Dès les deux premières pages, Maus donne le ton. Dans son style graphique tranché, d'un noir et blanc acerbe et sans concession, on observe Artie, le narrateur, alors âgé d'une dizaine d'année se faire lâcher par ses amis parce que son patin à roulettes s'est cassé. En pleurs, il arrive jusqu'à son père, occupé dans le jardin. Plutôt que du réconfort, Vladek, cynique, choisit une autre approche :
" des amis ? Enfermez vous tous une semaine dans une seule pièce sans rien à manger... Alors tu verras ce que c'est les amis !..."
Anecdote anodine, mais dont la lecture sonne comme un avertissement. Un préambule à la plongée au fin fond de la noirceur qui s'annonce.


Maus c'est une œuvre forte, intransigeante, qui marque, et marque fort. De ma première lecture en cachette à mes 12 ans à ce qui doit être la 5ème ou 6ème alors que j'en ai aujourd'hui le double, aucune œuvre ne m'a laissé une trace aussi forte que celle que Maus m'a faite.


Avec Maus on voyage ; on vit le chemin désincarné de milliers de victimes d'un côté, avant de plonger dans les profondeurs de l'âme humaine. On sombre dans le pessimisme d'un auteur qui n'en peux plus d'essayer de disséquer sa relation avec son père et de le comprendre, lui et sa culpabilité.


Maus, c'est l'histoire d'une oppression, c'est l'histoire de l'horreur, et c'est l'histoire d'une guerre. C'est l'histoire d'un monde pas si lointain à la férocité si intense qu'elle en devient absurde. C'est un monde où la survie tient à énormément de choses, mais surtout à la chance, et trop souvent à son absence.


Maus, c'est aussi la relation d'un fils et de son père, une relation ambiguë, complexe, tachetée de haine et gangrénée d'amour. Un fils qui en veut à l’égoïsme de son père, son racisme, son avarice. Qui lui en veut de se comporter comme toutes ces représentations antisémites et caricaturales du juif. Qui ne supporte plus son intransigeance et sa victimisation incessante. Mais c'est aussi un fils qui se déteste pour ces pensées, qui culpabilise d'être comparé à son père, ou à un frère qu'il n'a jamais connu. Qui finalement s'en veut de ne pas avoir vécu l'holocauste et ses atrocités, de ne pas avoir partagé cette souffrance, de ne pas avoir à justifier sa propre survie.
Maus c'est une œuvre où père et fils portent le poids insoutenable de la culpabilité du survivant.


Maus c'est un théâtre grotesque qui donne la vie en spectacle. C'est l'humanité dissimulée derrière un masque au motif animal. On nous y parle d'une vie comme d'un détail et d'un humain comme du bétail. Maus, c'est l'atrocité dans tout ce qu'elle renferme de plus humaine.


Mais surtout, Maus, c'est un récit profondément honnête. C'est un condensé d'histoire rapporté sans jugement, pétri de questionnements, d'incertitudes, de haine, et de compassion. Maus c'est un récit qui entremêle la grande Histoire avec la petite.


Maus, c'est le personnel qui vient confiner à l'universel.

Dalifr
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le 27 mai 2020

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Dalifr

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