Avoir du recul par-delà la stratosphère, ça permet de relativiser bien des choses. La planète bleue perd de sa superbe alors qu'on observe l'immensité de l'espace qui l'entoure. Un rien dans un tout sans fin, voilà pour notre joyau terrestre pour peu qu'on le regarde d'assez loin. Du recul, j'en ai pris pas mal avec Planètes. Je l'ai lu du bout des doigts, à distance raisonnable afin que mon esprit critique ne se laisse pas happer stupidement par la réputation précédant l'œuvre. Puis j'ai baissé ma garde, je me suis approché - moins farouche - pour lire de plus près. De très près même. À la loupe que j'aurai terminé ma lecture car à moins d'un regard scrupuleux et attentif, difficile de voir le propos de Planètes derrière la verbomanie compulsive de ses personnages. Nous voilà à nous façonner un chemin à repousser éloquences creuses et autres apophtegmes improvisés d'ici à ce que nous atteignons le cœur du manga : l'espace. L'espace et le vide intersidéral dont ce dernier, comme l'œuvre, est principalement fait.


De la Lune aux frasques barbares des scandinaves du premier millénaire, il apparaît loin le rapport pour le néophyte mal renseigné. Makoto Yukimura aura pourtant peint Planètes et Vinland Saga du même pinceau, l'une des deux œuvres trouvant finalement davantage grâce à mes yeux que l'autre. Les grandes envolées philosophiques auront aussi bien trouvé leurs accès dans chacune des deux compositions de l'auteur mais, là où elles savaient être pertinentes et s'effacer à temps dans Vinland Saga, ces longs babillages compulsifs et erratiques ne trouvaient ici aucun frein à leur dévergondage. L'espace, vous vous le mettrez sous le bras ; c'est de traités dialectiques de comptoir dont nous serons gratifiés ici. Einstein aurait prétendu que seules deux choses étaient infinies : l'espace et la bêtise humaine. S'il n'est donc pas question d'espace dans Planètes, il ne tient qu'à vous de déduire de quoi sera fait le manga.


L'arrangement des planches et l'acuité du dessin tendra initialement plus vers un style prompt à rappeler la franco-belge que le manga à proprement parler. Ça m'avait surpris alors que les dessins n'avaient strictement aucun rapport avec ce à quoi je fus habitué du temps de Vinland Saga. Remarquez qu'il n'y a pas de quoi se plaindre, mais pas de quoi nous rester en mémoire non plus. Planètes jure par le fond plutôt que la forme. Le fond sera correctement abordé au point même où l'on viendra à le toucher à diverses reprises.


En tout cas fidèle à son travail de documentation, Makoto Yukimura ne déroge pas à ses bonnes habitudes en se renseignant âprement sur le sujet qu'il exploite. Les techniques pour évoluer dans un cadre spatial sont légions et formidablement bien rapportées, toujours à mille lieues de ce à quoi pourrait ressembler une œuvre de science-fiction fantaisiste. L'auteur aura su offrir un cadre crédible à l'ensemble de son intrigue. Ce volet technique optera plus tard pour une figuration de second plan, laissant généreusement sa place aux réflexions stériles de personnages qui ne seront plus fait que de ça.


Un propos, Planètes aura essayé d'en avoir un avant de n'être plus qu'une composition maugréant dans son coin, se parlant seule plutôt qu'à chercher à adresser la parole à son lecteur. Un propos écologiste bien entendu, car c'est dans l'ère du temps et que ça ne mange surtout pas de pain. Malgré la tentative de subtilité - appréciée - ça reste foncièrement gnangnan et convenu. Nous sommes déjà des décennies après Nausicaä. Aborder les mêmes thématiques après, c'est en parler trop tard.


De ce voyage dans l'espace - avec malgré tout quelques incursions terrestres - j'aurai retiré un profond sentiment de solitude. Je n'étais pourtant pas seul. Ils étaient là les personnages. Physiquement en tout cas. Du relief, ils n'en auront pas en dehors de ce que leur attribuera le dessin. Tous sont heureusement développés à minimal mais à minima seulement ; on se contente sans gratter la surface sans jamais rien révéler dessous. C'est difficile de les aimer alors qu'ils inspirent spontanément l'indifférence.


Plus dur encore de s'y attacher alors que le manga n'est qu'un curieux recueil d'histoires courtes étalées sur la longue durée et s'éparpillant trop pour que l'on parvienne à se concentrer sur une piste scénaristique en particulier. Il y a d'ailleurs davantage de situations se succédant les unes aux autres que de scénario, format oblige.
Planètes m'aura immanquablement rappelé Ghost in the Shell. La technologie, le format narratif, les personnages à peine esquissés, le nombre de volumes et la trame politique aussi imbitable qu'inintéressante en trame de fond sur la fin, tout me l'aura rappelé jusqu'à me prodiguer le même effet à la lecture : une profonde et insondable apathie.


