Jeunes gens, il va falloir se replonger jusqu'au cou dans la bagarre ! Les japs recommencent à s'agiter mais cette fois, la menace qui pèse sur la Nouvelle Guinée et l'Australie n'a jamais été aussi grave. Le sort du Pacifique Sud repose entre vos mains !
Dans le cockpit avec Buck Danny
Avec Les Japs attaquent, la première aventure de Buck Danny, la petite agence liégeoise World's P. Press s'impose plus fermement dans les colonnes de Spirou, amorçant une collaboration majeure avec les éditions Dupuis. Ce lancement marque également la reformation d’un tandem créatif appelé à devenir incontournable dans le paysage de la bande dessinée franco-belge avec Charlier et Hubinon. Tout commence le 2 janvier 1947. L’agence fournit alors aux éditions Dupuis un mélange de contenus rédactionnels, de réclames et de bandes dessinées. Pour le numéro 455 du journal Spirou, elle propose une nouvelle série intitulée Les Japs attaquent, un récit de guerre tendu qui s’ouvre sur l’un des épisodes les plus marquants du conflit entre les japonais et les américains avec l’attaque surprise de Pearl Harbor. Le scénario initial est signé Georges Troisfontaines, patron de l’agence et plume prolifique, épaulé par Victor Hubinon au dessin. Ensemble, ils introduisent Buck Danny, un jeune ingénieur civil recruté à l’été 1941 sur un chantier naval d’Hawaï. Là, il sera le témoin direct de la frappe aérienne japonaise contre la base américaine, racontée avec un certain sens du réalisme et de l’immédiateté. Les huit premières planches décrivent cette tragédie avec un ton quasi documentaire. Mais très vite, le récit bifurque. Le drame personnel de Buck Danny le pousse à s’enrôler dans l’aviation militaire, et le théâtre des opérations se déplace vers le Pacifique Sud, plus précisément la mer de Corail. À ce moment crucial, Troisfontaines, débordé par d’autres responsabilités, passe la main à Jean-Michel Charlier. Ce dernier injecte une nouvelle dynamique au récit, plus "aventureuse". Ainsi renaît le duo Charlier-Hubinon, déjà auteur d’un autre récit militaire avec L'Agonie du Bismarck. Leur collaboration sur Buck Danny va peu à peu dépasser les attentes, donnant naissance à une saga aéronautique de long cours, qui deviendra une référence incontournable de la BD.
Une fois le scénario confié à Charlier, le récit prend une tout autre ampleur, pour le meilleur… et, il faut bien l’admettre, parfois pour le pire. D'abord, le meilleur, puisque l’album se distingue par une documentation méticuleuse où chaque séquence s’appuie sur des éléments factuels, des fiches techniques des appareils engagés, portraits éclairant des amiraux et des généraux, emblèmes des escadrilles, cartes d’opérations montrant en détail les manœuvres opposant les deux camps lors de la bataille de la mer de Corail. Cette précision quasi didactique replace la fiction dans une chronologie militaire rigoureuse et donne au lecteur l’impression de feuilleter un dossier d’état‑major romancé. Mais l’ouvrage reflète aussi les mentalités de son époque. Les pilotes japonais y portent des traits outrageusement caricaturaux et se voient affublés d’épithètes comme « face de citron » ou « jaune ». Dans la logique guerrière du récit « l’ennemi d’abord », et donc aucune retenue, on l'humilie, on l'insulte, on le rabaisse sans scrupule, et je n'ai aucun problème avec cela lorsque le propos nous plonge au cœur d'une guerre face à des envahisseurs. On ne va pas accueillir la fleur au fusil celui qu’on combat et qui n'a pas une once de pitié pour nous, même si c'est une idée qui plaît à certains. Même lorsque les habitants d’une tribu cannibale sont lancés à la poursuite des protagonistes afin de les bouffer, les traiter de « macaques » ou de « moricauds » ne me semble pas disproportionné. Hors du contexte de 1940‑1945 et autres cannibales, ces qualificatifs sont bien entendu irrecevables ! Dire sale jaune, est une vocable raciste qui sautent aujourd’hui aux yeux et à juste titre, au‑dessus de toute considération morale. Car insulte ethnique contre les jaunes, les noirs, les blancs, même combat, n'est-ce pas ?
Dieu vous garde, capt'ain, et encore une fois merci !
