Les pains, c'est meilleur quand on les prend chauds...

Il y a quelques semaines, le douzième épisode de l’animé One Punch Man se terminait. L’occasion de prendre un premier contact avec l’univers du manga pour ceux qui ne le connaissaient pas (j’en fais partie), de voir si l’animé rendait grâce au manga pour ceux qui le connaissait déjà… dans tous les cas, le dimanche en fin d’après-midi avait son petit plus (l’animé Dimension W prendra-t-il la relève ?) et on avait du grain à moudre en attendant le 14 janvier, jour de sortie officielle du premier tome de One-Punch Man en France (oui, il y a une histoire de tiret).


L’attente en valait-elle la peine ? Le héros, Saitama, est devenu tellement fort qu’il terrasse ses adversaires en un coup de poing. Un seul. Dès lors le commentaire (en anglais) présent sur la page nous donnant le sommaire du volume résume bien la situation : Saitama cherche à ressentir de nouveau des émotions, du plaisir lorsqu’il se bat. Il veut un adversaire qui soit à sa mesure en vrai, pas seulement dans ses rêves. Une envie simple en somme. A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.


L’intrigue, posée dès les premières pages, suscite donc la curiosité : un manga d’action, de baston où le héros étale ses adversaires en un coup… quel intérêt ? Pour avoir un climax, des cliff’ de malade… mieux vaut aller voir ailleurs. On risque vite de devenir comme Saitama et de s’ennuyer. Ce point de départ est un véritable contre-pied à ce que l’on peut trouver dans bon nombre de séries où les combats durent, où le héros doit s’entraîner pour progresser, atteindre un nouveau pallier, utiliser de nouvelles armes, techniques, etc. Ici Saitama n’utilise que ses poings, ses adversaires peuvent nous en mettre plein les yeux on connaît le résultat final. Comment alors ne pas lasser ? Grâce à la présence d’au moins trois éléments complémentaires :



  • L’humour : One-Punch Man fait rire avec son concept, son personnage principal, ses monstres divers et qui finissent par se faire éclater, les décalages, les jeux de mots… La couverture donne déjà le ton quand on voit que Saitama a éclaté un monstre avec son poing droit quand sa main gauche tient… son sac de courses.

  • Ensuite, Saitama, s’il est le plus puissant des héros, ne maîtrise pas le déplacement instantané et n’est pas omniscient. Des bastons peuvent donc se dérouler ailleurs, impliquer d’autres personnages, quitte à ce que Saitama intervienne pour conclure.

  • Enfin, point lié avec le précédent : il y a de la place pour d’autres héros. Leur présence permet de densifier l’univers et de retrouver, du coup, des éléments plus familiers : ainsi Genos, impressionné par Saitama, veut devenir son élève pour être plus fort. C’est parti pour l’entraînement…


Le webcomic de ONE constitue le point de départ de la série. Libre de faire ce qu’il voulait, ONE a pu bâtir un scénario et une série à son goût. One-Punch Man s’inspire de personnages et de séries par les codes qu’il reprend pour mieux les détourner. On peut penser à Anpanman (chahuté dernièrement dans Osomatsu-san) même si Saitama ne distribue pas les pains comme lui ; au sentai (danger, destruction, héros, monstres divers) ; aux diverses associations de héros… ONE a donc construit quelque chose d’attractif. Il maîtrise les codes de narration pour mieux les plier, assaisonner à sa sauce pour revisiter des thématiques avec un poil d’absurde (force de Saitama, démesure des monstres, des destructions…) sans que cette débauche n’aille pourtant trop loin. Le délire est maîtrisé et suscite aussi la réflexion (Saitama est trop fort, est-ce qu’on peut vraiment en faire un super-héros s’il gagne tous ses combats si facilement ?).


