I'm a poor not-so-lonesome-because-I-ride-with-a-bald-slightly-smelly-drunkard cowboy…

Pauvre Blueberry, tu es né un demi-siècle trop tôt ! Si tu étais le produit d'une BD franco-belge du XXIème siècle, tu aurais allégrement bénéficié du quota implicite de scènes de sexe qui semble être de rigueur depuis que mon souffre-douleur Van Hamme a ouvert la boite de Pandore dans les années 90 avec Largo Winch (amusant, au passage, que le toujours très humble Giraud se targue d'être, via Blueberry, à l'origine de rien de moins que la révolution sexuelle du Neuvième Art, alors qu'il faudra attendre le 13ème album pour voir un baiser –plus ou moins simulé- et le 23ème pour voir une poitrine dénudée !). Les auteurs, plus par opportunisme que par perversion, t'auraient fait profiter de l'absence puis de l'invalidité de ton ami Graig, rival dans le cœur de la belle, pour séduire Miss Muriel avec ton nez de boxeur et tes airs de baroudeur. Ah, je vois d'ici la scène "d'amour" que cela nous aurait valu, dans la moiteur d'une chambre du fort Quitman, ou plus kitsch encore, dans un des chariots de munitions si chèrement escortés dans l'album précédent. Et comme la BD est aussi imperméable que Game of Thrones au combat pour l'égalité des sexes, nous aurions eu droit aux seins de Muriel mais pas au six-coups du lieutenant…


Eh non, au lieu de cela, puisque cet album a été achevé quelques mois trop tôt, en 1967, la tyrannie goscynno-bourgeoise contre laquelle s'élèvera bientôt Giraud est encore de mise, plus chaste et émasculatrice que jamais : il en résulte que l'album s'ouvre non sur cette débauche libératrice mais sur l'infortuné lieutenant en train de se faire tailler un costard par Muriel, laquelle lui reproche d'avoir laissé son frère d'armes Graig cavaler tout seul en plein désert pour porter une dépêche décisive au président Johnson, de vouloir la paix avec des Indiens qu'elle a du mal à accepter ne pas être à l'origine de la mort de son colonel de père. Le sort de Blueberry est toutefois enviable par-rapport à son collègue blondinet, qui se fait alpaguer par un fort parti d'Apaches conduits par Quanah, à quelques miles seulement du fort vers lequel il revient avec la réponse codée du président. Pour lui faire cracher le morceau quant à son contenu, Quanah et Jean-Michel Charlier ont alors recours à la première d'une longue série de séances de torture, puisque Graig est attaché à demi-nu en plein cagnard.


Quand je dis longue série, je n'exagère pas : Blueb' et Jimmy se font menacer à coups de tomahawks dans ce même album, Jimmy a droit au même traitement que Graig dans La Mine de l'Allemand perdu, Blueberry est tour-à-tour trainé dans les ronces, fouetté, menacé par un serpent, empoisonné au pulque, jeté au trou puis utilisé comme cobaye par un Chinois fou dans la trilogie mexicaine, avant de courir avec un sac de cailloux sur le dos dans Le Hors-la-Loi ! Fétichisme homo-érotique de la part de Charlier, vu que dans la majeur partie des cas énumérés la victime était déshabillée ? Rien n'est moins sûr, puisque même Giraud s'y est mis après la mort de son partenaire, même si cette fois aux dépens du beau sexe en la personne de Dorée Malone, prisonnière des griffes du Dragon rouge, sorte de Charles Manson de l'Ouest. Aaaaah, comme j'ai hâte de défouler sur cet arc narratif… mais n'anticipons pas trop et revenons à ce tome 4.


Sous la menace des fourmis rouges, Graig finit par révéler que le gouvernement américain propose une paix relativement favorable à Cochise. Quanah rit littéralement au nez de son prisonnier et jette la précieuse missive au feu – mais manque et ne s'en aperçoit même pas, sans doute à cause de son œil mort. Puisque c'est la saison des Deus Ex Machina et que la présence de la fourmilière a déjà profité aux Indiens, Charlier décide de remettre les pendules à l'heure en faisant attaquer les montures du groupe de Quanah par un puma. Comme de bien entendu, toute la tribu part à la poursuite du félin, laissant un seul homme pour garder leur autrement plus précieux prisonnier… naturellement, Blueberry ne se fait pas prier pour profiter de cette diversion "tombée du ciel", délivre Graig, récupère le message et fonce vers Fort Quitman, non sans avoir concocté une variante amusante du coup du clairon en faisant passer son cheval plusieurs fois au même endroit pour faire croire à un groupe important et décourager ses poursuivants. Chaque fois que je vois cette case, je ne peux m'empêcher de penser aux Dupondt et à leur jeep rouge dans L'Or Noir !


Toujours est-il que Blueberry parvient à rentrer au fort avec Graig, ce qui lui vaut le pardon de Muriel… et un bisou sur la joue. AHA ! La voilà la révolution sexuelle lancée par Giraud ! Prends ça, Woodstock ! Plus sérieusement, Nez-Cassé et son supérieur, le bien sympathique général Crook (je dis ça sans ironie aucune, ce gars ressemble à un leader de camp de vacances dépassé par les événements) se retrouvent confrontés à un sérieux problème : le président veut la paix, mais comment porter ses conditions au chef Cochise, dont personne dans le camp américain ne connait la cachette ? Blueberry souhaite faire appel à son vieux camarade Crowe, protégé de Cochise depuis qu'il a fait évader les chefs apaches dans le tome 2, pour jouer les intermédiaires. Même problème cependant : comment trouver Crowe ? Et c'est là qu'intervient, pour le plus grand bien de la série, un certain Jim McClure.


