- Tu es là, Pappy ?! Je suis le marshal adjoint, River Bass. «« BLAM ! Ziing ! »» Joli tir, Pappy ! Y a pas grand monde qui dégommerait un rocher en plein centre, comme ça, à cent mètres !
- Va te faire foutre ! Je visais ta tête ! Attends, tu as bien dit " Bass " ? Marshal Bass ? Le nègre ?
- Celui-là même.
- Bon sang ! Je peux pas me faire arrêter par un nègre. Tout le monde va se foutre de moi ! Arrête de bouger ! Laisse-moi une chance de bien viser !
Introduction :
Après un huitième tome aussi incompréhensible qu’irritant, porté par un message radicalement opportuniste cherchant à flatter une communauté totalement étrangère à l’univers de la série, mais c’était, paraît-il, la tendance du moment, j’ai eu beaucoup de mal à replonger dans Marshal Bass. Cet épisode m’avait laissé un profond sentiment de trahison, d’autant plus qu’il brisait la cohérence patiemment bâtie au fil des précédents volumes. J’ai donc préféré laisser retomber ma colère avant de poursuivre ma lecture, afin qu’elle ne fausse pas mon jugement sur la suite de la saga. Et me voilà aujourd’hui, enfin, prêt à redonner une chance à cet univers que j’ai toujours tant apprécié, avec ce neuvième tome des aventures de Marshal Bass, et me voilà rassuré, on laisse tomber les aberrations du précédent tome pour ce concentrer de nouveau sur ce qui fait la richesse de la saga.
La justice contre la justice !
Marshal Bass, tome 9 : Texas Rangers, publié aux Éditions Delcourt, nous entraîne dès les premières pages en janvier 1878, au milieu de nulle part. On y retrouve Doc Moon, personnage déjà croisé dans le tome 3 : "Son nom est personne". La voilà de retour, errant aux abords d’une ferme misérable pour exercer sa sombre vocation de "médecin". Car ses soins ont quelque chose de particulier, puisqu'ils consistent moins à guérir qu’à abréger les souffrances de ceux qui s’attardent trop longtemps entre la vie et la mort. Elle met fin à l’agonie d’un vieillard épuisé, fardeau devenu trop lourd pour une famille pauvre qui ne peut plus se permettre de nourrir une bouche inutile à la survie collective. La scène est cruelle, révélant sans détour la misère et la fatalité qui pèsent sur ces vies agraires. Tout au long du tome, Doc Moon réapparaît, poursuivant son œuvre d’ombre. Elle apporte la délivrance à une enfant affamée, efflanquée et malade, que sa mère épuisée, ne peut plus nourrir. L’enfant pourrait encore être sauvée, mais la mère, acculée par la faim et le nombre d'enfants à nourrir par le sein, semble voir dans sa mort une délivrance nécessaire pour permettre aux autres enfants de vivre. Ce réalisme insoutenable, confère à l’album une dimension humaine bouleversante avec une zone grise où la morale se dissout dans la nécessité. Et, paradoxalement, on découvre peu à peu que Doc Moon s’improvise mère à son tour, comme si son humanité cherchait à survivre dans ce monde sans répit. Darko Macan signe une critique sociale de la dureté de l’Ouest d'une crudité rare. Loin des mirages glorieux du western classique hollywoodien, il nous plonge dans un Ouest crépusculaire, sale, âpre, et rude où la loi du plus fort règne sans héroïsme ni illusion.
Bon, d’accord, mais dans tout cela, que devient notre cher Bass Reeves ? Eh bien, plus à l’ouest, le marshal mène une mission que l’on pourrait croire routinière, arrêter un vieux brigand pour le livrer à la justice et le voir finir au bout d’une corde. Mais rien ne se déroule jamais simplement avec Bass. La nombreuse descendance du malfaiteur, aussi revancharde que violente, ne tarde pas à se lancer à sa poursuite, entraînant le marshal dans un véritable bain de sang où la seule issue pour lui semble être la mort. C’est alors qu’une unité de Texas Rangers surgit in extremis, neutralisant les assaillants et sauvant Bass d’une fin inévitable. Mais quel rapport entre le récit funèbre et intimiste de Doc Moon et celui, beaucoup plus explosif de Bass Reeves ? Pour l’instant, nul ne le sait. Ce neuvième tome ne constitue que la première moitié d’un diptyque, et les deux intrigues avancent en parallèle, sans encore révéler le lien qui finira, peut-être, par les unir. Car on devine que le destin de Doc Moon finira par rejoindre celui du marshal, mais comment et pourquoi restent un mystère. C’est d’ailleurs ce qui confère à cet album son caractère à la fois singulier et déroutant à cause de son parti pris narratif qui instaure une sensation d’inachevé, à travers un suspens latent qui empêche de l’appréhender pleinement pour ce qu’il est, rendant difficile toute évaluation indépendante de sa seconde partie. Le récit s’interrompt brutalement, alors pourtant en plein mouvement, sans qu’on sache encore vers quoi il tend ni quel sera le véritable cœur de ce diptyque. En attendant de découvrir la suite, je choisis donc de le juger tel qu’il est, tout en gardant à l’esprit que mon opinion pourrait évoluer à la lecture du tome 10. Quoi qu’il en soit, une chose est sûre, cette fin suspendue donne furieusement envie de poursuivre la lecture.
