Akira
8.6
Akira

Manga de Katsuhiro Ôtomo (1982)

Akira, ça se découvre par le film. C'est même à ce dernier que l'on doit la première déferlante manga dans l'hexagone. Peut-être même dans le monde. Akira, c'est encore le nom de la secousse sismique qui se sera déversée par torrents entiers en un tsunami démentiel sur nos bonnes côtes occidentales.
En ce temps là, Mœbius validait encore sa déclaration de 1982 suite à sa rencontre avec Osamu Tezuka. «Il faut lire des mangas» nous disait-il. Akira passé par là, suivi par les légions de nains venus outrecuidamment se faire une place sur nos étalages bédé jusqu'à en occuper une place significative, le grand de la franco-belge reviendra finalement sur ses déclarations. Trop tard. Il avait naïvement applaudi l'entrée d'un cheval de Troyes en nos contrées et ne prit conscience de son erreur que vingt ans après.
Mœbius, fossoyeur de franco-belge à son corps défendant, il le fut à deux titres ; d'abord en encourageant l'ouverture à l'autre et en s'étonnant que ce ne dernier ne prenne que trop ses aises sur le territoire, ensuite en étant une source d'inspiration incontournable à travers le monde. C'est à la fois sa grandeur et son goût prononcé pour l'éclectisme qui aura porté un coup fatal à la franco-belge. Peut-être qu'Akira n'était au fond que le revers d'un génie bien français ; car Moebius fut un maître pour trois des grands noms du manga. Quand on se retrouve cité en exemple par Go Nagai, puis Jirô Taniguchi en passant par Miyazaki, il ne faut pas s'étonner de toucher un autre petit jeune d'alors, Katsuhiro Otomo.
Akira comme précurseur du manga en France, c'est finalement le retour du fils prodige au pays. Abâtardi le fiston, mais bien des nôtres. Qu'un pays si géographiquement éloigné du Japon comme le nôtre soit aujourd'hui le deuxième plus gros consommateur de manga à ce jour repose à mon sens sur d'autres données que le strict hasard. Mœbius, un maître de la franco-belge aura laissé une trace indélébile de son influence exercée au Japon. Quelque part, si on y prend garde juste ce qu'il faut, on peut voir un coup de crayon lui appartenant sur toute planche d'importation nippone. Y aurait-il eu un Akira sans Jean Giraud ? Il est permis de se perdre dans toutes les uchronies possiblement imaginables, mais je ne pense pas que le monde de l'édition manga aurait été le même s'il n'avait jamais existé. Ce ne sont pas tant des exportations d'un art purement japonais qui s'étalent massivement dans les rayons bédés aujourd'hui, mais la logique récolte que l'un des nôtres aura semé il y a plusieurs décennies que ça. Il n'y a pas de secousse Akira sans impact Mœbius.


Après avoir - le plus tranquillement du monde - suggéré qu'Akira et ses successeurs étaient le fruit d'un savoir-faire français, il convient à présent à de se pencher sur le support originel de la légende, l'origine même du tsunami-manga ayant noyé son monde sous les exportations qui en suivirent : le coup de bélier décisif dans nos forteresses culturelles depuis assaillies et excitées par la progéniture du premier envahisseur.
Une fois n'est pas coutume, je dirai du manga qu'il est en tout point inférieur à son adaptation animée. Il faut dire que les petits plats avaient été mis dans les grands pour réaliser le film et qu'Otomo espérait l'adaptation plus grandiose encore que ce qu'il avait accouché sur papier. Ce sera chose faite. Je comprends d'où vient la légende Akira après visionnage du film et doute franchement que ladite légende ne fut envisageable qu'avec le manga seul. Le film n'était d'ailleurs pas tant une adaptation qu'une synthèse et un habile remaniement duquel on ne retrouvera guère que la moitié des quatorze volumes. À ma grande stupéfaction, film et manga ne recouvrent pas la même histoire.


Le début est pareil en tout point et prend davantage son temps pour entrer dans le vif du sujet. La synthèse du film avait le mérite d'en venir très rapidement à l'essentiel. À ce titre, l'analyse comparative me permet de conclure que ce n'était finalement pas plus mal. Le manga prend davantage son temps pour ne pas dire davantage ; qu'il abrège en ce cas.