Mais pour que One-Punch Man soit ce One-Punch Man, il a fallu qu’il subisse un lifting made in Yûsuke Murata. L’apport de ce dernier ne peut pas être éludé. Sa patte se révèle précieuse tant dans le dessin que dans l’agencement des cases, pour nous proposer une narration la plus agréable possible – et au service de l’humour quand ce dernier est de sorti. Un élément qui saute assez rapidement aux yeux est l’écart existant entre les personnages de One-Punch Man (tous joliment dessinés et détaillés) et le héros, Saitama, réduit le plus souvent au minimum, espèce de crâne d’œuf qui porte un costume de super-héros (avec la cape, les gants…). Pour un peu on tiendrait un nouveau compagnon de route pour Kick-Ass voire Deadpool, même si, dans ce dernier cas, le quatrième mur tient encore dans One-Punch Man. Le décalage entre l’apparence de Saitama et sa puissance (l’habit ne fait pas le moine) est un premier point caractéristique du héros, en même temps que ses problèmes d’argent et son registre de langage : il n’hésite pas à dire quand ça le gonfle… Bref ce n’est pas le héros parfait, qui parle bien, etc. mais peu importe car il plaît bien tel qu’il est !


La qualité graphique de Murata sert parfaitement le dynamisme et l’action de la série. Le trait est clair, précis, les cases sont détaillées, joliment remplies (on cherche parfois le vide) et leur agencement nous permet de naviguer sans difficulté d’une page à l’autre. En somme le dessin et la narration de Murata exploitent parfaitement le scénario de ONE, apporte une vraie valeur ajoutée. L’appariement ONE-Murata est donc plus que réussi, à l’instar de celui formé par Kyôichi Nanatsuki et Night Owl pour The Arms Peddler.


A ses débuts en 2009, la série était un webcomic que ONE publiait sur son site internet (la publication continue). Que serait-elle devenue si Yûsuke Murata n’avait pas pu la « reprendre » en 2012 ? Mystère. Toujours est-il que Murata va produire un One-Punch Man prépublié via le Tonari no Young Jump (webmag de la Shueisha) avant de sortir en tome relié. Il faudra ensuite que ONE accepte que sa série puisse sortir ailleurs qu’en terre japonaise. La série a donc connu un certain cheminement avant de nous parvenir.


Son arrivée aux éditions Kurokawa – qui n’a pas lésiné côté marketing et communication pour que le lancement de la série soit réussie – se révèle très satisfaisante. Je regrette parfois que le volume ne soit pas d’une dimension plus importante pour pouvoir mieux profiter des planches du manga. La traduction est agréable à suivre. Un des points importants, dans la suite, concernera les choix retenus pour les personnages et leurs noms composés de jeux de mots, références… seront adaptés en français (on aura donc les mêmes que pour l’animé ?). Kurokawa a justifié cela pour nous « éviter de perdre 4 ans à faire un Master de Langues et Civilisations Orientales pour comprendre toutes les blagues contenues dans le manga. » Les prochains tomes seront donc aussi attendus pour voir le résultat et si le choix emporte l’adhésion des lecteurs (ou si des notes de bas de page ou en fin de volume auraient été préférables).


Le premier tome laisse toutefois quelque peu sur sa faim mais ce n’est pas de sa faute : les 8 chapitres + le chapitre bonus forment une introduction à un univers qui s’étoffera par la suite – si on a l’animé en tête – tant au niveau des personnages que des thèmes abordés (organisation derrière les héros, les classements, la popularité et ses effets… soit autant d’éléments questionnant la condition de super-héros). Il sera, par ailleurs, intéressant de voir si l’autre grand hit annoncé (My Hero Academia chez Ki-oon), dont les deux premiers tomes sortiront en même temps le 14 avril, parviendra à planter un décor plus conséquent qu’il ne pourrait le faire en un seul tome.


One-Punch Man est donc là et bien là. Le plaisir est réel mais, pour autant, une petite réserve demeure tant on perçoit que ce début n’est qu’un début et que le meilleur est à venir. Le manga s’annonce plein de promesses et ne pouvait de toute façon pas tout dévoiler, tout donner dès le départ. Ce qu’il fournit est déjà très agréable mais c’est peu dire que les tomes suivants sont espérés avec envie pour voir un peu ce que Saitama va nous mettre dans la face. Rendez-vous le 10 mars pour le second volume !

Anvil
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le 23 janv. 2016

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