Encore une histoire de la Shoah... et sans doute dangereuse qui plus est

Et oui, une de plus (Magneto dans X men avait été un point de première overdose)...
Loin de moi l'idée d'aller considérer ce génocide comme un "détail" de l'histoire comme certains abrutis fachos en quête d'audimat aiment à le beugler...
Mais quoi, bande naïfs, vous croyez vraiment le régime nazie était le seul régime sanglant de l'Histoire?
Quand aurons-nous des histoires sur la colonisation? Le génocide des indiens d'Amérique? Les Khmers Rouges et ce bon Pol-Pot? Les goulags ou encore Mao? Le Rwanda? La Commune? Le génocide kurde? ...
Les massacres ce n'est pas ce qui manque dans l'histoire de l'humanité... Il serait peut-être un peu de temps de sortir de notre Occident.
Bref le thème déjà ne m'attirait pas plus que ça...


Le traitement ensuite, dessin moyen et choix sobre du noir et blanc ok pourquoi pas. Le choix des animaux est le premier gros écueil de l'ouvrage, au risque de vous déranger, les nazis étaient des êtres humains comme vous et moi et comme nous pouvons potentiellement le devenir moyennant ce cocktail détonnant de pauvreté et de propagande haineuse envers une minorité. Séparer les nazis des gens normaux et des juifs avec des races/espèces différentes ne me parait pas servir notre mémoire collective et la part de bestialité que nous portons TOUS en nous... Une comparaison avec la Ferme des Animaux d'Orwell pourrait d'ailleurs ici être salutaire où de ce que je me souviens, la nature des animaux est assimilée à leur fonction et non à leur religion, leur idéologie ou leur nationalité (l'amalgame entre les trois est à lui seul déjà impardonnable)... La métaphore aurait déjà nettement moins des relents de manipulation, j'en arrive donc à la conclusion que derrière des oripeaux de bonnes intentions, cet ouvrage entretient un racisme que nous cherchons tant à combattre encore aujourd'hui, car ON NE COMBAT PAS LE RACISME AVEC DU RACISME ! Sinon puis-je mettre au feu cet ouvrage pour continuer de combattre le feu par le feu tout comme les nazis brûlaient des bouquins?
Allons, allons, calme-toi CPR. Respire un coup.
Que Maus soit artistiquement discutable ne me pose pas de problème, mais navré, je la trouve idéologiquement dangereuse par sa tentative de manipulation via l'animalisation, même ce bon La Fontaine ne nous amadouait pas d'une si sentimentaliste manière.
Généralement une manipulation si grossière n'attire aucune clémence de ma part et c'est bien la note minimale que cet ouvrage devrait mériter.
Ce côté animalisation est absolument assumé car quand ils côtoient des cochons, les souris portent des masques.
Et quand l'auteur dans un accès de sollipsisme aigu nous raconte sa déprime et sa rencontre avec son psy, ils portent des masques de souris, mais à ce moment c'est trop tard le mal est déjà fait...


"Papa, raconte moi une histoire..." ou quand l'histoire veut se substituer à l'Histoire...
Dès le début, le père ne parait pas être le meilleur narrateur pour cette histoire, car oui, grande originalité, ce sera raconté par un homme qui nous fait l'honneur de ses histoires de coucheries dans lesquelles il est abusé... Oui, oui, oui... Alors je vais vous faire une confidence mais quand un homme me raconte qu'une nana est une salope m'invitant de fait dans son machisme ordinaire, je regrette amèrement de me refuser à toute forme de violence et surtout, je m'interroge sur son objectivité.
Et puis, pourquoi il parle comme Yoda à mettre son COD avant le verbe.
Mettre autant en avant ce narrateur est ambivalent car si d'un côté, on perçoit bien les traumatismes hérités de son expérience, cela altère d'autant son objectivité d'un autre. On me signale qu'il faudrait que je me penche sur Metamaus qui détaille la génèse de l'oeuvre où en effet Spiegelmann refuse toute forme d'objectivité à son récit, mais lui attribue tout de même bien une valeur historique... Si la Shoah est un évènement qui vous traumatise tant, je pense que les nombreuses oeuvres qui l'abordent devraient alors le faire avec moins de manipulation, la littérature ou la cinématographie sont bien assez abondantes (Schindler, Si c'est un homme sont quelques exemples qui me viennent à l'esprit).
Inutile également de nous rappeler sa pingrerie toutes les 20 pages, on comprend ce travers et compte tenu de ce qu'il a vécu, c'est complètement excusable, de la même manière, l'épisode raciste avec l'auto-stoppeur me parait loin d'être indispensable.
Signalons en outre que les dialogues père-fils sont complètement creux, à aucun moment il n'y a une tentative philosophiste sur la nature humaine ou sur les priorités de l'existence.


Autre point de réflexion : c'est le passé du père qui biaiserait la relation entre le père et son fils, on est incité donc à penser qu'exempt d'un tel traumatisme, les relations père-fils seraient possibles voire parfaites? Navré, mais ce discours sous-jacent pro-famille me dérange.


Il y a un autre écueil qui me gêne (mais qui celui-ci pourrait s'appliquer à de nombreux autres oeuvres sur ce sujet, mais compte tenu de la note élogieuse de Maus, j'attendais quelques éclairages) : comment on est-on arrivé à ce génocide? Comment au cours des années qui ont précédé la 2nde GM, les allemands se sont laissés embrigader dans le système nazie? Comme je le disais, ils sont des humains comme nous et c'est sur cette question qu'il y aurait matière à enseignement, est-ce vraiment juste un mauvais mélange de propagande nazie et de pauvreté galopante? Maus, pas plus que d'autres oeuvres ne donne de réponse... Je détecte là cette habitude typiquement américaine de vouloir rester politiquement correct ou de refuser tout simplement d'en parler, j'ignore si c'est une volonté commerciale/éditoriale, mais cet oubli systématique nous laisse des séquelles encore aujourd'hui (mais si voyons écoutez un peu les discours extrémistes et racistes contemporains).


J'en profite également pour mentionner les oubliés : quid des handicapés et des gitans/manouches? Parlons de la Shoah soit, mais parlons alors de toutes ses victimes. Il me semble aussi que la Pologne a été durement touchée en nombre de victimes et on les représente en cochon...


Néanmoins on reconnaîtra au récit d'être bien factuel dans les évènements qu'il rapporte.


Maus aurait pu être un grand récit de l'Holocauste, mais il n'est qu'un détaillé témoignage très mal rendu et avec cette tentative de manipulation animalière inacceptable.


Dernier point : Maus pose également la question de ce label de plus en plus systèmatique "histoire vraie", on savait déjà que ce label trop souvent utilisé pour attirer le chaland n'était pas gage de qualité, nous en avons une belle confirmation ici.

CorsairePR
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le 28 déc. 2015

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CorsairePR

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