Il est l'heure d'en parler une dernière fois...

J'ai repoussé ce moment le plus longtemps possible. Alors j'ai lu et relu mille fois Sandman, j’ai écrit sur chaque tome, sur chaque adaptation, audio ou vidéo. Maintenant, il est temps de mettre sur papier ce que je pense de cette saga.

Un comics qui est un mélange vertigineux d'histoires imbriquées les unes dans les autres, brisant les codes narratifs les plus connus pour les réinventer, dans le but de nous parler d'espoir.


Je me souviens encore du jour où mon oncle m’a mis le premier tome entre les mains. Je ne savais pas que j’allais embarquer dans quelque chose de plus grand que moi. Sandman n’est pas un récit qu’on lit pour “savoir la fin”. Ce n’est pas un fil à suivre, c’est un maillage, une tapisserie de songes et de douleurs, d’ombres et de petites lumières.

J'avais 11 ans et ma vie était sur un gros chamboulement. Les BDs Franco-Belge et autres mangas faisaient ma culture et j'avais laissé les Comics sur quelques Spiderman acheté chez les marchant de journaux, bien derrière moi... Cette oncle vivait aussi quelque chose de compliqué, mais il me parlait de comics avec tellement de passion et avant de disparaitre il m'avait prêté les premiers tomes...

Il était à mille lieux de se douter que ça allait guider ma vie, vers le monde créatif, pour en faire un métier et pour me donner envi d'explorer de plus en plus ces mondes infinis.

Sandman, avant d'être un comics légendaire, c'est l'histoire d'un partage et d'un passage de flambeau familiale pour moi. Une oeuvre aux thèmes qui m'ont transcendé et fait l'homme que je suis aujourd'hui.


Ce que je retiens, après toutes ces années et toutes ces relectures, c’est que chaque tome m’a fait vivre un rêve différent.


Il y a eu le premier, cette entrée en matière encore maladroite pour certains, mais pour moi, un socle solide, une naissance. C’était une quête presque classique, trois artefacts à retrouver, et pourtant… déjà ce parfum de mélancolie, cette sensation étrange de marcher dans un monde qui ne nous appartient pas mais qui nous reconnaît.

Puis la fresque s’est élargie, dans La Maison de Poupée, où j’ai compris que Gaiman savait tisser des drames intimes dans une fresque cosmique sans jamais les écraser.

Il m’a ensuite perdu volontairement dans Pays de Rêves, ces récits courts qui, au lieu de freiner l’histoire, ont ouvert mille portes. C’était une respiration qui m’a appris que Sandman pouvait se réinventer à chaque page.


Et puis sont venus les coups de massue. Le Jeu de Toi, où la légende d’Orphée s’est glissée entre les lignes pour me fendre le cœur. Fables et Réflexions, qui en apparence racontait des histoires isolées, mais portait en creux le deuil le plus lourd que Dream ait jamais porté.

Et Les Bienveillantes, cette fin douce-amère où un dieu choisit de mourir plutôt que de continuer de changer, où chaque geste devient un adieu déguisé. Un au revoir déchirant, d'un père qui préfère ne plus exister dans un monde ou son fils n'est plus là.


Je pourrais m’arrêter là, mais il y a aussi ce dernier tome, éclaté, flottant, qui ne cherche plus à frapper fort. C’est un adieu murmuré, des échos, des cendres encore chaudes. Il n’a pas la force des sommets, mais il a ce parfum de fin qu’on n’ose pas vraiment accepter.


Enfin... il y a ce tome 0, étrange astre qui brille à l’écart de la chronologie. Une préquelle, oui, mais surtout un hommage vibrant à tout ce que la série a été. On y croise Espoir, figure éphémère et pourtant inoubliable, qui me hante encore comme une idée persistante, un éclat lumineux qu’on ne revoit plus mais qui continue de chauffer quelque part. Ce volume n’a pas vocation à séduire un nouveau lecteur, il ne déploie toute sa force qu’à la lumière des sept autres tomes, comme un murmure qu’on n’entend qu’après avoir traversé tout le rêve. On y trouve des pages d’une poésie rare, des références qui se révèlent lentement, et ces annotations d’artistes qui ajoutent une profondeur délicieuse. C’est un geste de gratitude envers le lecteur qui a tenu jusqu’ici et un rappel que dans l’univers de Sandman, même après la fin, il reste toujours un peu de lumière.

