Jean Giraud, alias Gir, alias Moebius, alias Koba (euh non pardon, je m'enflamme) était un des plus grands artistes du XXème siècle, un génie visionnaire, baroque et touche-à-tout, probablement le dessinateur le plus talentueux de la génération Pilote (Mâtin quel journal), cela la grande majorité de ses lecteurs s'accorde à le dire.


Ce que diront également ceux qui ont côtoyé Jean Giraud l'homme, y compris ses comparses Druillet et Jodorowsky qui pourtant en tiennent eux-mêmes une sacrée couche, c'est que c'était un drôle de gugusse. Cela étant, il avait tout à fait le droit de croire en qu'il voulait, aussi étranges et inaccessibles que puissent nous paraitre le chamanisme navajo et la spiritualité chères au dessinateur lyonnais.


Ce que PERSONNE n'a jamais dit en revanche, c'est que Jean Giraud était un bon scénariste. Ses manquements aux règles basiques de l'intrigue et de la narration, en l'absence de son complice de trente ans Jean-Michel Charlier, se faisaient déjà cruellement ressentir dans les deux albums précédents. Mais alors quand l'ami Gir se décide à jouer les éléphants dans un magasin de porcelaine et à inclure ses croyances dans un univers jusqu'alors fermement ancré dans le réel par l'athée Charlier, eh bien ça donne… OK Corral.


Corral l'est peut-être, mais moi je ne suis pas OK avec tout ça, mais alors pas du tout… commençons par le début, voulez-vous ? L'album s'ouvre des auspices familiers, avec le gros Strawfield rejoignant sa mine, où l'attend un trio de tueurs à gages aux sales gueules dignes des plus grandes heures de la série. Nous comprenons vite que Strawfield n'a qu'une confiance modérée en le clan Clanton, préférant s'assurer du renfort de trois professionnels du fusil à lunette pour en finir avec ces Earp qui semblent décidément un peu trop prompts à innocenter Geronimo de l'attaque de son propre convoi. Manque de chance, le journaliste Clum, qui passait littéralement par-là, a entendu leur conversation, lui qui sait déjà que les Apaches n'ont rien à voir là-dedans. Strawfield lâche alors son garde du corps Johnny Ringo à ses basques.


Après ce début prometteur, c'est le moment que choisit Giraud pour péter les plombs – et il n'est pas le seul. Car Johnny Ringo, s'avère-t-il, le Johnny Ringo sinistre et taiseux de l'album précédent, petit frère de Sentenza, est en réalité un psychopathe en bonne et due forme, du genre à charcuter les femmes pour offrir leur sang à une divinité appelée le "Dragon Rouge", activité qu'il pratiquait jadis dans une secte du même nom. Comment le sait-on ? Eh bien, parce qu'après avoir éliminé Clum, Ringo connait une "rechute" en croisant la route de la belle Dorée Malone, qu'il enlève et séquestre dans sa chambre.


Giraud nous gratifie alors d'une des séquences les plus aberrantes de l'histoire de la série, à égalité avec l'interruption du mariage au début d'Arizona Rape : Ringo, qui a entretemps perdu sa moustache et changé de visage, se fout à poil et couvre son crâne balafré d'une perruque rouge vif du plus bel effet. Il ira même encore plus avant la fin de l'album en se couvrant le corps de peinture pour ressembler à un squelette du Dia de los Muertos.


Fin de la critique.


Oh attendez, vous voulez vraiment en savoir plus ? Le pire plot-twist de l'histoire du Neuvième Art ne vous suffit donc pas ? TANT MIEUX, dans ce cas, parce que croyez-le ou non, Giraud (qui aura tout aussi incroyablement réussi à éviter un procès pour plagiat de la part de Thomas Harris, auteur d'un roman dont je vous laisse deviner le nom…) a plus d'un tour dans son sac ! Échaudé par la disparition de sa nouvelle dulcinée, Mike Steve Blueberry décide que trois albums de suite à rester assis ou couché, ça va bien.


Nous n'aurons donc pas droit dans cet OK Corral à la suite de sa rencontre avec Geronimo, puisque le beau brun, soudain rétabli de ses blessures, va trainer ses cheveux désormais gominés (quelle horreur, ce look…) dans tout Tombstone à la recherche de Dorée. Même l'intrigue du célèbre duel valant son titre à l'album passe au plan secondaire, bien qu'elle nous vaille une jolie scène entre Doc Holliday et le jeune Boone. Il serait fastidieux de faire le résumé dans le détail des dites pérégrinations, voici donc mes temps forts :


-le barman mexicain Vargas change lui aussi de visage en l'espace d'une case, sur la même planche, lorsqu'il dévoile sa vraie nature en rencardant Strawfield.


-alors qu'il tombe sur l'un des tueurs à gages, Clark, les blessures de Blueberry se rouvrent. Pourquoi ? Bonne question… je veux cependant bien donner le bénéfice du doute à celui-là, peut-être est-ce dû à son mini-pugilat avec Clark.


-laissé pour mort, Blueberry cimente sa transition vers le stade de super-héros en tuant Clark et en pansant lui-même ses blessures. "Ce n'était qu'une hémorragie superficielle", assure-t-il, au sommet de sa forme.


[Excusez-moi pour cette interruption, il m'aura fallu un bon quart d'heure pour me remettre de ce dernier développement. Que voulez-vous, je ne suis pas l'Übermensch de la BD franco-belge, moi…]


-désormais rencardé sur OK Corral, Blueberry est alors confronté au deuxième tueur à gages, Hon-le-muet (cousin de Flap-le-beau, à n'en pas douter) lequel, comme son nom l'indique, ne s'exprime qu'en grommelant "Hon". Des coups de feu sont échangés, le sniper muet est mortellement blessé, mais au seuil de la mort retrouve la parole…


[Pardonnez-moi, nouvelle attaque cérébrale. Rassurez-vous, ça va aller, je commence à m'habituer, dans la douleur, et puis on approche de la fin. Reprenons.]


-… pour parler à Blueberry du Dragon Rouge. Hon-le-bavard pousse même l'amabilité jusqu'à indiquer le numéro de la chambre de Ringo, ce qui soulève pas mal de questions sur leur sexualité, je dois dire.


-N'empêche que Nez-Cassé aussi s'est fait toucher durant la fusillade. Alité, il se réveille en face de… la chambre de Johnny Ringo. À ce stade, comment pouvait-il en être autrement ?


L'album se termine ainsi, avec Blueb' sur le point d'enfoncer la porte de la chambre d'Ernesto de la Cruz, tandis qu'au-dehors, dans le fameux OK Corral, les Earp et les Clanton, qu'on avait oublié, s'apprêtent à faire ce que nous attendons en baillant depuis trois tomes, sous le regard vigilant du troisième tueur à gages, Heinrich, seul véritable piquant apporté par Giraud à l'événement.


OK Corral est le pire album de tout Blueberry, une insulte à la série et à la mémoire du grand Jean-Michel Charlier. Ne vous donnez pas la peine de le lire et replongez plutôt dans Le Spectre aux Balles d'Or ou Ballade pour un Cercueil… à moins que vous n'ayez un faible pour les séances de bondage avec moumoutes rouges…comme je l'ai dit tantôt, je suis tolérant, chacun ses goûts ! Abstenez-vous juste de les étaler dans l'une des plus séries les plus respectées de la BD. À bon entendeur...

Szalinowski
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le 3 avr. 2019

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