- Par Bélénos, Toutatis et Bélisama ! J'ai cassé ma serpe d'or ! C'est terrible ! Le gui pour avoir des pouvoirs magiques, doit être cueilli avec une serpe d'or ! Ça tombe mal ! Je dois partir bientôt pour la forêt des Carnutes, où va se tenir la grande assemblée annuelle des druides Gaulois. Sans serpe, je ne peux y aller !
- Il n'y a qu'à acheter une autre serpe !...
- Les bonnes serpes sont rares ! Les meilleures, les seules que j'accepte sont celles que fabrique le célèbre Amérix, dans la lointaine Lutèce...
- Ça c'est vrai. Les serpes qui viennent d'Amérix sont les meilleures, c'est bien connu...
- Eh oui...
- Et Lutèce est loin... Pour y aller il faut traverser des forêts encombrées de barbares et de brigands !...
- Je suis prêt à aller à Lutèce, ô druide !
- Je te remercie pour ton offre, Astérix, mais je ne peux pas te laisser aller à Lutèce...
- J'insiste, ô druide.
- Trop loin, trop dangereux !
- Dans ce cas...
- Heu... Bon, j'accepte !...
- Ah !
Gracchus Pleindastus : « Ce récit m'a presque amusé... »
« Quand je pense que nous sommes simplement venus acheter une serpe ! », voilà qui résume très bien "La Serpe d'or", second album de la bande dessinée Astérix, écrite par René Goscinny et dessinée par Albert Uderzo. Une nouvelle aventure bon enfant dans laquelle on découvre pour la première fois le duo emblématique "Astérix et Obélix", qui plus tard sera qualifié de trio, lorsque Idéfix se joindra à la joyeuse troupe. Un deuxième tome qui commence à solidifier aussi bien dans le fond que la forme les différents éléments encore brouillons provenant du premier volume "Astérix le Gaulois". Un périple sympathique dans lequel notre binôme de gaulois se lance à la recherche d'une serpe d'or pour le druide Panoramix. Un outil primordial à la taille du gui pour avoir des pouvoirs magiques. Il en a besoin pour participer à la grande assemblée annuelle des druides gaulois située à la forêt des Carnutes. Une mésaventure qui va conduire le duo jusqu'à "Lutèce", la forme francisée du nom employé par les Romains pour désigner la ville gallo-romaine connue aujourd'hui sous le nom de "Paris". Là-bas, ils doivent acheter le fameux outil. Une quête tout ce qu'il y a de plus facile pour nos héros, qui va s'avérer plus difficile qu'il ne le pensait lorsque des trafiquants de serpes vont se joindre à la partie. En ressort une histoire appréciable mais trop sage, qui aurait gagné à être davantage mémorable bien que l'on demeure un minimum conquis. Ce qui marque le lecteur, ce n'est ni son enjeu simpliste, ni son humour modéré (en comparaison du premier tome), ni ses actions trop dans la retenue, ou encore ses personnages peu marquants à l'exception de notre duo de héros, mais la construction de son environnement.
"La Serpe d'or" dresse un milieu pourvu de nombreuses références offrant une conduite saisissante qui transpose le Paris du 20e siècle à celui de l'époque antique caractérisée par la Lutèce. Des allusions amusantes offrant de nombreuses comparaisons entraînant une critique constante entre la vision campagnarde et celle de la ville. Une médisance fondée, que va rapidement porter Astérix peu avant l'arrivée à la capitale. C'est là, qu'il va constater des décors sauvages ravagés par la progression moderne des romains, avec la construction d'un grand pont à voûtes, faisant irruption dans la campagne. « Avec leurs constructions modernes, les romains gâchent le paysage ! ». Une critique que va réitérer le gaulois à l'entrée de la ville face à une foule compacte remplie de gens aigris : « Que de monde ! Comment peut-on vivre ici ?... L'air est vicié ! ». S'ajoutent d'autres critiques comme celle du pêcheur qui se plaint de la pollution de ce qui sera plus tard, la "seine". « Avec toutes les saletés que les gens jettent dans le fleuve, il n'y a plus de poissons ! Tout ce que je pêche depuis ce matin, ce sont des amphores vides !... ». Astérix va également constater la différence de prix élevé entre les tarifs de la campagne et celle de la ville : « C'est du vol ! Voilà ce que c'est ! ». Une élévation tarifaire constatée jusqu'au prix du gibier, ce qu' Astérix ne manquera pas de relever : « Le sanglier est hors de prix à Lutèce ! », à quoi répondra Obélix : « Et le marchand a dit que les prix allaient encore monter. Pauvre Gaule ! » (@s'ils s'avaient à quel point !). Astérix et Obélix vont également découvrir les premières routes avec les premières signalisations sur la voie romaine VII, qui à notre époque fait écho à la route Nationale 7. Et déjà les premiers chauffards pour piétiner le Code de la route, ce que ne manquera pas de constater un couple de fermiers : « Ce sont des fous ! Fais plutôt attention à tes bœufs !... Un accident est si vite arrivé ! ». La sécurité routière avant tout, même à l'ère Romaine. Ce que ne manque pas de faire respecter via une contravention pour excès de vitesse un agent de police. Une comparaison d'époque alliée à une opposition des mœurs qui offre tout du long un contraste pertinent que l'on peut voir comme une critique de l'auteur, et qui fait sans aucun doute le sel de cet album.
