Tout vient à point à qui sait attendre?

L'auteur du décevant Ces jours qui disparaissent (que j'avais pas mal éreinté dans une précédente critique - et visiblement à contre-courant du sentiment général, étonnamment porté sur l'adulation...) nous gratifie d'une seconde œuvre qui lorgne cette fois-ci vers le thriller avec une bonne grosse couche de psychologie, puisque l'on y suit la rééducation d'un jeune patient resté longtemps dans le coma suite à une terrible agression, qui a coûté la vie à l'ensemble de sa famille, et dont sa sœur fut la principale suspecte, avant de se suicider. Il est suivi, dans son hôpital, par une jolie psychologue, qui s'était également occupée de sa frangine. Mais (comme il se doit, cela ne sera pas une surprise pour grand monde) la vérité pourrait être tout autre...

L'auteur n'aime clairement pas les formats courts et semble s'épanouir dans les grandes largeurs: de nouveau quasiment 300 pages pour ce volume, ce qui n'inspire pas forcément beaucoup de confiance à quelqu'un comme moi qui avait trouvé sa précédente BD beaucoup trop longue pour le peu qu'elle avait à dire.

Ne faisons pas durer le suspense: s'il ne s'agit, une nouvelle fois, en aucun cas d'un chef-d’œuvre inoubliable (si je dois comparer ça à des lectures récentes en BD franco-belge, on est plus au niveau d'un Puzzle que d'une véritable réussite comme l'excellentissime Psycho Investigateur), il faut tout de même souligner que l'auteur m'a semblé en progrès par rapport à sa précédente proposition, et en particulier si l'on considère les principaux défauts qui plombaient cette dernière:
- au discours manichéen et aux personnages un peu simplistes de Ces jours qui disparaissent font place des protagonistes plus complexes et nuancés (encore heureux pourrait-on dire tant le genre du thriller psychologique nécessite de tels personnages pour fonctionner...); au-delà de ses seuls personnages principaux (à la psychologie trouble comme il se doit), l'auteur parvient à croquer des personnages ma foi sympathiques et intéressants (les compagnons de rééducation du personnage principal, le groupes d'infirmier(e)s de l'hôpital, etc.); si on était mauvaise langue, on pourrait même dire que ces personnages secondaires sont quasiment plus intéressants que les deux personnages centraux...
- le récit est scindé en trois principales parties (elles-mêmes ponctuées de nombreux flash-back au fur et à mesure que le patient progresse dans l'exploration de ses souvenirs) et, s'il n'est clairement pas encore un modèle de maîtrise narrative à montrer dans les écoles (cf. ci-dessous), il se révèle tout de même globalement accrocheur ; l'on referme le livre sans s'être véritablement ennuyé, le tout ne contenant que peu de temps morts;
- si le trait de l'auteur "en ligne clair" reste égal à lui-même, pas hideux, loin sans faut, mais pas extraordinaire non plus de mon point de vue, j'ai surtout été agréablement surpris par les couleurs bien mieux maîtrisées que dans sa précédente BD ; le côté "numérique" des coloris se fait toujours sentir, mais on sent que l'auteur est déjà plus à l'aise avec ses logiciels...
- la conclusion, qui rebat potentiellement les cartes sur les tenants et aboutissants de l'histoire, est intéressante, là où Ces jours qui disparaissent ne parvenait jamais vraiment à dépasser son (certes malin) concept de départ...

Néanmoins, et en lien avec le dernier point, le GROS défaut de l'ouvrage est dans sa narration, somme toute maladroite.

N.B.: Si les développements qui vont suivre ne spoilent rien au sens strict, je conseille néanmoins fortement à ceux qui ont fermement l'intention de lire l'ouvrage de s'arrêter ici et de revenir plus tard. En effet, dans un genre si codifié, difficile de rentrer un tant soit peu dans le détail sans révéler des pans entiers du dénouement...

En effet, quiconque à un peu de bouteille dans ce genre d'oeuvre devinera instantanément la conclusion potentielle de l'histoire ("mais qui donc a pu tuer la famille du narrateur?"). Une telle conclusion est d'ailleurs tellement "bateau" et attendue, qu'un des moteurs de la lecture a été pour moi de me demander si l'auteur parviendrait à y échapper...La réponse semble négative pendant une très grande partie de la BD, avant (justement) ce twist final ouvrant de nouvelles possibilités.

Mais, et c'est là que le bât blesse, ce twist, vraiment intéressant en lui-même, est affreusement mal amené, arrivant un peu comme un cheveu sur la soupe à la tout toute fin de l'ouvrage, sortant tellement du chapeau qu'il en perd en crédibilité et en cohérence ; là où devrait s'instaurer une ambiguïté bienvenue, l'entreprise échoue au final quelque peu parce que, des deux possibilités / interprétations qui s'ouvrent désormais à nous, la seconde, arrivant trop tard (et encore une fois en étant mal amenée), ne parvient pas vraiment à contrebalancer la première (qui elle a pu se développer tranquillou sur plus de 250 pages...) de façon convaincante et véritablement faire douter le lecteur.

Celui-ci referme donc l'ouvrage de nouveau avec une pointe de déception, avec l'impression que ce twist final, mieux amené, aurait débouché sur une oeuvre sans doute plus mémorable. Car, soyons honnête, en s'aventurant sur des sentiers si balisés, la BD se perd automatiquement dans la masse des parutions du genre, et sera normalement bien vite oubliée faute de parvenir à se démarquer fortement...

On retient cependant de vrais bons moments de BD (l'être "noir" qui hante notre héros ; la tension sexuelle entre notre psychologue et son patient ; la chronique familiale avant le drame, telle que se la remémore peu à peu le patient...) qui tirent eux le récit vers le haut.

Allez, disons que le chef-d'oeuvre sera pour la troisième tentative! ;-)