Figurons-nous qu'Akira est si vieux que son intrigue reposant sur des expérimentations humaines secrètes dotant les cobayes de pouvoirs se voulait novatrice pour l'époque. Ô surprise, l'expérimentation visant à faire d'un délinquant notoire une entité omnipotente se retournera contre le gouvernement. Encore. Depuis, il doit bien se trouver un Shônen sur trois et un Seinen sur dix pour avoir recours à cette piste scénaristique à un moment donné de sa trame.
Drôle de trame ici d'ailleurs où, ce qui se présente comme un mouvement de résistance au gouvernement embarque Kaneda dans ses rangs sans trop chercher à se renseigner à son propos. Quelle excellente idée d'inclure dans son groupe clandestin un jeune en échec scolaire, consommateur de drogues et motard inconséquent. Kaneda aura beau se trouver dans la trajectoire de mille viseurs, pas une des innombrables salves de fusils-mitrailleur ne parviendra à l'atteindre. À croire que si haut perché sur l'intrigue mise à son service, aucune balle ne peut le toucher. On est loin d'une œuvre parfaite et immaculée et cela se ressent dès les premiers tomes.


Ingrat que je suis, j'ai manqué d'écrire que je n'avais pas été charmé par le dessin. J'omettais alors la distance de mon recul sur l'œuvre. À considérer que l'œuvre a maintenant quarante ans, le vertige me prend ; je la jaugeais comme un Seinen contemporain car elle en avait tous les attributs. Ça n'a pas pris une ride en vérité. Qu'une production artistique manga de cette envergure nous parvienne aujourd'hui et nous ne pourrions en réalité que nous en contenter avec le sourire. Du crayonné aussi détaillé, ça ne devrait pas se considérer comme acquis ; j'ai commis cette erreur et pour cette raison, n'ai pas apprécié le dessin. Cette désaffection ne repose toutefois que sur des critères subjectifs. Un regard dépassionné et rationnel nous enjoint à considérer qu'en plus d'être précurseur, le dessin d'Otomo aura été difficilement égalé et encore moins surpassé les décennies passant. L'auteur avait tellement d'avance sur son temps qu'on a - semble-t-il - renoncé à le rattraper depuis.


Le découpage des scènes est parfois chaotique, rarement cependant, mais assez frappant malgré tout pour nous empêcher de faire l'impasse sur ce point. Les discussions et transitions ne sont pas toujours fluides et parfaitement intelligibles ; ce manque d'ordonnance dans les cases a un effet néfaste à la lecture. La portée de l'incurie n'est pas non plus franchement dommageable ; juste ce qu'il faut néanmoins pour nous faire tiquer durant notre lecture.


Mon visionnage du film remontait à loin, assez en tout cas pour que j'en oublie certains de ses tenants. En deux heures, je comprends aisément que peu de personnages secondaires me soient restés en mémoire; à la lecture du manga, je comprends mieux et je déplore davantage. Les personnages ne nous sont jamais véritablement présentés par la narration, ils sont de passage dans l'intrigue et à nous de nous familiariser avec eux sans qu'ils n'aient été introduits auprès de nous. Certains protagonistes marquants ne seront pas même nommés, je pense au second de Tetsuo qui aura - rien moins - que la lourde tâche d'administrer l'Empire d'Akira. Pour ses basses œuvres, un patronyme n'aurait pas été superflu, surtout considérant son temps d'exposition.
Les personnages principaux tirant difficilement leur épingle du jeu voire pas du tout, le cheptel secondaire se trouvera franchement anecdotique et même quasiment dépourvu d'influence sur l'intrigue. La mort de Yamagata m'aura en tout cas laissé les yeux secs et la nature de l'antagonisme liant Tetsuo à Kaneda m'apparaît comme construit à partir du néant ; il n'y a pas de préambule à la haine mutuelle qu'ils finiront par se vouer. Une haine d'ailleurs mieux retranscrite dans le film que dans le manga où les deux passeront leur temps chacun dans leur coin d'ici à leurs retrouvailles.
Aucun personnage ne sera ici réellement développé, chacun se voulant à peine plus élaboré qu'un protagoniste de Shônen, se bornant à un rôle plutôt qu'à un caractère.


Chaque tome achevé, ma faim de contenu de qualité grognait un peu plus, décidément insatisfaite. Akira était donc si creux dans son édification ? Ce n'était en tout cas pas l'œuvre subtile et délicate dont je me souvenais alors que les explosions et autres effets dévastateurs déferlaient à foison. Les phases d'infiltration infructueuses alternent avec les fusillades ; la première partie du manga se perd dans sa recherche d'Akira, pourchassé et passant de mains en mains comme s'il s'agissait d'un bête ballon de basket. Elle est belle notre allégorie de la bombe atomique. Elle ne laissera qu'une impression fade à ses lecteurs, je le crois. La lassitude guette alors que l'intrigue ne semble finalement pas opter pour une direction en particulière vers laquelle s'engager. On se lasse alors qu'on attendait bien plus d'une œuvre mythique.