- Alors, en somme, si je comprends bien un centurion, c'est plus qu'un décurion ?
- Dix fois plus !...
- Et au dessus d'un centurion, c'est un millurion ?
Albert Uderzo présente un joli dessin avec des personnages ronds qui s'accordent avec la légèreté dramatique explorée. L'ingéniosité de l'image se transmet avant tout dans les décors, avec des lieux que le dessinateur essaye (avec succès) de rendre authentique. On découvre dans l'ordre, l'auberge du "Barbare repenti", le marchand de vins d'Aquitaine : "Chez le joyeux Arverne", le restaurant spécialisé dans le poisson : "Au soleil de Massalia", l'office de tourisme "Visitez Lutèce", la forêt Touffue qui deviendra plus tard le "Bois de Boulogne"... Des décors savamment mis en scène sur un jeu de couleurs pétillantes qui offrent une belle parure à l'aventure qui s'articule. En complément on se régale de la narration de René Goscinny qui apporte des accents, des anachronismes et des expressions édifiantes. Il enrichit son histoire d'une texture grammaticale perceptible jusqu'à découvrir des citations latines comme "Acta est fabula", "Quis, quid, ubi, quibus auxiliis, cur, quomodo, quando ?", "Vade retro"... Un soin accordé à l'écriture des dialogues ainsi qu'au contraste environnemental qui fait regretter la simplicité de cette quête qui s'achève avec un dénouement aussi déconcertant que facile. Avec un peu plus d'engagement, pas de doute que ce deuxième tome aurait pu être bien meilleur.
Côté personnage, la ville ne réussit pas à Astérix qui finit par perdre patience, jusqu'à engager lui-même les hostilités lors de la séquence située dans la tanière, où on va essayer de l'arnaquer. Astérix qui va aller jusqu'à dégainer son fameux glaive pour aller se confronter dans le repaire secret des trafiquants de serpes d'or. Il viendra néanmoins à user d'astuces et de réflexions faisant honneur à ce personnage emblématique. Obélix prend enfin la place qu'il mérite en tant que gros bêta au grand coeur ayant tout dans les bras et rien dans la tête. Accompagné de son menhir, il fait une première entrée en scène (en tant que personnage central) sympathique. Il est à constater qu'il possède déjà les traits et la psychologie qui lui sera tout du long affublé. On note déjà une petite complicité entre Astérix et Obélix, qui sont tout du long à la recherche d'Amérix, le forgeron de serpes d'or, qui n'est autre que le cousin d'Obélix. Niveau antagoniste c'est un peu léger, entre "Lentix" qui manque cruellement de personnalité et "Avoranfix" de présence. Heureusement, le préfet "Gracchus Pleindastus" alias "Je suis las, las, las..." vient un peu rehausser le tout avec son attitude nonchalante et exaspérée. Il apporte à l'intrigue une corruption politique au sein du pouvoir qui aurait pu être mieux exploitée. Le Romain "Centurion" qui se retrouve constamment confronté aux gaulois à une bonne gueule, mais il aurait pu être davantage drôle. Reste l'alcoolique notoire en cellule de dégrisement qui est un minimum drolatique.
CONCLUSION :
Les Éditions Hachette proposent avec "La Serpe d'or", un second album sympathique devant lequel on passe un moment de lecture appréciable bien que ça ne soit jamais réellement percutant ni dynamique. Entre la transposition des époques amenée par la plume intelligente de René Goscinny et l'identité artistique bien menée autour des décors apportés par les dessins d'Albert Uderzo, il y avait le potentiel pour proposer quelque chose de beaucoup plus conséquent.
En découle une petite aventure qui a le mérite de mettre en place le fameux duo : "Astérix et Obélix".
- Où allez-vous ?
- Dans la forêt !
- C'est dangereux la forêt la nuit ! Il y a des loups et des brigands !
- Bah ! Nous les Gaulois nous ne connaissons pas la peur !
- Ça c'est pas vrai ! Je suis Gaulois et je suis peureux !