Pour ce qui est de pointer le pire, "à nuancer, bien sûr", ce serait sans doute une certaine légèreté dans la crédibilité du scénario. Dès les premières pages, on confie un poste dans l’aéronavale à Buck Danny, alors qu’absolument rien n’indique qu’il ait la moindre expérience de vol. On dirait que piloter un avion est aussi simple que monter sur un vélo. En temps normal, ce genre d'incohérence ne me poserait pas de problème dans une bande dessinée, mais ici, le récit vise un tel niveau de réalisme qu’on en attend naturellement plus sur la cohérence des faits. Ce décalage entre l’intention sérieuse et certains raccourcis scénaristiques se retrouve à plusieurs reprises, notamment dans l’épisode avec les requins, qui frôle l’exagération… Cela dit, il faut bien reconnaître que ces séquences maintiennent un certain rythme et apportent leur dose de tension. Un autre point négatif à souligner vient de la construction du récit, qui s’avère parfois un peu haché. Il enchaîne des séquences séparées par des ellipses de plusieurs jours, voire plusieurs semaines, sans laisser au lecteur le temps de véritablement s’attacher à Buck Danny dès le départ où à s'imprégner de la situation explorée. Cela donne un résultat flottant un peu au début, sans figure centrale à laquelle se raccrocher. Heureusement, la narration finit par s’installer, et Buck prend enfin corps. Grand, blond, mâchoire taillée au couteau, regard clair et déterminé, son apparence serait d’ailleurs inspirée de celle de Georges Troisfontaines lui-même. Héros sans faille, prêt à braver tous les dangers, il incarne l’aviateur idéal, toujours en première ligne, ce qui garantit des scènes d’action efficaces, aussi bien dans les airs, sur le pont d’un porte-avions qu’au sol. L’intérêt vient aussi du fait qu’on ne le suit pas uniquement dans le cockpit, offrant ainsi plusieurs angles de vue sur la guerre, ce qui enrichit l’ensemble. Et contre toute attente, le moment le plus divertissant, celui où l’on se prend vraiment au jeu, arrive lorsqu’on s’éloigne de l’Histoire avec un grand H. À la dérive sur un radeau de fortune, assiégé par des requins tigres avant d’être pourchassé par une tribu de cannibales… Cette séquence complètement décalée du fil principal se révèle finalement l’une des meilleures de l'album.
Sur le plan graphique, difficile de ne pas noter l’empreinte de son époque avec un style visuel qui a aujourd’hui un aspect résolument daté, et qui pourra rebuter certains lecteurs. Les premières pages, avec leur grille rigide de dix cases par planche, donnent immédiatement une impression de bande dessinée ancienne, à l'aspect muséale. Pourtant, au fil des planches, le dessin prend peu à peu de l’ampleur. Sans atteindre une maîtrise parfaite, il parvient progressivement à poser son décor avec efficacité grâce à une utilisation plus variée des cadrages et une meilleure lisibilité narrative. Il faut toutefois s’armer de patience dans le premier quart de l’album, où la rudesse des traits et la colorisation approximative rendent l’ensemble parfois un peu aride. Toutefois, lors du passage de l'incendie sur le porte-avions, on a droit à une planche exceptionnelle sur les hommes du feu. À noter que si Victor Hubinon signe l’essentiel de l’illustration, c’est à Jijé, figure majeure de Spirou et mentor d’Hubinon, qu’on doit la superbe couverture aquarellée représentant une scène d’action sur le pont d’un porte-avions. Les avions et bâtiments de guerre, quant à eux, sont l’œuvre de Jean-Michel Charlier lui-même, qui avait commencé sa carrière comme dessinateur avant de se consacrer pleinement au scénario. Pour un premier album, l’ensemble graphique n’est pas sans défauts, mais il impose tout de même une certaine force d’évocation. Grâce à son cadre historique solidement campé par la richesse de son traitement visuel, parfois maladroit mais souvent ambitieux. Le récit imprime ainsi une vraie marque dans l’esprit du lecteur, maintenant, est-elle forcément positive, j'en suis moins sûr, mais ça reste marquant.
CONCLUSION :
Ce premier tome de Buck Danny n’est certes pas exempt de maladresses, mais il pose les bases d’une saga ambitieuse, portée par une volonté de réalisme, une certaine audace narrative et un trio d’auteurs déjà remarquables. Entre envols héroïques, tensions géopolitiques et touches d’exotisme débridé, l’album parvient à captiver malgré son âge, et donne envie de suivre plus loin les trajectoires de son héros dans les airs.
Un vol inaugural entre promesses et turbulences.
Si nous parvenons à échapper aux avions de reconnaissance japonais, je compte y parvenir après-demain, reposez vous et préparez vous dés maintenant, boys... Vous n'aurez bientôt plus le temps de dormir !