Préférence système
7.4
Préférence système

BD franco-belge de Ugo Bienvenu (2019)

On ne change pas. On ne grandit pas. On pousse un peu, tout juste le temps d’un rêve.

Avec la future sortie en salle d'Arco, prix cristal du Festival d'Annecy, j'avais envie de plonger dans l'œuvre d'Ugo Bienvenu, histoire de me préparer au chef-d'œuvre annoncé. Et je dois dire que je n'ai pas été déçu. La première partie m’a bluffé : ce Paris futuriste est mis en scène avec une vraie intelligence visuelle, des designs percutants, une atmosphère qui évoque immédiatement Blade Runner ou Mars Express.


L’histoire revisite Fahrenheit 451 : un homme, l'agent Mathon, travaille pour une Agence gouvernementale chargée d’effacer des fichiers qui ne respectent par un "quota minimum de visionnage" - des œuvres, des films, des poèmes - pour libérer de l’espace et permettre à l’humanité de continuer à uploader tweets, photo Instagram et vidéos YouTube de ta maquilleuse beauté préférée (on sent à peine le cynisme durant cette échange entre Mathon et son supérieur). Face à cette destruction, notre héros décide de se rebeller et se mettre à sauvegarder clandestinement des œuvres qu’il juge essentiel - ou du moins qui le touchent.


À travers ce thriller dystopique, Ugo Bienvenu interroge notre rapport aux données et à la mémoire. Sous l’angle d’un révisionnisme culturel glaçant, il imagine un futur pas si lointain, où des bureaucrates doivent choisir ce que l'humanité doit sauvegardé dans sa mémoire collective. Dans ce monde, l’humain ne se définit plus par ce qu’il sait mais par ce qu’il ignore. Dès qu'on ouvre le bouquin, on devine vite que l’histoire ne peut que mal finir, évidemment. Mathon, le protagoniste, est donc rapidement découvert et cherche à s'enfuir dans la maison de campagne de feux son père, avec sa femme. S’ensuit une course poursuite et le drame : tous deux meurent, laissant derrière eux Mikki, le robot domestique qui portait leur enfant - mais aussi l'intégralité du poids des œuvres qu’il avait tenté de préserver.


C’est à ce moment que la BD bascule. La deuxième partie, plus contemplative, se déroule dans un cadre rural qui contraste joliment avec la mégalopole du début. On y suit Mikki, qui met au monde l’enfant et choisit de l’élever dans la maison d'enfance de Mathon en lui transmettant les œuvres sauvées par son père. Cette idée m’a profondément touché. Sans doute parce que l’auteur y souligne, avec poésie, l’impermanence de ce que nous créons et l’importance de la transmission et des histoires - en particulier vis-à-vis des enfants.


C’est avec les histoires que les hommes ont créé le monde. En adhérant à une histoire commune. [...] Notre problème, aujourd’hui, c’est que nous n’adhérons plus aux histoires. Parce qu’elles n’ont plus le temps de s’ancrer, plus le temps de résonner. Nous nous sommes construits par les histoires et serons effacés par les données.

En fin de compte, on se retrouve face à une fable futuriste pleine de poésie et d’amertume. Le design est élégant, le découpage précis, la couleur un peu saturée, et le trait d’Ugo Bienvenu rappelle parfois celui de Charles Burns. On reste un peu sur notre fin en ce qui concerne l'intrigue principale qui promettait de nous faire découvrir les coulisses de cette agence, ou des véritables conséquences encourues face à un tel cauchemar d'effacement mémoriel sur le long terme, mais non. Dommage. Il n'est reste pas moins une jolie lecture d'un auteur à suivre de plus près.

OuaZz
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste 2025 - BD / MANGA

Créée

le 10 sept. 2025

Critique lue 10 fois

OuaZz

Écrit par

Critique lue 10 fois

D'autres avis sur Préférence système

Préférence système

Préférence système

le 3 oct. 2021

Roy Lichtenstein entre gris clair et gris foncé

Des oeuvres artistiques laissent un goût d'inachevé. Préférence système en fait partie. Car le scénario débouche sur une fin qui n'en est pas une. Mécanisme un peu téléphoné, qui ferme un chapitre et...

Préférence système

Préférence système

le 6 févr. 2020

Et si on devait supprimer nos films préférés

Une BD que j’attendais beaucoup après en avoir écouté le pitch. Un univers où les espaces de stockage sont limités et où il faut faire de la place sur les disques durs. Pour cela une brigade en...

Préférence système

Préférence système

le 14 nov. 2022

Préférence Système : L'odyssée de la data

Le gavage continuel d'informations est l'un des grands maux de notre société numérique, tant il questionne notre rapport à l'image comme à notre héritage. En effet, que laisse-t'on à eux qui reste,...

Du même critique

À toute épreuve

À toute épreuve

le 29 août 2025

Des balles comme s'il en pleuvait

Revu lors de la ressortie au cinéma fin août 2025 :Je l'avais découvert il y a longtemps sur une vieille télé en passant totalement à côté. Mais en le revoyant hier au cinéma, c'est là que j'ai enfin...

Louis ou Louise

Louis ou Louise

le 20 sept. 2025

Jupette et belles dentèles

Je sais pas si Ed Wood mérite vraiment sa palme du « pire réalisateur du monde ». Honnêtement, en voyant ce film - qui est, soyons clairs, une vraie catastrophe scénaristique - bah j’ai quand même...

La Guerre des Rose

La Guerre des Rose

le 28 août 2025

Mr. et Mrs. Smith

Si vous vivez comme moi à Paris et que vous fréquentez l'UGC des Halles, vous aurez pu remarquer que depuis plus d'un mois, on nous abreuve de la bande annonce, au point que l'attente aurait pu déjà...