La motivation de cette lecture tient à une faiblesse qui se sera imposée à chacun de nous. Tous, nous avons peut-être adoré des œuvres qui, du fait du succès rencontré, ont suscité une suite. C’est courant au cinéma. Tant que le portefeuille du spectateur moyen n’est pas vide, c’est qu’il est à disposition de qui saura le délester. La manœuvre ne semble pas indisposer la plèbe puisque celle-ci paraît réclamer qu’on la rapine jusqu’à l’ultime récidive. Et ces suites, on a beau deviner qu’elles seront minables pour la plupart, c’est plus fort que nous ; il faut qu’on s’y essaye, il faut qu’on sache si on passe ou non à côté de quelque chose de grandiose.


Les mangas qui ont engagé des suites, il n’y en a pas eu tant que ça. Go Nagai est coutumier du fait et ça n’est pas à mettre à son crédit. Mais ceci excepté, les maisons d’édition manga au Japon, en dépit de la recherche de rentabilité exacerbée de leurs prévarications, se seront généralement abstenues de pousser au crime plus d’une fois. Il y a bien eu Dragon Ball Super me direz-vous. Toriyama a eu le mauvais ton d’être trop talentueux pour qu’on le laisse tranquille. Cependant, si ce n’est quelques exceptions notables – et originales pour certaines d’entre elles – les auteurs de mangas ne se permettent pas trop de chier en dehors de leurs platebandes. Se saborder, ils peuvent et beaucoup ne s’en privent pas ; saboter le titre d’un collègue, c’est une autre affaire. L’entreprise s’accomplir alors généralement avec l’assentiment de l’auteur original qui se risque au scénario du bout de la plume. Parasite Reversi, en revanche, marche dans les traces du Parasite originel sans que le parcours n’ait toutefois été fléché par Hitoshi Iwaaki. Le risque de se perdre est présent. Présent, et fâcheux.


Que les moins avertis ne s’y trompent pas, si le nom de Hitoshi Iwaaki est mentionné sur la fiche SensCritique, ce n’est qu’eu égard au fait qu’il soit l’auteur de la première œuvre. Reversi n’est écrit et dessiné que de la main de Ôta Moare qui, deux fois déjà par le passé, s’était essayé à des suites de Parasite moins fructueuses que celle-ci. Un fan obstiné peut-être ? Trop peu d’informations circulent à son sujet sur le web anglophone et francophone ; difficile, dans ces conditions, d’avoir un aperçu précis de la Genèse de Reversi. Cela s’est-il fait à l’initiative de la maison d’édition ou bien suite à une concertation entre les deux auteurs ? La question n’a rien de verbeuse, elle trouve sa pertinence dans l’intention derrière la motivation. Ôta Moare est-il un Yes-Man chargé de rentabiliser une licence ou bien un véritable passionné ayant, de sa propre initiative, choisi d’écrire sur Parasite ? Il appartient au lecteur de le deviner. Permettez-moi cependant de guider la réflexion.


Le style graphique de Reversi est plus mature que ne l’était celui de Iwaaki, cela saute rapidement aux yeux. Iwaaki présentait des personnages dont on aurait pu croire, à leur character design, que ceux-ci étaient échappés de Shônens. Les traits des visage étaient plus « enfantins », moins rudes qu’on n’aurait pu l’espérer d’un manga aussi noir. Moare cherche ici à adapter un style mature à une trame qui ne l’est pas moins.

Je préfère évidemment le trait de Iwaaki dont les contours et les contenus attestent d’une identité propre. Me présenterait-on cent styles que je reconnaîtrais le sien parmi tant d’autres. Je ne pourrais cependant pas en dire autant de ceux de Moare qui, il faut le rappeler, ont le mérite d’être plus aboutis graphiquement parlant. Mais cela suffit-il à en faire de bons dessins ? À chacun d’en juger et je ne me suis pas privé de le faire. Je note toutefois qu’ici, l’auteur aura cherché à émuler le style qui l’a précédé. On retrouve chez bon nombre de personnages les regards brossés jadis par Iwaaki. La tentative est louable, d’autant plus qu’elle est réussie.


