Il suffirait de lire ce premier tome pour discréditer complètement tous les incapables politiques actuels se réclamant du général De Gaulle, et pas spécialement au niveau politique, mais bien pour la rigueur morale qui l'obligeait vis-à-vis du financement de son train de vie. On est tombé si bas en matière d'abus de pouvoir et de vautrage dans un luxe outrancier qu'on hallucine tout bonnement de lire que le Président de l'époque roulait en Simca et refusait d'occasionner le moindre frais inutile au contribuable... N'importe quel reportage actuel sur les ors de l’Élysée ou les ventripotents du Sénat vous persuadera qu'on nage en pleine utopie politique entre ces pages, alors même qu'on égorgeait du fellagha joyeusement pour dissimuler les crasses de barbouzes se prenant pour des autorités morales... Bref, on n'y a pas perdu sur tous les tableaux, mais quand je dis ça, j'ai bien conscience de n'être au courant que du centième des actions secrètes financées par mes impôts. Je ferme cette introduction sur le fond et j'en arrive à la forme, pour sa part fort réjouissante ! Quel dynamisme dans les cadrages, dès le chapitre 1 ! Une descente du FLN pour bouffer du pro-français, dans une cage d'escalier et j'étais sous le charme. Plongée, contre-plongée, explosion du cadre, contre-champ, une vraie leçon d'efficacité, menée tambours battants dans un style graphique réaliste mais plein de caractère, il y a de quoi soulever l'enthousiasme dès les premières pages. Et ça ne faiblit pas. Les personnages sont criants de vérité, même si De Gaulle est le seul à faire les frais d'un soupçon de caricature. Pour le reste, ce dessin admirable se met au service de l'histoire, sombre et tordue, comme le jeu politique de l'époque, au moment de décider du destin de l'Algérie. Un sale débat découlant d'une sale affaire, qu'on est content de savoir derrière nous plutôt que devant car son potentiel de clivage de la société française était infini. Un rien nous pousse au schisme, aujourd'hui, alors si on devait se prononcer sur un sujet aussi épineux, il y aurait du bouillon de rose de Noël au repas du Réveillon dans les familles. Le récit a le mérite d'épouser différents points de vue, histoire de nous laisser nous imprégner des tensions de l'époque, et j'en ressors la curiosité piquée au vif : comment réagirions-nous aujourd'hui dans un contexte pareil, au lieu de pinailler sur l'écriture inclusive ? Remarquez, vu comment on se voile la face avec les enjeux climatiques, il se pourrait que l'Algérie aurait été française jusqu'au XXIIIè siècle... En tout cas, voilà de quoi se plonger dans un débat qui a laissé de vilaine cicatrices dans notre tissu social d'une bien jolie façon. J'attends impatiemment le tome 2 !