Sachons toutefois raison garder. De l'action, il y en a peut-être un peu trop, mais toujours à propos. Quel homme digne de ce nom saurait contenir son érection devant cette bête de destruction d'essence quasi-divine qu'est le satellite laser télécommandé ; arme mythique à qui Shaman King rendra d'ailleurs un hommage bien mérité.
D'Akira, il faut savoir s'inspirer du meilleur. Et du meilleur, il y en a même si on lui aurait préféré du mieux par instants.


Akira est finalement un manga d'action intelligent et diablement bien ficelé ; mais un manga d'action tout de même. C'est se mentir que de chercher à lui attribuer une dimension qu'il n'a pas. Son volet allégorique et mystique n'a que très peu d'emprise sur un lectorat qui ne sait pas où l'auteur veut en venir pour la bonne et simple raison que ce dernier n'en a pas la moindre idée non plus.
La deuxième partie - inédite si l'on n'a connu que le film - gagne cependant en épaisseur. On y retrouve des intrigues politiques plus ancrées qui m'auront rappelé les guerres inter-empires de Nausicäa. Les explosions seront moindres mais les déferlements de la science saoule et borgne lui emboîteront généreusement le pas. Trame politique peut-être, mais sans aucun sens défini. À quoi bon le personnage d'Akira ? Quelles sont les motivations et aspirations de Tetsuo ? Tout fleure l'improvisation irréfléchie et sans finalité - l'avenir le démontrera - et laisse l'intrigue perdue au milieu décombres errer sans but. Akira terminé, j'ai bien eu le sentiment que beaucoup ont prêté des intentions que n'avait pas l'œuvre. Le manga aura au moins donné un tout nouveau sens à l'expression «décrocher la lune» pour satisfaire son électorat. Fut un temps où multiplier les pains et les poissons suffisait. O tempore, o mores ; il ne faut pas lésiner sur les artifices à l'heure du satellite-laser.


Le scénario, sans choisir de destination, s'éparpille en plus au milieu d'une multiplicité de protagonistes ayant chacun leur part de la trame à assumer et n'en faisant finalement pas grand choses. Les Américains seront clairement de trop dans l'équation alors que leur présence n'aura eu ni incidence ni signification au regard de l'intrigue qu'ils étaient supposés servir.


En définitive, Akira n'aura été l'affaire que d'un long préliminaire vaguement complexe d'ici à ce que l'apothéose d'une bataille psionique ne renverse un échiquier où chaque pièce avait été déplacée aléatoirement tour après tour. Tetsuo aura su donner de sa personne même s'il oubliait qu'il était capable de lire dans les pensées ; ce qui, si cela lui était revenu à l'esprit, aurait pu lui faciliter la vie à plus d'une reprise.
Le rendu est certes impressionnant - plus encore si on prend en compte l'époque - la mise en scène est joliment garnie mais sans servir un dessein autre que celui du divertissement typiquement défouloir. Je ne suis pas sorti grandi de cette lecture. Distrait, mollement contenté mais en aucun cas époustouflé d'une manière ou d'une autre.


Les plus crédules espéreront sans doute que toute la mystique au rabais délivrée par le personnage d'Akira prendrait tout son sens à l'aune d'une révélation finale ; une explication de fin providentielle capable d'éclairer toutes les zones d'ombres qu'on élude une à une en cours de lecture. Que ceux-là cessent de se bercer d'illusions, Akira - le personnage - ne représentait rien et ne voulait rien dire. La fin ? Le méchant est mort, la fille est sauvée par le héros qui roule avec elle en mobylette vers un horizon radieux d'où fleurira une renaissance, un monde nouveau. Peut-être. On ne sait pas. «On ne sait pas», voilà une hymne toute trouvée à la gloire Akira, un manga finalement indécis qui aura simulé le propos à défaut de savoir l'incarner.
J'ignore si la légende Akira repose sur une mystification mais elle n'est certainement pas basée sur une œuvre inattaquable. Je pensais d'abord ne pas pouvoir trouver les failles du travail d'Otomo, je découvre alors que je ne lui trouve aucun argument afin de l'encenser.
Précurseur parmi ses pairs, Akira l'est incontestablement. Je doute toutefois qu'il sût vers où il se dirigeait en ce temps là. Le film aura cadré son parcours et justifié sa venue, prévenant alors l'œuvre du naufrage.

Josselin-B
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le 19 juin 2020

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Josselin Bigaut

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