(CONCERNE LES DEUX TOMES)
Alan Moore nous avait déjà offert un double hommage au maître de l'horreur (non, pas Stephen King! Lovecraft, évidemment, enfin!) combiné au sein du Neonomicon, en transposant les thèmes chers à l'auteur dans un contexte contemporain, et en explicitant habilement le rapport à la chair passé sous silence dans les oeuvres de Lovecraft, et pourtant implicitement là, rôdant devant le Seuil. Véritable prouesse de la part d'Alan Moore, ce qui n'étonnera pas les lecteurs assidus de son oeuvre, puisque souvent, l'amour et l'admiration du Mage pour les écrits de Lovecraft transparaissent régulièrement à travers des clins d'oeil tantôt discrets, tantôt appuyés, quand ce n'est pas carrément le thème central de certaines aventures (La League des Gentlemen Extraordinaires en est notamment truffée).
Bref, j'avais adoré le Neonomicon, psychédélique, violent, frontal, et pourtant subtil, fin, habile.
Donc quand Moore remet le couvert avec le même dessinateur de talent, forcément, j'étais joie!


Et pourtant, le premier contact se fit en demi teinte. Là où le Neonomicon avait l'impact immédiat d'une nouvelle, Providence imposait posément son rythme, à travers le périple de Robert Black (clin d'oeil à Robert Bloch ?), journaliste américain ébranlé par la perte d'un être cher au point d'abandonner son boulot pour partir à la recherche d'un ouvrage mystérieux écrit, dit-on, par un poète arabe ayant sombré dans la démence - toute ressemblance avec un certain ouvrage d'Abdul Al Azreth étant simple coincidence, évidemment - (car non, ce n'est pas le Necronomicon).
Chaque chapitre nous emmène avec finesse et élégance dans l'univers de Lovecraft, à la périphérie de ses nouvelles. On reconnaîtra facilement Innsmouth, Dunwich, Dagon, sans que Moore ne prenne jamais la peine d'expliciter la chose.
Les références et les niveaux de lectures lovés dans les replis du récit ne sont pas nécessaires pour prendre grand plaisir à lire cette l'ouvrage...
Mais ce n'est que lorsque le volume 2 est entamé que l'on saisi la portée réelle de cette mini série, que l'on peut apprécier à sa juste valeur la justesse du rythme, le respect avec lequel Alan Moore embrasse l'oeuvre de Lovecraft, se l'approprie avec finesse et douceur, là où le Neonomicon "raped Lovecraft, with love", comme dirait Jodorowski au sujet de Dune dans le documentaire sur ce gigantissime projet de film malheureusement avorté.
Dans les Murs, La Couleur Tombée du Ciel, et bien d'autres nouvelles se croisent au détour d'un angle étrange dans une chambre d'hôte vétuste, d'une discussion avec un agent dans une région sinistrée se déroulant autour d'un puits abritant une substance étrange, pour finir dans un déluge psychédélique que ne renierait pas ni William S. Burroughs ni Philip K. Dick, et que je m'abstiendrai, douloureusement, de spoiler plus avant.
Les chapitres sont entrecoupés par les notes du journaliste, notes massives qui imposent encore une fois un rythme lancinant, pesant et hypnotique.


Depuis qu'Alan Moore a annoncé qu'il se retirait du monde du comics, il y a quasiment dix ans maintenant, chacune de ses oeuvres sont tels des plaisirs volés et transpirent le génie créateur que le Mage hirsute sait invoquer à chaque page, conteur, écrivain, artiste, magicien.


Se frotter à Lovecraft est immanquablement casse-gueule, comme en témoignent les (trop) nombreuses nouvelles du cercle de proches de Lovecraft, souvent attribuées à tort à ce dernier, et pâles copies des nouvelles originelles du maître. Les textes apocryphes sont souvent décevants.


Mais Alan Moore réussit là où la plupart des autres se sont cassés les dents de devant, et marie avec brio hommage et réappropriation, dans une déclaration d'amour qui nous emmène au delà du Seuil.

toma_uberwenig
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le 8 juil. 2016

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toma Uberwenig

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