L'histoire :

Depuis des siècles, le monde de Daar est embourbé dans une guerre perpétuelle et sans issue entre les "3 Immortels".
Les Chninkels (sorte de simili-Hobbits mais en moins poilus et avec des yeux mi-kawaï, mi-dégueulasses), utilisés comme esclaves par les armées de ces Immortels, périssent régulièrement par milliers, dans des batailles absurdes et impitoyables.
Les choses sont bien parties pour continuer ainsi jusqu'à la fin des temps... sauf qu'un jour, à la suite d'un énième affrontement sanglant, se produit un "Miracle" : un jeune Chninkel, du nom de J'on, survit aux combats de manière improbable et rencontre U'n, le Créateur Tout-Puissant du ciel et de la terre. Ce dernier ayant du mal à dormir, à cause de tout le raffut que font les belligérants de ce monde, donne l'ordre à J'on de ramener la paix fissa sur Daar, faute de quoi, se sera l'apocalypse bien vénère pour tout le monde.
J'on se lance donc dans une quête désespérée pour établir la paix, avec comme seul et unique atout, le "Grand Pouvoir" que lui a fort généreusement octroyé U'n, tout en omettant malencontreusement de lui expliquer en quoi il consiste et comment l'utiliser...



Je suis pas un grand amateur de BD et jusqu'à présent, je m'étais bien gardé de faire de critique sur ce type d'oeuvre. Mais m'étant relu cette Saga pour la énième fois, je me suis dit que après tout, pourquoi pas, ça ne mange pas de pain... Et puis bon, "Le Grand Pouvoir du Chninkel" est clairement ma BD préférée entre toutes (rien que ça!), alors, elle le mérite (elle mériterait également une bonne grosse adaptation ciné bien chiadée comme il faut, mais bon, là je rêve)!


Alors, pourquoi cette BD est trop bien?


Déjà, en préambule, il faut signaler qu'elle est très courte : 3 Tomes ("Le Commandement" / "Le Choisi" / "Le Jugement"), eux même subdivisés en une poignée de chapitres assez courts ; ça se lit extrêmement vite.

Alors d'ordinaire, j'ai tendance à trouver que plus une oeuvre est qualitative, plus la longueur de celle-ci est un avantage (ça t'en fera plus à aimer chéri!) et plus la brièveté est un défaut (l'influence inconsciente d'une société bassement phallocratique je suppose?...).

Mais ici, non, pas vraiment ; malgré une histoire très courte, l'Univers est riche, les personnages attachants, le scénario est efficace et simple sans être simpliste, et la dimension du récit est tout simplement grandiose.

On a un monde foisonnant de détails et de décors, qu'on découvre à mille à l'heure, sans que cela ne semble jamais précipité. On a un voyage initiatique dans le plus pur style Campbell, mais qui sait faire preuve d'originalités aux moments opportuns. On a une sorte d'enquête sur ce monde, ses origines, ce qui l'a amené là où il est. On a cette quête haute en couleur pour une Paix si inaccessible et pourtant si indispensable. On a une recherche ludique et très finement menée pour découvrir la vrai nature de ce fameux "Grand Pouvoir". Et on a tout ça en moins de 200 pages...

C'est donc un petit bijoux d'orfèvrerie, petit mais costaud, qui se suffit amplement à lui même.


Puis, les dessins : ils sont beaux, chatoyants, colorés (dans sa version couleur, puisqu'à la base l'histoire était publiée de manière épisodique en noir et blanc, mais je lui préfère nettement la version couleur ; les gouts et les couleurs... c'est le cas de le dire), il fourmillent de détails tout en sachant être épuré, ils savent être classes quand ils doivent l'être... Bref formellement, c'est du tout bon, même si je confesses qu'à mes yeux, ils manquent parfois d'un brin de dynamisme dans les mouvements ; style Franco-Belge oblige (je suis biberonné aux Manga, du coup, la BD Franco-Belge, je trouve ça souvent un peu trop statique dans les déplacement et les découpage, mais bref).


Ensuite l'Univers : très "Tolkiennesque" il s'avère extrêmement immersif, car on est en terrain plus ou moins connu : il y a des sorte de Hobbits (bon pas vraiment, mais quand même un peu, faut pas dec'), des Nains, des créatures animales cheloux (mention spécial aux Orphyx, les plantes carnivores volantes(!!)), des genres "de Mages" Immortels et terrifiant etc.

Mais en même temps, il y a une forme de décalage permanent, avec un côté décalé, humoristique, ironique, voir irrévérencieux et cynique, qui jure avec l'atmosphère "Héroïque" qu'on attend inconsciemment de ce type de récit, créant une dissonance de ton intéressante. Sans compter les petits clins d'oeil particulièrement judicieux ici ou là à certaines oeuvres fondatrice de la culture contemporaine (je pense bien évidemment au Monolithe de 2001, qui de par son seul design, installe une crédibilité et une aura mystique instantanée au personnage de U'n).


Un point également sur le protagoniste principal du récit ; ce bon vieux J'on : c'est vraiment appréciable d'avoir un récit de Fantasy avec un héros comme celui là. Exit les preux chevaliers sans peur et sans reproche. Exit également les guerriers sombres au passé torturés avide de vengeance et/ou de rédemption. Exit enfin les "diamant d'innocence" façon Hobbit de la Comté, créatures certes fragiles, mais pétries de bonnes intentions et de pureté.

