Sunny
8.3
Sunny

Manga de Taiyō Matsumoto (2010)

Imaginaire contre désillusion

Vous pouvez retrouver mon avis avec illustrations sur mon blog.

C’est la première fois que j’approche une œuvre de Taiyô Matsumoto et ce fut une bonne surprise, sans aller jusqu’à l’adoration ultime. Sunny est une œuvre qui laisse une marque, qui a su me porter sur ses six tomes au point où j’espérais même un épilogue pour retrouver les personnages quelques années après pour mieux leur faire mes adieux.


« Les Enfants des étoiles » désigne un foyer pour enfants tenu par un couple, présidé par le fondateur, un vieil homme faisant partie des meubles. Qu’ils soient abandonnés par leur famille ou déposés ici le temps que leurs parents retrouvent une situation stable, tous ces enfants détiennent un passif que l’on va découvrir peu à peu, chaque chapitre se focalisant sur l’un(e) des pensionnaires tout en laissant le temps poser sa marque sur eux. Le foyer est loin des structures toutes rutilantes et richement financées. Toute cette famille tient dans une seule maison occupée par les multiples chambres où les pensionnaires se coudoient comme dans un dortoir, une salle de bain occupée par roulement tout comme la cuisine afin que chacun puisse subvenir à ses besoins sans empiéter sur ses camarades.


Au sein du jardin, trône une carcasse de voiture, une Nissan Sunny, dans laquelle les enfants s’inventent des histoires, escapades fantasmées les menant dans des contrées imaginaires ou remémorant les souvenirs de leur passé. L’imagination c’est l’arme possédée par les plus jeunes pour mieux faire face à la cruauté de la réalité. Aussi bien face aux actions de leurs parents que le mépris des autres enfants, côtoyés en cours, traçant une ligne invisible entre les « enfants des maisons » et ceux du foyer.


Une famille de coeur


Haruo Yano, surnommé White à cause de ses cheveux blancs, est l’un des pensionnaires les plus mis en avant, et celui dont l’évolution va être la plus marquante. Véritable fils à maman avant son arrivée au foyer, son caractère lui a valu de multiples brimades de la part de ses nouveaux camarades, bouffis de jalousie. White va alors teindre ses cheveux, abandonner toute réserve pour ne laisser s’exprimer que la colère. Il est désormais celui qui accueille les nouveaux venus sans fard, arguant que leurs parents les ont abandonnés, rejetant sur eux la douleur qu’il ressent. Comme toute pensionnaire, une fois par an, White peut passer quelques jours auprès d’un de ses parents, en l’occurrence sa mère. Malgré tout l’amour qu’il a pour elle, le lien s’étiole peu à peu, au point que sa mère réclame qu’il l’appelle par son prénom. Quant à son père, ses visites se font sans prévenir, à l’image de sa vie de vagabondage, ravivant toujours l’espoir en White que celui-ci puisse revivre avec. C’est d’autant plus difficile de voir le garçon s’entendre avec certains adultes et réclamer auprès d’eux qu’ils l’adoptent.


Tout juste débarqué au début de la série, Sei fait songer à White à ses débuts avec son caractère très renfermé, sa rigueur pour les études et son petit air d’intellectuel. Malgré son caractère fortement opposé à White, les deux sont souvent vus ensemble. S’il semble se plier sans rien dire aux règles du foyer, Sei nourrit l’espoir de retrouver ses parents… Au point de retracer de mémoire le chemin menant à leur maison, assis au sein de la Sunny.


Junsuke et Shosuke sont deux frères dont leur mère est coincée à l’hôpital. De sa maladie on ne sait rien hormis qu’elle l’oblige à de multiples examens, l’empêchant de s’occuper de ses fils. C’est une des relations qui m’a le plus touché au sein du manga. Non seulement parce que le parent souhaite vraiment le meilleur pour sa progéniture, mais aussi pour la candeur de cette dernière. Shosuke, âgé d’à peine quelques années, se fait fort de trouver des trèfles à quatre feuilles avec Taro, un autre pensionnaire, pour porter chance à leur mère. Junsuke, lui, se laisse pousser les ongles afin que sa mère les lui coupe lorsqu’il lui rend visite.


