En soi, le manga en tant quel tel n'est pas mauvais. Le récit, même si un peu lent pour moi, m'a semblé bien travaillé et les émotions sont plutôt bien retranscrites. Il y a même certains passages drôles ou émouvants. Cependant, le thème de l'histoire est intrinséquement japonais. Il s'agit une fois de plus d'exprimer le mal-être japonais engendré par la dichotomie être / paraitre dans un monde prônant à la fois la pureté et bombardant les pauvres enfants de tentations. La pornographie japonaise n'est plus à présenter, et l'hypocrisie des jeunes filles avec leur air de saintes "pas au courant", ou jouant les filles choquées quand elles croisent la perversion de ces jeunes garçons est absolument abjecte. Elles prennent d'ailleurs un certain plaisir à se prétendre pures, et c'est paradoxalement là que se trouve leur perversion. Bref, c'est un sujet fascinant qui a fait couler beaucoup beaucoup d'encre, et ce depuis que le Bouddhisme existe au Japon ! La poésie japonaise a une imagination débordante, tant pour évoquer la pureté (la neige, la nature, l'amour, la vaillance, le sacrifice, l'honneur, la maternité, la race...) que pour représenter la perversion, la déviance (monstres, poulpes amateurs de cuni ^^, évoquant d'ailleurs le sexe inter-racial. Mais on peut également citer les Burakumin, travailleurs du cuir et de la viande, considérés comme impurs...)
Au XXème siècle, le déshonneur de la défaite, les soldats blancs et noirs qui se récompensaient avec les femmes japonaises, pas toujours non consentantes d'ailleurs... sans parler de la bombe atomique, qui a implanté cancers et autres maladies profondément dans leur chair. La société traditionnelle, piétinée, forcée d'évoluer. Et une jeunesse corrompue, qui est persuadée que la société moderne est la meilleure qui soit. Aujourd'hui, il est impossible de regarder un Miyazaki sans être sans arrêt interrompu par des plans "pantsu", alors que c'est pourtant des films Grand Public. Oui, la société japonaise, et occidentale en générale est particulièrement malsaine.
L'écho se fait en Occident là où les quelques prêtres pédophiles vont continuer à prôner un comportement pur et irréprochable, ce qui est évidemment impossible.


Mais ça, la littérature française l'a compris. XVIIème siècle, les Classiques prônaient "la mesure en toute chose". Il est mauvais de tomber dans l'extrême. Il n'est pas possible d'être un Saint, si ce n'est par la réfléxion, la conscience et l'acceptation de notre impureté.
Le XIXème siècle a repris cette base, et les Réalistes ont joué avec l'érotisme de toute chose. Ce n'est pas être un tordu que de voir le sexe partout où il est, car le monde est ainsi fait, et s'il y a la beauté sous d'autres angles, elle se trouve également dans l'érotisme.


Pourtant les Romantiques et Baudelaire n'ont rien à voir avec tout ça, et encore moins les Fleurs du Mal ! Et avoir un Takao qui prétend que seul lui dans tout Tokyo peut comprendre les sentiments qui animaient Baudelaire, non et non ! Déjà Tokyo regorge d'esprits littéraires et sensibles. Et ensuite tu n'as rien compris. Les Fleurs du Mal, c'est une ode à la mélancolie, à la beauté dans la tristesse. A la joie de découvrir un monde dévasté, où l'on arrive après avoir tout abandonné, toute notion de logique. Et contre toute attente, le monde illogique, imparfait, instable, incohérent, et imaginaire est encore plus beau que la réalité. Et puisqu'il est illogique, il est absolument impossible de partager ce monde. On erre seul, et seul on profite de la vue. On pleure, les gens nous plaignent, mais que savent-ils, que comprennent-ils ? C'est à nous de les plaindre, eux qui ne comprennent pas la tristesse, qui ne jurent que par la quête d'un bonheur toujours plus factice.
L'amour, insaisissable, impersonnel, incompris, se trouve dans ce monde, et il est pur en effet, mais il est cruel et on se sent con et stupide d'avoir cru une seule seconde pouvoir en saisir la moindre subtilité. Et ça nous fait rire, et toujours seul, on voit le chemin qu'on a parcouru, seulement là, sans bouger, sans rien dire, juste en pleurant et en buvant. On se sent en haut d'une montagne, d'une tour d'ivoire, on est Roi du monde et on se sent chargé d'une mission, celle de mener le monde à la compréhension. Mais seuls les mots incohérents et volatiles semblent être en mesure de retranscrire nos idées. C'est ça le romantisme, c'est un combat perdu d'avance, et c'est se voir échouer et rire de notre échec parce qu'on se trouve mignon d'avoir voulu essayer. Le public, toujours plus pragmatique, jugera de votre métrique, de vos thèmes et vos inspirations, mais il est incapable de voir au-delà de vos quelques tentatives pour illustrer l'inillustrable. Il est incapable de voir ce qui n'est pas écrit. Et pourtant c'est cela qu'il faut lire. C'est ça le Romantisme. Et bien évidemment que des Tokyoïtes un peu chanceux le comprennent, mais ce n'est pas le cas de l'auteur de ce manga. Donc... voilà. 1/10.

Daigo05
1
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Manga psychologiques

Créée

le 30 juil. 2018

Critique lue 1.8K fois

7 j'aime

1 commentaire

Daigo05

Écrit par

Critique lue 1.8K fois

7
1

D'autres avis sur Les Fleurs du Mal

Les Fleurs du Mal
sc116718267
9

La critique qui spoil vraiment tout le scénario

Je ne suis pas très bon en critique, j'ai vu beaucoup d'internautes résumer l'œuvre et aborder beaucoup d'aspects différents mais je ne me vois pas faire ça. Je vais me contenter d'expliquer pourquoi...

le 14 janv. 2017

13 j'aime

2

Les Fleurs du Mal
Josselin-B
4

Quand les fleurs se fanent

C'est donc ça ce manga si profond et percutant dont on m'aura longtemps rabattu les oreilles ? Celui contant les tourments d’un collégien qui vit, à son échelle, un soupçon de débauche baudelerienne...

le 18 juin 2022

7 j'aime

8

Les Fleurs du Mal
Daigo05
1

Insultant

En soi, le manga en tant quel tel n'est pas mauvais. Le récit, même si un peu lent pour moi, m'a semblé bien travaillé et les émotions sont plutôt bien retranscrites. Il y a même certains passages...

le 30 juil. 2018

7 j'aime

1

Du même critique

Dragon Ball Z : La Résurrection de 'F'
Daigo05
5

Fan Service en 3D

De base, le pitch de départ est mauvais. Dragon Ball a trop de fois joué la carte du méchant qui revient se venger de Sangoku, des années plus tard. Taopaipai, Piccolo, Freezer, le Dr.Gero, Brooly,...

le 25 juil. 2015

10 j'aime

Et Dieu... créa la femme
Daigo05
9

Et Dieu créa... les Misogynes

Un film très drôle et joliment féministe en présentant l'homme et tous ses préjugés sexistes. Bien sûr, les moyens sont un peu artificiels, comme dans bien des films : vous mettez une jolie fille au...

le 13 mai 2015

9 j'aime

2

À l'abordage
Daigo05
2

Racisme anti-blanc et Grand remplacement

Trois personnages : - 2 travailleurs issus de la diversité et au revenu modeste. - 1 babtou fragile fils à maman et issu de la bourgeoisie. Au début du film, le blanc, rebaptisé Chaton, a une voiture...

le 26 janv. 2022

8 j'aime

14