Non, J'on est, bien d'avantage que ne l'était Flamby, un "Président normal", c'est à dire un "Monsieur tout le monde" ; il est souvent pleutre, mais sais occasionnellement en retirer du courage. Il est égoïste, mais parvient parfois à transcender cette condition pour le bien commun. Il est complètement dépassé par ce qu'il lui tombe sur les épaules et réagit toujours de façon crédible à la situation. Il peut être également agaçant dans son côté Calimero. Il peut mentir, tricher, râler, harceler, utiliser l'autre... il peut même faire preuve de ce que d'aucun appellerait une très vilaine "masculinité toxique" dans sa manière d'oublier régulièrement la notion de consentement (pour le dire gentiment...). Et pourtant, il reste irrémédiablement touchant et attire l'empathie sur lui comme le miel attire les mouche.


Le reste du casting (G'wel, Volga, les 3 Immortels, Bom-Bom, N'ôm etc.), s'il demeure globalement très en retrait et plus "fonction" qu'autre chose, fait le café et rempli bien le rôle qu'il a à remplir (ni plus, ni moins).


Difficile de parler de cette histoire sans en évoquer sa dimension Biblique. Car oui, "Le Grand Pouvoir du Chninkel", c'est une relecture très libre de la Bible. On y retrouve des tas d'éléments, tout à fait assumés et volontaires, tout au long du récit : Dieu, le prophète, les plaies, les Hérésiarques, la Cène, l'eau changée en vin, la crucifixion, le sacrifice, le Jugement Dernier, Judas, la Trinité et j'en passe...

Mais il ne s'agit pas d'une oeuvre religieuse ou prosélyte, qui verserai dans une optique "évangéliste" lourde et indigeste. Il s'agit d'une ré-interprétation espiègle et sceptique de l'imagerie Biblique, sachant parfaitement invoquer pour son compte la force mystique, la puissance fondatrice et matricielle des mythes Sacrés, sans en épouser la composante bassement dévote et dogmatique.

On a donc un récit très libre dans son ton et ses partis pris, mais qui possède par filiation des enjeux et une dimension démesurément grandioses et solennels.


On notera également (et c'est important par rapport au point soulevé au dessus) un aspect humoristique presque omniprésent tout au long du récit, qui sait donner une touche appréciable sans être trop intrusif et qui sait parfaitement s'effacer le moment venu, pour laisser toute sa place au Tragique (avec un motherfucking T majuscule, c'est peu de le dire!).


Accessoirement, pour les plus coquins d'entre vous, sachez que l'oeuvre n'est pas tout à fait exempt de scènes un brin olé-olé (là aussi, ça reste très parcimonieux et ce n'est jamais lourd ni dans l'excès). A vous de voir si vous mettez ça dans la rubrique "+" ou dans la rubrique "-" (pour moi c'est tout vu^^).


Au delà de ça, la BD, bien que très courte encore une fois, brasse des thèmes comme la vanité de la guerre, la "réal-politik", l'esclavage et plus généralement, l'absurde existentiel dans toute sa splendeur, sans jamais les approfondir (on est pas là pour ça en même temps), mais en leur laissant suffisamment de place pour qu'ils infusent le récit.


Attention les derniers paragraphes divulgache à fond... Du coup, si vous n'avez pas encore lu cette BD, foncez le faire dès maintenant ; elle est belle, elle est courte, elle est puissante, elle est marquante, elle est drôle, elle est prenante, elle est triste et tragique. Que vous faut il de plus?... Alors allez y ; hop hop hop...

Enfin, un grand Philosophe (Hitchcock si jeune ma buse) a dit un jour que meilleur est le Méchant, meilleure est l'histoire.

Et bien s'il faut lui donner raison, cela signifie que "Le Grand Pouvoir du Chninkel" est la meilleure histoire qui soit, car elle possède le Méchant Parfait (au sens figuré comme au sens propre) : Dieu!

Qui dit mieux?... Personne évidemment.

Qui dit aussi bien?... Oui, la Bible, j'avoue. Seulement la Bible n'assume pas et s'obstine à faire passer plus ou moins son antagoniste pour un "Gentil" (tient, comme Saint Seiya avec Saori d'ailleurs ; coïncidence?... Rien n'est moins sûr!).

Cette BD, en plaçant comme personnage central la figure tutélaire du Dieu Abrahamique et en assumant d'en faire l'Antagoniste Ultime, frappe un grand coup! D'abord en étant particulièrement iconoclaste (Bakounine approuve), mais ensuite en donnant à son récit une dimension dramatique et désespérée rarement atteinte (ce discours final de N'ôm l'Hérésiarque!!! Sérieux, quel souffle, quelle audace, quelle admirable folie nihiliste dans ce cris éphémère de sourde indignation jeté à la face du Monde!!).

Et en raccordant habilement le récit à notre propre réalité dans sa conclusion, alors que pas grand chose ne nous y avais préparé, l'épopée de J'on achève de nous mettre une claque émotionnelle sur notre joue délicate...




Bref, je conclurais cette critique un brin hagiographique je l'admet, par cette profonde maxime du grand philosophe (oui, encore un... ils sont partout!) Omar Da Fonseca (oui, y a du niveau culturel chez moi, faut s'accrocher t'as vu) : cette BD, elle est venu me faire l'amour sans préliminaires.

Broutchlague
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le 27 avr. 2023

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Broutchlague

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