Si la naïveté s'ajoute à la froide monotonie de la mise en scène, alors fatalement le dépit s'ajoute chez moi à l'indifférence. Quand on prétend lutter contre le terrorisme avec l'Amour - une récurrence avec Vinland Saga - c'est qu'on simule l'intelligence. Planètes devient vite moralisateur, donc, insupportable au regard de son propos ou plutôt, de son absence de propos. J'avais été ému par la pertinence des premières réflexions philosophiques de Vinland Saga, ce qui se sera dit ici ne m'en aura guère touché qu'une sans remuer l'autre.


Et ça finit par partir loin. Trop pour que je n'arrive - ou même ne souhaite - suivre jusqu'au bout. Le philosophico-mystique avec l'image du chat blessé, ce qui s'ensuit et les innombrables introspections dérisoires d'Hanamachi sur l'univers auront achevé mes nerfs et ma patience ; on sent qu'il y a beaucoup papier à remplir et peu de contenu qui vient au bout du stylo. Si qui que ce soit prétend en avoir retiré quelque chose, je l'accuserai spontanément d'avoir menti ; je sais reconnaître du verbiage quand il s'en étale des lignes entières sous mes yeux. Planètes aura été l'anté-Gon à parler beaucoup pour ne rien exprimer.


Je n'ai rien compris à Planètes. Non pas parce que l'œuvre était impénétrable et impliquait d'avoir des capacités cognitives suffisamment élaborées afin de souscrire à ce qui m'était présenté, plutôt parce que la même question me revenait en tête à chaque nouvelle information me parvenant : «À quoi bon ?».
À quoi bon les agissements de personnages mus par la narration plus que leur volonté propre ? À quoi bon faire avancer un scénario qui n'en est pas un ? À quoi bons les personnages introduits au cours du dernier tome ? Je ne sais pas à quoi cherche à aboutir Planètes et je pense - au terme de ma lecture - que l'œuvre n'en savait rien elle-même. Comprendre Planètes revient à chercher un sens à la vie ; la démarche est vaine et n'a possiblement aucune réponse. Regardez-moi à philosopher au détour d'une critique, le manga n'aura clairement pas eu une bonne influence.


L'histoire mine vraiment le moral alors qu'il ne paraît rien se passer si ce n'est les jours et les pages qui défilent sous la froideur accablante d'un regard non plus sentencieux mais simplement insensible à ce qu'il lit. Les larmes ne perlaient au coin de mes yeux qu'alors que je bâillais. Car ce n'était certainement pas le pathos livré immodérément et jusqu'à l'indigestion en fin de parcours qui m'aurait ému.
Quel propos est aujourd'hui plus éculé et mal abordé que celui de l'anti-racisme ? Quand le gentil noir pur de tout vice est injustement persécuté par des blancs dans ce qui s'apparente à une resucée de La Ligne Verte du futur, c'est que l'auteur me suggère implicitement de ne plus le lire. Makoto aura fait étalage d'autant de raisons de ne pas le prendre au sérieux pour amplement justifier la note de laquelle je sanctionne son œuvre.


Se multiplieront par la suite les jérémiades larmoyantes et absconses propres aux œuvres qui n'ont rien à dire et qui pour cette raison, l'expriment haut et fort. «La société c'est de la merde, mais c'est de la faute des autres», «Monde de merde, mais pas trop» ; j'avais compris à quoi j'avais affaire, la complainte d'un lâche indigné, la demi-molle de la consternation, les remarques d'un geignard qui, au fond, aime s'écouter parler par-dessus tout.
Le fond de ce que je lis ne me plaît décidément pas. Peut-être suis-je trop clairvoyant pour mon bien, mais il y a un petit fond de sauce à la moraline qui mitonne et dont l'odeur m'irrite les sinus. Lœuvre s'invente un propos à défaut d'en avoir un. Et pas un bon.


Surestimé comme il ne saurait l'être davantage - autre point commun avec le manga Ghost in the Shell par ailleurs - Planètes n'est qu'un essai sur l'abstraction d'un propos qui ne paraît jamais. La garniture qui entoure ce plat de résistance qui ne nous sera pas servi est fade au possible voire à l'impossible.
Le manga n'aura pas de fin parce que la vaine philosophie véhiculée présentement est déjà la fin de tout à elle seule.


Makoto, même solidement renseigné sur son sujet, a manqué de nous gâcher les joies et les horreurs de l'espace et prenant la thématique en otage pour la négliger outrageusement. Mais que les cœurs brisés reprennent espoir. L'espace, ce n'est heureusement pas ce ramassis de lamentations bavardes et stériles qui vous a été vomi à la gueule ici, c'est aussi des promesses plus reluisantes ; l'espace, c'est aussi les satellites lasers entre autres divines batailles intergalactiques orchestrées par des auteurs plus doués et scrupuleux et surtout infiniment moins prétentieux.
Avec soin, Makoto Yukimura gâche tout ce qu'il touche. Il aura aseptisé les Vikings et rendu l'exploration spatiale ennuyeuse tout en ayant en plus le vice inqualifiable de très bien connaître son sujet à chaque fois. Un saboteur habile, minaudier et traître, voilà ce qu'il se sera avéré être au terme de ma lecture. Le terroriste dans la station spatiale, c'est lui et ce n'est certainement pas avec Amour que je compte contrecarrer ses agissements odieux.

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le 2 juil. 2020

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Josselin Bigaut

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