Bien que Reversi poursuive une trame parallèle au Parasite original, les intrigues seront amenées à s’interpénétrer. Le protagoniste, en effet, n’est nul autre que le fils de Takeshi Hirokawa, celui-là même qui fut le maire à la tête de l’organisation des Parasites du temps de la publication originale. Du reste, les personnages déjà connus ressemblent sensiblement à leur version antérieure, mais en mieux détaillés. Je pense ne pas me tromper – à voir les similitudes dans le style – pour dire que Moare est au moins un passionné de Parasite, sinon quelqu’un de très investi dans son travail.


Les personnages sont intéressants, on se plaît à les voir interagir entre eux. Ils s’approfondissent tout seul, sans avoir à y être forcés par la trame. Le récit se déroule naturellement et sans artifice. Comme du temps Kiseiju ?…

Non. Je me ressaisis, je n’ose y croire. Il s’agirait d’une suite d’un de mes Seinen favoris, écrite par un autre auteur…. et qui serait bonne ? Mon tempérament suspicieux m’intime alors de scruter le moindre détail pour ergoter et pourtant, rien n’y fait : c’est relativement excellent. On retrouve la même ambiance que celle du manga original, mais avec un semblant de garniture pour ne pas que ça ait le goût du réchauffé.


Toutefois, les chapitres défilent trop vite. Le contenu fait défaut par moments avec beaucoup d’instants de silences. Un manga, du fait de sa portée graphique, à beaucoup à dire au-delà de ses bulles, mais doit se souvenir que ses personnages ont des choses à dire. Beaucoup de pages donnent le sentiment d’avoir été dessinées en pure perte.

Le protagoniste ici sera celui-là même à avoir fusionné avec son Parasite ; dans la main gauche cette fois. Reversi, alors, prend tout son sens.


Les sujets abordés sont plutôt profonds et ne visent pas seulement à exploiter un minerai déjà tari. Les propos de Noda sur la vacuité de la poursuite de l’existence d’une espèce qui ne peut pas se reproduire est d’une pertinence redoutable. Je le dis, Moare a vu plus loin qu’Iwaaki et, de ce fait, ne copie pas son œuvre ; il la parachève tel un disciple marchant dans les pas de son maître. Qu’un fan amateur de l’œuvre originale soit amené à écrire une série dérivée n’était pas une bonne nouvelle en ce sens où la passion aurait pu mener à la déraison. Froidement, pareil au méthodisme d’Hirokawa, Moare aura cependant analysé l’œuvre pour mieux combler ses carences.


La thématique de la figure du père – ou en l’occurrence, de son absence figurative – aura été remarquablement bien traitée. On persiste à explorer de nouvelles facettes de l’œuvre sans la trahir. Iwaaki eut-il été au dessin que j’aurais été persuadé qu’il s’agissait d’une suite à part entière sortie de son propre logiciel créatif.


On reprochera la coïncidence qui aura poussé Ebisawa à sélectionner par hasard Tatsuo comme cible de sa frénésie meurtrière, ou encore le « Spider sense » de Ichinose qui, d’un coup d’œil, aura repéré deux parasites. Comme cela avait été établi, seuls les spécimens humains avec des pulsions homicidaires prononcées peuvent en principe ressentir leur existence. Par contre, un chapitre dont le titre est « Papaoutai », c’est une erreur rédhibitoire. Mais la chanson – qui apparemment a trouvé ses accès jusqu’au Japon – correspond forcément à la thématique susmentionnée de l’absence du père et de sa figure de substitution. Il n'empêche que c'est une chanson de merde.


Voilà une suite qui, pour une fois, n’a pas été écrite pour rien et sans idée aucune. Elle est cependant assez lente à se mettre en place, trépigne et traîne des pieds sans vraiment se décider à quel chemin emprunter. Tout lecteur consciencieux, à ce titre, lui souhaitera d’aboutir à une orientation plus nette afin, justement, de s’accomplir en conséquence. Que la trame cesse de trop patauger sur place pour se décider enfin à se lancer pour de bon après avoir multiplié les pistes intéressantes.

Le fait que l’on connaisse l’issue du problème des Parasites contribue à quelque peu tempérer nos espérances ; il n’empêche que Reversi, pour la suite d’une légende, fait correctement honneur à l’œuvre dont il prolonge le récit et ce, sans trahir son propos, mais sans jamais non plus renouveler le plaisir que fut d’expérimenter Parasite sous la plume d’Hitoshi Iwaaki.

Josselin-B
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le 14 oct. 2022

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Josselin Bigaut

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