compagnie de Zayne Carrick, et on devrait se retrouver avec un véritable choc des titans, pas vrai ? Nenni, pour la simple et bonne raison que la trame est inintéressante au possible. Une enchère de limaces de destruction massive, qu'est-ce que cela a à voir avec la vision des Jedi et le conflit larvé entre eux et les Sith ?


Ce chapitre n'est qu'une perte de temps, les événements qu'il dépeint n'ayant aucune incidence sur ceux du jeu KOTOR et, pire, très peu sur les personnages eux-mêmes, à part éventuellement Jarael, laissée orpheline. Le dessin n'aide pas, qui contribue au foutoir général. Prenez le personnage d'Idji Vamm, l'assistant cyborg d'Adasca. D'âme damnée machiavélique dans le tome 3, il est transformé en bouffon ridicule par Dazo et JJM. Ses expressions faciales lorsque Zayne et Jarael s'embrassent sont proprement intolérables.


Enfin, le supplice touche à sa fin lorsque Campeur envoie les bestioles contre Adasca lui-même, ce qui permet à Zayne d'échapper à Lucien et Karath lorsque Slyssk fait irruption, ayant miraculeusement survécu au bombardement de Serroco, de même que Marn Hierogryph, devenu l'un des leaders de la résistance sur Taris envahie par les Mandos. C'est donc là que se rendent Zayne, Jarael, Alek, Slyssk, Dob Moomo et Rohlan, tandis que Campeur disparaît aux confins de l'univers avec les lombrics. Ouf. Seuls points forts du chapitre : les brèves retrouvailles entre Zayne et Lucien ("Regarde-toi. Ta peur t'a conduit à la colère. Ta colère t'a conduit à la haine. Tu sais ce qui va suivre...") et le mystère qui s'épaissit autour de Rohlan lorsqu'il abat Idji Vamm après que ce dernier ait découvert une information stupéfiante au sujet de Jarael ("La vérité n'appartient qu'aux sages.")


Alléluiah, revoilà Dustin Weaver au pinceau pour la deuxième partie de L'Invasion de Taris, qui justifie le titre de l'album. Quelle différence de style, dès l'entrée en matière, à couper le souffle : Zayne plonge depuis le ciel jusqu'aux entrailles de Taris ravagée par la guerre, alors que ses différents niveaux de passerelles et grattes-ciels sont devenus le théâtre d'innombrables exactions et échanges de tirs, tel un gigantesque Stalingrad vertical. Je ne me lasse pas de cette double-page. Taris réussit à LCDLAR.


Zayne est rapidement accueilli par plusieurs vieilles connaissances du comics comme du jeu vidéo : Gryph et le deuxième frère Moomo bien sûr, mais aussi Gadon Thek, Zaerdra et Brejik, que des figures de l'Underworld tarisien que nous retrouverons dans les premiers niveaux de KOTOR. Cerise sur le gâteau : l'escroc twi'lek Grif Vao et sa petite sœur Mission, appelée à devenir l'une des protagonistes les plus sympathiques du jeu.


Moins réjouissant pour Zayne : le maître jedi Raana Tey est là aussi, qui a réussi à manipuler son ex-petite amie Shel Jelevan pour qu'elle se venge du meurtre de son frère, l'un des padawans soi-disant assassinés par Zayne. Les retrouvailles sont houleuses mais le doute s'installe dans l'esprit de la jeune fille, qui ne sait plus qui croire ("Je ne voudrais vous connaître ni l'un ni l'autre"). En attendant; la réalité de la guerre prend le dessus : la priorité pour les Tarisiens assiégés est de repousser le brutal envahisseur mandalorien.


Après une sous-intrigue amusante impliquant Gryph, le sénateur Goravvus et Jervo Thalien, le Carlos Ghosn de SW, ainsi qu'une jolie scène de flirt entre Jarael et Alek restés en orbite, nos héros concoctent un plan consistant à assassiner le général mandalorien Cassus Fett (ancêtre de Jango et Boba, et dont l'armure est disponible dans KOTOR), qui a élu domicile au sommet de la tour du temple jedi. Un excellent monologue du Mandalorien ("C'est la malédiction des nomades. On part avant d'avoir fini.") est d'ailleurs l'occasion d'apercevoir un vaisseau familier sur son holocarte...


Zayne, Shel et Raana doivent infiltrer le temple pendant que Gryph et Gadon Thek dynamitent ses fondations. Mais rien ne se passe comme prévu : Cassus est absent et Raana profite de l'occasion pour tenter d'éliminer Zayne. Un duel éclate entre l'ex-padawan et le maître togruta (même espèce qu'Ahsoka Tano, soit dit en passant), magnifiquement illustré par Weaver. Les deux adversaires finissent en sang et Raana parle à Zayne de la "Prophétie des Cinq" : "Un pour l'obscurité, et un pour la lumière. Un autre, de l'obscurité, se tient dans la lumière... tandis qu'un autre de la lumière se tient dans l'obscurité. Le dernier se tient à l'écart. Et ensemble... tout ce qui a été bâti s'écroulera."


Cinq... comme les maîtres jedi ? Ou leurs padawans ? Pas le temps de réfléchir, Raana s'apprête à en finir avec Zayne, lorsque Shel, qui a entendu sa confession, la transperce par-derrière avec le sabre de son frère. L'album se clôt de manière aussi tragique que spectaculaire : Zayne, en émule du capitaine Kirk dans Star Trek III : À la recherche de Spock, pardonne à son adversaire et s'apprête à la sauver lorsque Gryph se trompe quant au geste de la Jedi (elle lève son sabre-laser pour libérer sa main de la vitre brisée de la tour) et fait exploser le temple, engloutissant Raana dans les flammes. Mais pas avant qu'elle ait donné une information vitale à Zayne : un nom. "Dis à Krynda que je suis désolée !"


Pfiou, quel finish ! Je pardonnerais presque les errements de la première moitié, tant cette partie tarisienne était tout ce qu'on peut attendre de KOTOR : humour, action, drame, et un lien direct établi avec les jeux vidéos. Quel dommage que Weaver ait ensuite cessé de travailler sur la série... il va falloir continuer à se coltiner Dazo, mais au moins le retour de Brian Ching peut-il nous laisser espérer un fin dantesque à cet arc dit du "Fugitif". Comme le dit Tommy Lee Jones à Harrison Ford dans le film du même nom : "Il est temps d'arrêter de fuir !". Zayne en a bien conscience, et sa contre-attaque s'annonce spectaculaire !

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le 21 janv. 2020

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Szalinowski

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