Salut mon vieux. On m’appelle Doc Moon mais je ne suis pas vraiment docteure. J’me suis dit que je devais de te le faire savoir, j’sais pas pourquoi. N’ai pas peur. Il est temps de t’en aller. Il est temps de rejoindre ceux qui t’aimaient.
L’action domine ce neuvième tome avec des fusillades qui s’enchaînent à un rythme effréné dès que le récit se concentre sur Bass Reeves, parfois au détriment du scénario qui évolue peu. Pourtant, une tension sous-jacente laisse entrevoir une évolution plus profonde de l'histoire avec la bande de Texas Rangers que Bass accompagne. Elle se compose de figures singulières, avec Bullock, Hare, Jacinto, Woodrow, Gabriel alias "le fantôme", William de son vrai nom : Topeka Kid, et enfin, le capitaine Dexter Miller. Macan les dépeint comme des salauds assumés, mais des salauds au service de la loi. En l’occurrence, la loi du colonel Terrence B. Helena, U.S. Marshal, l’homme même qui a sauvé Bass de la potence pour faire de lui le premier marshal adjoint noir de l'histoire, lors du premier tome. Cette relation de dette et de respect à forgé Bass, et la voire effritée confère au récit une profondeur morale nouvelle. Comment Bass pourrait-il admirer un homme responsable de la création d’une unité aussi impitoyable ? Ce conflit intérieur explose lorsque Bass, rongé par la colère, en vient à affronter physiquement le capitaine Dexter Miller qui pourtant lui tend une main, incapable d’accepter que son mentor cautionne une telle brutalité. Derrière cette tension se dessine peut-être une intrigue plus complexe qu’il n’y paraît, ouvrant la voie à une nouvelle lecture pour la série. Bass pourrait à terme se retourner contre son idole, remettant en cause tout ce qu’il croyait être la justice.
Sur le plan visuel, Marshal Bass reste une véritable référence du western dessiné. Le trait ultra-détaillé d’Igor Kordey, soutenu par la palette de couleurs ternes et poussiéreuses de Nikola Vitkovic, saisit avec une intensité remarquable la rudesse et la tension de cet Ouest sauvage. Même les lecteurs peu sensibles à ce style ne peuvent qu’admirer la précision du dessin, la richesse des cadrages et la densité des compositions. Comme à l’accoutumée dans cette saga, on a droit à une double page d’anthologie, évoquant une grande fresque où le souffle se coupe face à un instant figé de massacre. Quelques pages plus loin, le récit s’achève sur un final visuellement dantesque avec un duel au corps à corps sous une pluie battante, dans la nuit noire et la boue, où rage et fureur se mêlent dans chaque geste. Une palette visuelle somptueuse, parfaitement maîtrisée, qui offre un final saisissant, nous laissant sur le cul, et surtout sur notre faim, car s'achève ainsi le tome 9.
CONCLUSION :
Marshal Bass, tome 9 : Texas Rangers, est un album de transition, violent, superbement illustré, mais volontairement fragmentaire. S’il déroute par son inachèvement, il fascine par sa densité et par cette façon de creuser la part d’ombre de l’Ouest et, plus encore, celle de l’âme humaine. Il ne reste maintenant plus qu’à espérer que le tome suivant soit à la hauteur de l’attente qu’il suscite et de ce qu’il laisse entrevoir. En fonction, je pourrais baisser ou monter ma note.
Voilà le Marshal Bass que j'adore !
- Vous ne pouvez pas vous prétendre rangers juste parce que vous avez décidé de l'être !
- Et comment se fait-il que vous vous prétendiez marshal, alors ? Un marshal noir ! Qui a déjà vu une chose pareille ?!
- J'ai été nommé dans les règles de l'art ! Par le colonel Helena, le…
- …Le même homme qui m'a suggéré que le nom de Dexter Miller n'avait pas à mourir.
- Vous racontez vraiment que des conneries, Miller !
- Ah bon ?
- Vous croyiez vraiment qu'on pourrait faire tout ça sans quelqu'un derrière pour graisser quelques pattes et tirer quelques ficelles ?
- Non… Helena ne ferait jamais ça… Il…
- Woody est mort, les gars.
- Récupère son étoile. Nous la renverrons à sa famille. Elle sera fière qu'il soit mort en tant que ranger.
- Mais vous n'êtes pas des rangers ! Helena ne ferait jamais une chose pareille ! Jamais !
- Et pourquoi pas ? Helena est-il un saint ? Ou alors vous prosternez-vous devant lui juste parce qu'il vous a donné cette étoile ? Est-il devenu… votre nouveau maître ?