Jamais une préquelle n'a été autant pertinent à mes yeux et à chacune de mes lectures, j'ai eu l'envi incontrôlable de me lancer de nouveau dans la série. Une synthèse, un hommage et un élan d'une beauté terriblement efficace!


Tout au long de la série, j’ai vu un personnage passer de l’arrogance glaciale à une humanité maladroite, parfois trop tardive. J’ai vu des histoires qui n’avaient rien à faire ensemble se répondre à travers le temps et l’espace. J’ai vu des erreurs devenir des fils rouges, des silences peser plus lourd qu’un monologue.


Et, surtout, j’ai vu ce que peu de récits osent... Accepter que tout ne se répare pas.


Sandman est aussi une oeuvre qui avait le bon équilibre morale. On nous présentait des personnages variés et il y avait une sorte de vivre ensemble si doux et beau, avant que la série Netflix ne vienne pousser les curseurs dix fois trop loin. C'était le beau et juste milieu, mais au-delà de ces problématiques, je crois que techniquement, cette saga se place comme l'un des comics les plus originaux.

Pour expliquer comment Gaiman joue avec la forme, les récits courts, les arcs longs, les digressions qui finissent par se raccorder. Sandman est aussi une expérience de narration éclatée mais pensée comme un tout.


Ce qui m’a toujours fasciné, c’est cette structure en mosaïque. Gaiman ne cède jamais à la facilité d’une ligne droite. Il préfère nous perdre dans des contes qui semblent sans rapport, avant de les recoudre dans la tapisserie globale. C’est une œuvre qui se lit comme on traverse un rêve. Parfois clair, parfois brumeux, mais toujours chargé de sens une fois réveillé.


Un rêve mettant en scène des entités iconiques, qui nous parlent dès leurs introductions. Les Éternels ne sont pas des dieux inaccessibles. Ils sont nos reflets, déformés par l’immortalité. Death, qui nous accueille avec douceur. Desire, insaisissable et cruel/le. Delirium, perdue dans un monde qu’elle ne comprend pas. Dream, figé dans ses principes jusqu’à s’y briser. Ils sont la famille la plus humaine qu’il m’ait été donné de croiser en fiction, justement parce qu’ils sont condamnés à vivre nos contradictions… pour toujours.


Le tout accompagné avec une variation de style de dessin terriblement addictive pour les lecteurs! Graphiquement, Sandman n’a jamais cessé de muter. Parfois, c’est sublime, les pleines pages qui figent une émotion, les cadrages éclatés comme des rêves qui se brisent. Parfois, c’est laid, maladroit, presque rebutant. Un patchwork d’interprétations, de mains différentes qui ont chacune sculpté un morceau du rêve. On passe de la grâce éthérée à la rugosité brute, et cette inconstance devient elle-même un langage.


Jamais l'idée d'un changement de style graphique n'aura été aussi pertinente que dans Sandman et c'est aussi tellement lié au thème et à toutes ces petites histoires!


Certains passages ne me quitteront jamais, le pub de Hob Gadling où un homme refuse de mourir, pour laisser naitre une si belle amitié. La tendresse silencieuse de Death dans The Sound of Her Wings. L’errance de Barbie dans un rêve brisé. L’acceptation glaciale de Dream avant la fin. Ce sont des instants que je revois comme des souvenirs personnels, comme si j’y avais été, comme si j’avais marché aux côtés des personnages.


Avec le temps, j’ai compris que Sandman n’était pas seulement important pour moi. Il a redéfini ce que le comics pouvait être!

Un terrain de jeu où la fantasy, l’horreur, le mythe et le quotidien peuvent cohabiter sans hiérarchie. Il a ouvert des portes à des récits plus littéraires, plus introspectifs, tout en restant populaire. Et ça, peu d’œuvres peuvent s’en vanter.


Une œuvre qui t’accompagne comme un rêve que tu n’arrives pas à oublier. Parfois elle t’envoûte, parfois elle t’échappe. Mais elle reste, tapie quelque part, et revient quand tu t’y attends le moins.

Oui c'est verbeux et chaque tome demande un gros effort, mais il en vaut la chandelle.

Aujourd’hui, refermer ces tomes, c’est accepter que je n’aurai plus jamais cette première lecture, cette découverte. Mais c’est aussi savoir que, quoi qu’il arrive, il me suffira de rouvrir la page 1 pour que tout recommence. Alors au-delà de nous parler d'espoir, je crois que cette œuvre veut nous rappeler que les histoires, comme les rêves, ne meurent jamais vraiment.

KumaCreep
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il y a 2 jours

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