La Jeunesse de Picsou
8.5
La Jeunesse de Picsou

Comics de Don Rosa (1992)

Pour une fois, je vais me sortir les doigts du cul et vous livrer mes impressions sur la Jeunesse de Picsou tant que ma relecture est encore fraiche. Je pense qu'un 10 mérite des explications, même si tout le monde s'en bat le coquillard.


Je ne mets la note suprême qu'à des œuvres qui ont bouleversé ma vision du monde, d'une manière ou d'une autre. Même s'il y aura toujours des rabat-joies pour vous rappeler, la bave aux lèvres, les yeux prêts à glisser de leurs orbites, que "la perfection n'existe paaas !" (et l'eau ça mouille, et le feu ça brûle...) on pourrait raisonnablement se d écider à accorder la note maximale à des œuvres insurpassables, dans leur genre, par l'ampleur de leur ambition. C'est ce que les gens de bon sens appellent un "chef-d'oeuvre".


Plus de dix ans après la retraite de Keno Don Rosa, son travail sur Picsou, à mi-chemin entre l'hommage fanatique et la réécriture audacieuse, semble tout bonnement insurpassable. Depuis sa création par Carl Barks en 1947, jamais le canard écossais n'était apparu si profond, si mélancolique, si... réel. Et pourtant, je peux vous dire que j'en ai gobé des comics de Picso u quand j'étais marmot ! C'était même mon personnage imaginaire préféré !


Fervent lecteur d'à peu près tous les magazines Disney, je me suis plongé dans plusieurs dizaines de versions du vieux pingre à lorgnons et, à quelques notables exceptions près, c'étaient toujours des Picsou stéréotypés, enfantins, parfois très amusants, mais toujours simples, si pas simplistes. Le pire étant sans doute les versions italiennes, pourtant généralement appréciées, dans lesquelles il arrivait à l'oncle milliardaire de "combattre" ses neveux pour ne pas leur payer le salaire qu'il leur devait ! Un Picsou plus seulement avare, donc, mais purement malhonnête.


Même le plus intéressant des Picsou, celui de son créateur, Carl Barks, restait confiné dans certaines limites disneyennes plus qu'agaçantes, au point d'être carrément censuré par le bien-pensant studio lors d'un flashback mettant en scène l'enlèvement de Goldie par Picsou au temps de la ruée vers l'or du Klondike. Bon, il faut dire que nous étions alors en plein cœur des années 50, et que la censure concernait à cette époque même les comics de super-héros. Je ne vais don c pas trop m'étendre là-dessus.


Lorsque, début des années 90, je découvris le travail de Don Rosa dans Picsou Magazine, ce fut pour moi une véritable révélation ! Non seulement le dessin faisait preuve d'un souci du détail inconnu des autres tâcherons des BD Disney, mais les histoires m'apparaissaient épiques, exaltantes, crédibles, parfois hyper-documentées. La moindre chasse au trésor devenait un véritable cours d'histoire. La confrontation avec la magie ou la science permettaient des audaces narratives inouïes que je dévorais entre deux histoires de mythologie grecque, ma deuxième grande passion d'enfance (les dinosaures étant la troisième). Picsou était pour moi un héros digne d'Ulysse ou de Thésée, et il emplissait mes rêves d'aventures fantastiques ou de science-fiction bien avant mes découvertes littéraires de Tolkien ou de Dic k.


Et puis, la Jeunesse de Picsou... Tout le monde sait aujourd'hui qu'elle fut basée sur les centaines de détails biographiques puisés par Don Rosa dans le travail de Barks, je ne le répéterai donc pas (trop tard). C'est un travail de fourmi, un défi de titan encore complexifié par la volonté de Keno de crédibiliser son récit par des recherches historiques minutieuses. Le résultat est le mariage improbable entre l'Histoire réelle et le plus pur récit d'imagination. Picsou y gagne définitivement ses lettres de noblesse et en devient humain, oui, humain ! Il sort de son temps d'éternité pour goûter à l'amertume de notre mortalité. Il acquiert une date de naissance et de décès, des parents et des sœurs, il vieillit, côtoie la mort, fait l'amour, perd son amour, gagne la solitude et des regrets. Et quelques milliards de dollars, accessoirement...


Don Rosa nous parle de choses qui passent parfois par-dessus la tête des plus jeunes lecteurs, mais qui feront mouche chez les adultes, émus par la justesse de certaines situations, de quelques dialogues. Bien sûr, nous sommes toujours dans une production Disney et Don Rosa n'a peut-être pas pu aller aussi loin qu'il le désirait, à certains moments. De grosses tranches d'humour viennent donc très régulièrement dédramatiser les situations, humour souvent génialement absurde, parfois subtil, sous forme d'innombrables gags présents en arrière-plan et que l'on peut tout à fait rater si on se contente d'une lecture éclair. Ça n'enlève rien à l'émotion et à la profondeur de l'univers tissé par Keno mais ça élargit la palette d'émotions ressenties par le lecteur.


S'il fallait vraiment parler de défauts, je pointerai plutôt la structure narrative des épisodes qui pourrait être presque systématiquement résumée par "Un voleur s’empare d'un bien de Picsou, Picsou poursuit le voleur." Un cliché que l'on retrouvait déjà chez Barks et la plupart des autres auteurs de Picsou, bien sûr. Heureusement, ces vols ne sont jamais le point essentiel du scénario mais servent plutôt de moteur aux autres éléments de l'intrigue, bien plus intéressants. On pourrait aussi pester contre le déséquilibre narratif entre les épisodes "bonus", beaucoup plus longs que les épisodes principaux. On s’appesantit ainsi sur une poursuite maritime en Indonésie, certes distrayante, mais qui n'apporte rien au développement de Picsou, alors que d'autres épisodes plus intéressants pour la psychologie du canard sont presque survolés. Une fois encore, Don Rosa n'en est pas responsable et a lui-même pesté contre son éditeur qui exigeait, la plupart du temps, des épisodes tenant sur quinze pages. Un peu court, jeune homme !


Des défauts, donc, mais ce 10 insolent, envers et contre tout. Parce que ce Picsou écrit et dessiné par Keno est, tout bien considéré, le premier personnage littéraire qui m'a fasciné. Il m'a ouvert en grand les portes de l'Histoire, de l'Aventure et du Mythe. Il a éveillé ma curiosité et mon imagination d'enfant qui façonnèrent celles de l'adulte que je suis. 10, enfin, parce que je peux le relire aujourd'hui sans me sentir idiot, toujours fasciné par le talent et la précision de cet artiste universel, sans doute unique, gardien à la fois de ma nostalgie et de mon ouverture d'esprit. Parce qu'il est bon, tout simplement, de rester fidèle à ses premières amours, comme à un sou fétiche qui nous guide tout au long de notre vie.

Amrit
10

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le 27 avr. 2018

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