Silent Jenny
7.5
Silent Jenny

BD franco-belge de Mathieu Bablet (2025)

Depuis quand Mathieu Bablet s’est-il imposé comme une référence de la BD française ? Depuis quand ses sorties sont-elles attendues à un tel niveau ? On n’est peut-être pas encore au stade d’un Larcenet, mais on n’en est vraiment pas loin. Il y a un vrai phénomène, quelque chose qui se crée à l’annonce de chacune de ses parutions.


Notamment ici, avec Silent Jenny. Je pense que c’est aussi le fruit d’un travail éditorial remarquable, avec une communication soignée en amont de la sortie et cette couverture absolument magnifique. D’ailleurs, on pourrait même parler de couvertures, au pluriel : cinq variantes, toutes aussi superbes les unes que les autres.


Et, livre en main, la sensation se confirme immédiatement : on a ici un objet magnifique, grand, lourd, d’une vraie qualité. Dès qu’on l’ouvre, on est happé par le détail, par la richesse du dessin de Bablet. On s’y retrouve tout de suite : son trait si caractéristique, surtout dans la façon de représenter les personnages, saute aux yeux.


Mais le trait de Bablet, c’est bien plus que ça. Son sens du détail, ses couleurs, tout contribue à cette impression d’ampleur presque grandiloquente - dans le bon sens du terme - avec un aspect imposant qui nous permet de facilement s’y perdre. Alors quand vient le moment des doubles pages contemplatives, aïe aïe aïe, mamamia que c'est bon !


Outre le dessin, j’ai vraiment aimé la façon dont il crée l’immersion. Par exemple, quand Jenny lit une lettre, celle-ci s’affiche en pleine page, comme si on la découvrait avec elle. Ou quand elle regarde un panneau, ce panneau prend toute la place, devient presque notre regard. On partage littéralement son point de vue. Et quand elle sort ses cartes pour partir explorer ce monde, c’est toute l’imagination de Bablet qui s’ouvre sous nos yeux.


Car là, on retrouve encore toute sa créativité. Même si son univers reste marqué par la noirceur, sans véritable place pour la grâce ou l’optimisme, il y a une cohérence fascinante dans ce monde apocalyptique qu’il dépeint. Ici, la vie n’existe plus vraiment, c’est plutôt la survie qui domine, avec une société qui s’est reconstruite sur ses propres ruines.


À travers tout ça, il parvient à distiller de jolis messages sociétaux, voire philosophiques, en explorant ces groupes humains qui se reforment, cette déconstruction d’une société parallèle. On y lit bien sûr le reflet de la nôtre : ce qu’elle pourrait devenir, ou peut-être déjà ce qu’elle est. Et c’est là que Bablet est fort. Ce n’est pas du catastrophisme gratuit, mais une forme d’imaginaire réaliste, poussé à une sorte d'extrême.


Sinon, je ne sais pas si c’est moi qui bloque sur Nausicaä, mais j’y ai souvent pensé en lisant Silent Jenny. Notamment avec les “manches-cailloux”, ces pestiférés qui rappellent énormément les Maîtres-vers de Nausicaä de la Vallée du Vent : un peuple rejeté, capes et masques vissés au visage, condamné à survivre au sein d’un monde toxique. Un parallèle évident non ?


Bon, au final j’ai été vraiment impressionné par cette BD, par ce monde, par ses graphismes, par tout, en fait. Mais malheureusement, la fin m’a laissé… sur ma faim. Je l’ai trouvée un peu trop expédiée. Par rapport à tout ce qui avait été construit avant, j’ai eu l’impression qu’elle arrivait trop vite, presque comme si on voulait conclure alors qu’on aurait encore pu s’y perdre. Ce n’est pas tant la fin en elle-même, d’un point de vue scénaristique, que la manière dont elle est amenée. Et c’est sans doute ce petit déséquilibre qui m’empêche de lui mettre la note maximale. Mais c’est un 8 solide, admiratif, porté par la puissance visuelle et l’univers dans lequel Bablet nous plonge.


Et maintenant, ce qui suit, à part l’envie de relire tout de suite la BD, c’est déjà l’attente de la prochaine.


Ben-Hardo
8
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il y a 5 jours

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Ben Hardo

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