Je ne pense pas que Jimmy ait jamais atteint le niveau de ses compères barbus Haddock et Raspoutine, lesquels volent allègrement la vedette aux héros dont ils sont censés être le faire-valoir, mais il n'en est pas loin. La tâche était pourtant loin d'être aisée : tous les héros de Charlier ont un sidekick comique - Tanguy a Laverdure, Barbe-Rouge a Triple-Pattes et Baba, Buck Danny a Sonny Tucson – chargé de dérider le lecteur entre deux abordages ou dogfights. Le problème avec Blueberry, c'est qu'il est déjà moins sérieux et plus cynique que ses cousins de papier ; le piège était donc de créer un personnage beaucoup trop grotesque, ce qui aurait nui au réalisme de la série. Fort heureusement, Jimmy fonctionne en fait plutôt comme Raspoutine avec Corto : il représente de manière exagéré certains des aspects de la personnalité de Mike Steve Blueberry, tels que l'appât du gain, le refus de l'autorité et bien évidemment l'alcoolisme. En somme, il se lâche là où notre héros ne peut se laisser aller, et ce pour le plus grand plaisir du lecteur.


L'arrivée de McClure marque également, pour la dernière fois, le retour de Jijé au dessin. Le coup de crayon de Giraud ayant, comme on l'a vu avec l'album précédent, déjà pas mal évolué depuis Fort Navajo, la transition n'est pas aussi fluide que dans le tome 2… et cela clairement à la défaveur du maitre, dépassé par l'apprenti. Je savais que le père Joseph dessinait assez mal les femmes, ce que confirme la toute dernière case de Muriel, pour le moins lapidaire, mais c'est surtout les visages de ses Apaches que je trouve franchement en deçà de ceux dessinés par Petit Jean… enfin, toujours est-il qu'après une séance à la fois amusante et tristement réaliste au cours de laquelle Jimmy saoule littéralement leurs poursuivants, le duo de choc tombe sur Charriba, un des chefs délivrés par Crowe. Hélas, ce fourbe de Quanah les a devancé et accuse nos compères de, euh, bah de fourberie. S'ensuit, comme je l'ai déjà dit, une nouvelle séquence de torture au tomahawk, assez réussie il faut le dire. Quanah va enfin se payer le scalp de son ennemi juré lorsque Crowe arrive une nouvelle fois à la rescousse, probablement prévenu par le professeur Rogue, comme le puma de tantôt. Crowe parvient à retourner Charriba, qui libère les prisonniers et chasse Quanah.


Le duo de héros est désormais trio (ah, ces retrouvailles viriles entre Blueberry torse-nu et le beau métis !) et apprend de la bouche décidément toujours bien informée de Crowe que Cochise se trouve au Mexique, attendant des armes gracieusement offertes par le gouvernement local, trop heureux de foutre sa merde chez les Ricains (on le comprend). C'est là que le génie comique de McClure frappe une nouvelle fois, puisqu'au lieu d'aller acheter des provisions pour le voyage outre-Rio Grande, il se paie quelques verres au saloon, où il a la déveine de rencontrer un nouvel antagoniste promis à un grand avenir, le capitaine Finlay, chef d'un groupe de Jayhawkers, déserteurs de l'armée sudiste battue quelques années plus tôt et réduits au brigandage. J'ai toujours adoré Finlay et son principal acolyte Kimball, mais je parlerais d'eux davantage dans le futur. Je me contenterais juste de commenter le coloriage de l'uniforme confédéré de Finlay dans la version originale du magazine de 1967 : à cause de la pénurie de gris, ce pauvre Finlay se retrouva vêtu de violet, ce qui avec ses épaulettes et sa boutonnière le faisait ressembler à un Barnum d'opérette.


Jimmy va se faire plumer au poker par notre sudiste mauve lorsque Blueberry arrive et renverse la situation, grâce aux doigts d'argent qu'on lui connait depuis son entrée en scène trois tomes plus tôt. Malheureusement, Finlay est mauvais perdant et se tire avec les chevaux des "Yankees", les laissant à la merci de l'armée mexicaine, qui bien évidemment choisit ce moment précis pour surgir, ameutée par Quanah. Crowe parvient toutefois à s'échapper (il est en or, ce garçon !) et réussit à tirer sur la corde sentimentale des loqueteux confédérés pour les convaincre d'aider Blueberry et Jimmy. Ces deux-là sont en effet sur le point d'être pendus, dans une scène assez inintéressante et à peu près aussi expédiée que cette fin de critique. Crowe sauve encore une fois la mise en attaquant les Mexicains avec le renfort des Jayhwkers, ce qui laisse les mains libres à notre trio pour partir à la rencontre de Cochise.


Voilà, c'était Le Cavalier Perdu. Entre le retour passager de Jijé et des péripéties trépidantes mais pas toujours bien résolues, c'était un album "jeu vidéo" assez semblable à Tonnerre à l'Ouest. Dans le prochain épisode : la fin du premier cycle !

Szalinowski
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le 22 nov. 2018

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