Megumu et Kiiko forment un duo d’amies au caractère désabusé concernant leurs propres relations familiales, mais aussi envers leur situation au foyer. Orpheline, Megumu essaie de s’intégrer au sein des « enfants du dehors », au risque d’être mal jugée via ses camarades. La jeune fille s’entoure de mensonges pour préserver ce fragile cercle amical extérieur, jusqu’aux parents de ces derniers. Une visite au sein d’une foyer d’une camarade lui confère l’illusion, très brève, d’être auprès d’une femme qu’elle pourrait nommer « maman ». Kiiko s’est persuadée que personne ne l’adoptera, ni que ses parents reviendront la chercher tant sa mère est connue pour n’avoir que des relations sans réel lendemain. Afin d’attirer les regards, et jalouse de Megumu, elle inventera une histoire d’enleveur d’enfants. Un mensonge qui a l’effet inverse produit mais qui la rapprochera de Megumu, lui rappelant que les enfants du foyer forment une famille.


Au sein des aînés, Kenji et Asako, frère et sœur, forment un tandem que l’on aperçoit surtout en arrière-plan avant qu’on en apprenne plus sur eux, surtout Kenji qui menace de dériver loin du bon chemin. Depuis le temps, tous deux ont effacé tout lien avec leurs parents, ne croyant plus leurs promesses, cherchant chacun(e) de leur côté à s’émanciper pour devenir de meilleurs adultes. Kenji va finir par fréquenter une camarade connue pour fricoter avec des gens hors normes, entendant par là ce que tout à chacun qualifierait de « voyou ». Kenji se retrouve alors sur la corde raide, entre continuer ses études avec le plus grand sérieux ou cesser de rester bien rangé dans sa case. Asako, de son côté, aide le couple à s’occuper du foyer, devenant la grande sœur de toute la tribu.


A tout ce foyer s’ajoute le fondateur qui, à cause de son grand âge, passe le plus clair de son temps à observer les membres du foyer depuis la fenêtre de son bureau, son petit-fils Makio qui est vu comme un grand frère par White et qui s’est si bien imprégné du foyer que lui-même n’arrive pas à se sentir à l’aise en société, ou encore Taro un adolescent (ou adulte ?) dont l’handicap mental le rend incapable de s’exprimer mais s’occupe aussi bien des petits que des animaux.


Le foyer tient bon gré, mal gré avec beaucoup de bonne volonté et d’astuces à défaut de moyens. L’auteur dévoile via aussi bien les décors que quelques interactions tout ce que l’endroit a de miséreux, sans jamais sombrer dans le pathos. Les pièces semblent toutes petites, emplies par les enfants qui s’entassent les uns sur les autres. Les fournitures sont transmises d’une génération de pensionnaires à une autre, utilisés jusqu’à être usées jusqu’à la corde. Les disputes sont multiples et pourtant les enfants se soutiennent, aussi candides que cruels. Lors de la journée d’appels aux parents, c’est une véritable file qui se forme pour pouvoir causer quelques minutes. Le foyer tient presque par miracle mais constitue une véritable famille pour des enfants abandonnés, déposés là pour un temps qui s’éternise.


En résumé


Sunny est une série à lire si vous en avez l’occasion. Pour ma part, j’ai pu l’approcher grâce à la médiathèque d’une ville voisine. Plusieurs passages m’ont ému, l’auteur sachant trouver le ton juste, l’image qui marque sans jamais pousser le lecteur à creuser dans le pathétique. Les émotions sont brutes, les enfants font preuve de cruauté mais aussi de tendresse. White est un enfant pétri de colère et d’incompréhension, mais n’est pas une personne mauvaise. C’est le cas de tous les pensionnaires. Certains actes des adultes sont compréhensibles, d’autres absurdes. Tout cela fait que Sunny est une lecture qui marque, d’autant plus si vous êtes sensible à la condition des enfants.

So-chan
8
Écrit par

Créée

le 11 mai 2023

Critique lue 2 fois

So-chan

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