Watchmen
8.5
Watchmen

Comics de Alan Moore et Dave Gibbons (1986)

Le Crépuscule des Dieux. En Costume Moulant.

Je ne reviendrai pas sur la qualité du travail d'Alan Moore, sur l'intelligence qui émane de ce livre, de l'uchronie mise en place, de la pertinence du choix des citations concluant chaque chapitre, de la maitrise du dessinateur, dont chaque plan fait sens. C'est une véritable saga. Le mot est gros, et colle difficilement avec un comics, voire avec n'importe quelle bande dessinée. Mais comment autrement évoquer le souffle épique, dramatique, intime et absolu qui imprègne les pages de cette oeuvre, où l'auteur a su trouver, sur fond de cynisme et de désespoir, beauté et grandeur, là où on ne les auraient jamais attendus ?


Beauté et grandeur des géants d'autrefois, de leur rêves, de leurs gloires, de leurs victoires, de leurs échecs, de leurs regrets. De la réalisation qu'ils n'étaient au final que des hommes et des femmes en marge, ayant poussé une lubie jusqu'à son terme, et écartés comme une mode, renvoyant leurs idéaux à une triste banalité. Traînés hors de leur mythe par la société ou par leur propres failles, ils ne sont plus que des naïfs, des clown ou des asociaux en collants. Leur fameuse photo de réunion le résume bien : Un désir de légende, obscurci par leur humanité et les ombres que cela implique.


Beauté et grandeur de leurs successeurs, perdus, fruit éclaté d'un arbre malade. Les Watchmen du titres sont des gardiens dont personne ne veut, qui ne parviennent pas à appréhender le monde dans lequel ils vivent et ignorent comment l'aider. Certains renoncent, certains agissent à l'aveuglette, selon leur instinct, et d'autres, obsédés par cette idée, planifient des plans grandioses et déments. De ce qui ressemble tellement à une lubie d'enfant, seul leur reste en commun cette incapacité à oublier et à s'intégrer. Ils ont entrevus une vie hors norme, et ne peuvent jamais y renoncer.


Beauté et grandeur de la ville, de ses quidam, de ses gens normaux, de son théâtre permanent, de sa médiocrité aussi, souvent. Mais Alan Moore n'est pas Frank Miller. Pas de mépris ici, pas de dégoût. Juste de l'humanité, de la compréhension, peut-être de la pitié, parfois, pour ce vendeur de journaux sans famille, pour ce gamin passant sa vie dans la rue, pour cette fille qui n'accepte pas sa rupture avec sa copine, pour ces flics revenus de tout, pour ce psychiatre incapable de détourner les yeux des horreurs que recèlent les coins sombres. Une fresque ordinaire, touchante et un peu triste.


Beauté et grandeur de Rorschach, mis au ban de tout, le chasseur dont la traque est la seule vie. Haï et haïssant, violent et sans espoir, réactionnaire sans compassion, d'une dureté de pierre, mais aussi d'une détresse et d'une fragilité enfouie, liées à son enfance et à sa solitude. Sans son masque et sa mission, il n'est qu'un détraqué de plus, laid et grotesque, obsédé par les signes apocalyptiques.Bouclier de la loi refusant de se plier à aucune loi qui ne soit pas la sienne, il est véritablement sans attache, naviguant dans les ombres qui l'accueillent et qu'il lutte en vain, mû uniquement par une volonté, une intransigeance et une obsession proche de la folie. La seule personne dont il désire le soutien est le Hibou, son ancien partenaire, qui, s'il ne partage ni ses vues ni ses méthodes, peut prétendre à le connaitre véritablement.


Beauté et grandeur du dr Manhattan, le surhomme, le dieu maudit par sa toute-puissance, vidé de toutes émotions par son omniscience. Application la plus réaliste du mythe du superhumain, utilisé comme une arme pour parer la menace nucléaire et comme un symbole de la puissance américaine, il est passif, mélancolique, plus proche de l'idée que de l'homme pour ses concitoyens, et peut être aussi pour lui même. Lui qui était fasciné par le temps avant de devenir ce qu'il est est condamné à tout savoir à l'avance, à être spectateur de toutes les conséquences, de tous les possibles. il est hors du temps, et hors du monde des hommes. Ils ne peuvent pas le comprendre, mais lui même les comprend également de moins en moins. Ses rares sentiments à leur égards sont devenus sources de peine et de de rejet. Esthète, il se bannit hors du monde vivant, préférant les canaux de Mars à l'agitation de la terre. Il faudra le désespoir et la résolution de Laurie pour le convaincre de la valeur de la vie. Pas en tant que phénomène physique, mais comme source d’événements totalement improbables.


Beauté et grandeur de Laurie et Dan, les deux héros à la retraite, encombrés de leurs vies, l'une ayant été poussé dans la lutte contre le crime par sa mère et l'autre ayant choisi d'emprunter la voie de son mentor, le premier hibou. Incapables de reprendre une existence normale, bien que lucides quand à leurs aventures passées, ils sont attirés l'un par l'autre comme les survivants d'une époque révolue, d'un fantasme mort. Sur le bord de la destruction du monde par le feu, ils décident de reprendre leurs activités, moitié avec humour, moitié avec ferveur. Comme deux enfants ayant rêvé de l'amour pur avec quelqu'un qui leur ressemble, ils entament une relation embarrassée, pleine d'un désir inavouée. C'est par eux que l'idéal survit, même après la mort du père spirituel et la révélation de la faiblesse maternelle. Ils sont les victoires du rêve.


Beauté et grandeur d'Ozymandias, la perfection physique et mentale alliée à la folie démiurge. Chez Adrian Veidt, le désir de faire le bien s'est imposé par dessus tout autre considération, encouragé par un hubris démesuré et une déterminantion inquiétante. Prêt à tout pour sauver l'humanité d'elle même, il est le point de jonction de tout ses semblables. Aussi pragmatique que Rorschach, aussi inhumain que Manhattan, aussi bien intentionné que Laurie et Dan, il n'est ni un monstre, ni un héros. C'est à la fois le plus grand tueur de masse de l'histoire de l'humanité et son plus grand bienfaiteur. En tant que tel, il est celui dont les plans aboutissent.


Beauté et grandeur de la catastrophe, du chaos interrompu, de ces morts, de ce corps qui se sacrifie en vain pour en protéger un autre plus jeune, de cette ombre de baiser dominant le carnage, de cette joie fanatique d'Ozymandias criant victoire devant la fin du monde évitée, du refus de Rorschar de réduire à néant ce qui a été fait et de vivre en en ayant été témoin.
Beauté et grandeur du doute tardif, de la confiance en la vie, de la volonté de suivre sa voie, des anciens amours, du passé, de l'avenir...
Beauté et grandeur d'un monde plus fort, où on saurait aimer - et mourir. Peut être le notre.
Kevan
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le 5 mars 2014

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Kevan

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